Forum de Paris sur la Paix - "Israël-Palestine : un plan pour deux États et pour la paix" - Interventions de Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères (11 novembre 2024)

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=Traduction de l’anglais=

Q - Monsieur le Ministre Barrot, je commencerai par vous dans la mesure où vous étiez en Israël la semaine dernière. C’était votre deuxième visite en Israël depuis que vous avez pris vos fonctions. C’était une visite assez intense, d’après ce que nous avons vu. Pouvez-vous nous dire si vous avez pu identifier certains signes d’espoir pour une solution, et comment vous voyez les choses vous-même ?

R - Merci Sylvie. Monsieur le Premier ministre, Messieurs les ministres, j’ai l’honneur de partager ce podium avec vous ce matin. J’étais en Israël et en Palestine la semaine dernière, le 7 novembre, un mois après mon premier passage, le 7 octobre.

Je voudrais revenir sur ce qui s’est passé il y a un an, lorsque le pire massacre antisémite a eu lieu depuis la Shoah, lorsque cette tragédie a touché les populations israéliennes. J’étais avec les familles, j’étais touché par leur dignité et j’ai quand même vu une certaine lueur d’espoir à l’horizon - parce qu’il n’y a pas d’autres lieux plus adaptés de le faire que le Forum de Paris sur la paix. C’est le courage de certains jeunes qui étaient là ce matin du 7 octobre et qui ont donné leur vie pour que d’autres puissent sauver la leur, y compris des citoyens français. Y compris cet homme qui s’appelle Liel Itach, qui est un français israélien de 22 ans, qui allait entreprendre des études d’ingénierie, et qui a dit à ses parents « je vais aller au Festival Nova », parce que c’était les dernières vacances avant de se lancer dans des études très dures. Liel Itach aurait pu sauver sa vie en montant dans une voiture, ce matin tragique, avec certains de ses amis qui ont survécu à l’attaque terroriste. Mais il a préféré rester sur site, parce que certains de ses amis étaient derrière lui et il ne voulait pas les abandonner. Et ce matin, Liel Itach aurait pu encore sauver sa vie une deuxième fois en se cachant dans l’abri auquel il a amené certains de ses amis. Mais ce matin tragique, il a préféré courir pour attirer les tirs des terroristes dans sa direction. Cet homme était un monument de courage. Il avait 22 ans. Et en ces époques de tragédie et de guerre que nous connaissons au Moyen-Orient, il est un exemple de charisme et de générosité et devrait aussi être source d’inspiration.
Depuis, évidemment, la guerre s’est poursuivie plus fort que jamais à Gaza, et plus récemment au Liban. Et nous sommes très inquiets du coût de cette guerre très intense, du coût sur les populations civiles, mais également sur les territoires eux-mêmes. Et je pense ici à l’héritage culturel, tant à Gaza qu’au Liban, qui est menacé.
Je vois un chemin vers la résolution de cette crise, même si c’est un chemin théorique. Cela doit se faire en trois étapes. Tout d’abord, un cessez-le-feu à Gaza et au Liban - mais je vais me concentrer sur Gaza et la Palestine -, avec la libération des otages et l’apport massif d’aide humanitaire qui est absolument nécessaire pour la population de Gaza. Nous avons des témoignages de travailleurs humanitaires qui nous disent que la situation à Gaza est pire que toute chose qu’ils aient vu dans toute leur carrière. Donc l’aide humanitaire doit arriver aussi rapidement que possible, de manière massive.

La deuxième étape est de mettre en place cette solution politique. Nous avons deux États qui vivent côte à côte, en paix et en sécurité, avec une reconnaissance mutuelle l’un de l’autre et des garanties de sécurité.

Et la troisième étape, dont nous sommes encore loin, la troisième étape va devoir être la réconciliation et la capacité de ces deux peuples qui ont lutté si dur l’un contre l’autre, de pouvoir accepter l’existence de l’un et de l’autre, et de vivre en paix l’un à côté de l’autre.

Quand je mets en place cette feuille de route théorique vers la stabilisation de la région, il est difficile de voir, quand on compare cela avec le monde réel et ce qui se passe sur le terrain, de voir où se trouve cette lueur d’espoir. Eh bien la lueur d’espoir, elle est juste devant vous. Vous avez deux leaders, l’un qui a grandi en Israël et l’autre qui a grandi à Gaza, et ils ont uni leurs forces afin de proposer un plan crédible pour la seconde étape de cette feuille de route, à savoir mettre en place un cadre, une architecture durable pour la paix et la sécurité entre Israël et la Palestine. Donc, nous sommes reconnaissants de les avoir aujourd’hui à Paris et nous allons les soutenir dans leur effort pour amener la paix et la justice à la région.
(…)

