Iran/Israël - Entretien de Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, avec "BFM TV" (Paris, 19 juin 2025)

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Q - C’est la suite de notre émission spéciale ce soir sur "BFM TV", émission spéciale notamment après les mots ce soir de la porte-parole de la Maison-Blanche que vous entendrez dans une seconde, qui explique qu’une fois que Khamenei aura pris la décision, l’Iran sera à deux semaines de la bombe nucléaire. On va en parler ce soir avec le porte-parole du Quai d’Orsay. Bonsoir, merci d’être là, Christophe Lemoine.

R - Bonsoir.

(…)

Q - Christophe Lemoine, est-ce que la France a les mêmes informations que la Maison-Blanche ?

R -
Ce qui est certain, c’est que l’Iran a un programme nucléaire crédible, et c’est un programme nucléaire qui pose différentes questions. La première des questions, c’est que c’est un programme nucléaire qui est très avancé, évidemment. Il y a eu des efforts du côté des Iraniens pour développer la technologie nucléaire. Le deuxième problème qui est posé, c’est que c’est un programme qui est développé sans transparence, à savoir qu’à toutes les demandes d’inspection de l’AIEA, qui est le gendarme mondial du nucléaire, les Iraniens n’ont répondu que de manière complètement imparfaite, et que les Iraniens ont déjà eu des velléités de programmes militaires. Donc il est certain qu’il y a un programme nucléaire militaire. Il est certain qu’il est assez avancé.

Q - Vous dites crédible, opaque, très avancé ?

R - Et qui n’a aucune vocation civile.

Q - Mais deux semaines, est-ce que ça vous semble crédible ? Est-ce que ça correspond aux renseignements que peuvent avoir les Français ?

R - Ce qui est certain, c’est qu’il y a effectivement une urgence à rouvrir des négociations avec les Iraniens. Parce que l’objectif, c’est d’avoir un cadre juridique crédible, avec des engagements concrets de la part de l’Iran, vis-à-vis notamment du traité de non-prolifération nucléaire et, surtout, une vérificabilité des engagements de l’Iran.

Q - Mais je sens que vous ne voulez pas vous mettre en porte-à-faux avec la porte-parole de la Maison-Blanche, visiblement. Parce qu’elle donne ce chiffre qui est quand même assez vertigineux et qui ne correspond pas tout à fait aux informations qu’on avait jusqu’à maintenant, y compris venant des renseignements américains, qui parlaient plutôt en années. Soudainement, ce soir, on nous explique deux semaines.

R - Ce qui est important, au-delà de la durée qui est donnée par la porte-parole américaine, c’est de se dire que le programme nucléaire iranien avance et a avancé ces dernières années. Comme je vous le disais, il pose un certain nombre de problèmes. Et ces problèmes doivent être résolus de manière extrêmement concrète par un nouveau cadre légal, un nouvel accord, avec des obligations et des engagements précis et concrets de l’