Q - Avant d’évoquer [Donald] Trump… bien sûr, on vous posera cette question, Monsieur Barrot, mais avant cela, Monsieur Barrot, le Docteur al-Qidwa nous a posé une question, à nous Occidentaux, à nous Européens : est ce que nous sommes prêts à faire ce qu’il nous a recommandé de faire ? Est-ce que nous sommes prêts à dire aux Israéliens que ce n’est pas une bonne manière d’agir ? (…)

R - Il y a différentes choses importantes qui viennent d’être évoquées. Mais il est vrai que la force a montré qu’elle a ses limites, et qu’elle ne pourra pas, à elle seule, trouver une solution à la situation dans la région. La force doit maintenant laisser la place à la diplomatie, laisser la place aux négociations et aux pourparlers diplomatiques. Et en ce qui concerne le gouvernement d’Israël, comme tout le monde le sait, la France apporte son soutien à Israël, la France est très attachée à la sécurité d’Israël, et ce ne sont pas des paroles vides. Nous avons fait preuve de notre engagement en faveur de la sécurité d’Israël, et chaque fois que le pays a été cible d’attaques balistiques de la part de l’Iran, nous avons fait preuve de notre engagement pour dissuader l’Iran de développer un programme nucléaire qui menacerait la sécurité de l’État israélien. Donc en bref, nous sommes profondément attachés à la sécurité d’Israël, et ce n’est pas une insulte envers le peuple israélien ou l’État d’Israël si on dit au gouvernement du pays que dans l’intérêt du pays et dans l’intérêt de la sécurité du pays, le droit international doit être respecté. La justice doit être réalisée, parce que c’est la seule manière de pouvoir garantir de manière durable la sécurité de l’État d’Israël.

C’est pour cela qu’en même temps que nous travaillons pour assurer la sécurité d’Israël, nous avons également mis en place des sanctions. Nous avons imposé des sanctions au niveau national contre les colons violents. Et nous avons également mise en place des sanctions au niveau européen, et nous avons joué un rôle instrumental pour mettre en place un régime de sanctions qui a déjà été activé deux fois, et qui pourrait être activé une troisième fois très prochainement. Parce que nous pensons que ces colons violents et ces activités de colonisation violentes et intenses, que ces activités sont illégales et doivent être arrêtées dans l’intérêt de l’État israélien et de sa sécurité propre.

(…)

Q - Donc il y a la France, mais il y a également un très grand pays, les États-Unis, qui viennent d’élire, j’allais dire un nouveau président, mais il n’est pas tout à fait nouveau. Nous savons déjà quelles sont ses idées en matière de politique étrangère. Quelles sont vos attentes à l’égard de cette nouvelle administration ? Et peut-être que je vais commencer avec vous, Monsieur Barrot, Monsieur le Ministre.

Qu’est-ce que le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche veut dire pour la situation au Moyen-Orient ? Comment est-ce que cela risque de changer la donne ?

R - Je pense que la chose qui change, c’est que nous aurons donc une nouvelle administration à Washington. Et ce qu’on a vu dans le passé récent, c’est que l’administration précédente a été, dans un certain sens, retenue par les élections. Avant même de savoir qui allait remporter les élections, nous savions que l’arrivée d’une nouvelle administration, avec un horizon de quatre ans, ferait la différence.

C’est pour cette raison que cette proposition vient à un moment très opportun, puisqu’en ce moment, une nouvelle administration va entrer sur scène, et cette administration aura la volonté d’agir et aura besoin de tirer de l’inspiration parmi ceux qui ont bien réfléchi à ces problématiques. Et je pense que la nouvelle administration va vraiment prêter beaucoup d’attention à cette feuille de route qui vient de vous être présentée.

En ce qui concerne Donald Trump, je ne vais pas essayer de deviner quelle sera sa politique ou ce qu’il va essayer de faire, mais ce que nous avons vu lors de son premier mandat, c’est d’essayer de trouver un accord entre les pays au sein de la région, selon une certaine logique qui pourrait incorporer certaines des propositions qui sont sur la table. Toute architecture régionale qui serait basée sur une reconnaissance mutuelle devra incorporer l’État de Palestine. Et pour que l’État palestinien puisse prendre forme, il faudra qu’il y ait des discussions approfondies avec les autorités israéliennes. Et le grand mérite du travail de nos prestigieux panélistes, c’est d’aborder ces questions en détail, de dire quels seraient les paramètres d’une telle discussion. Donc, Il faut aborder l’arrivée de cette nouvelle administration et de cette équipe qui a œuvré pour établir des nouvelles relations au sein de la région, de voir tout ça comme une occasion à saisir. Une occasion à saisir afin de pouvoir transmettre les idées, les propositions sur lesquelles certains d’entre nous avons travaillé et qui visent à mettre en place une situation où deux États peuvent cohabiter en paix, avec une reconnaissance mutuelle, avec des garanties sécuritaires, et vivre dans la paix, la sécurité pour leurs populations."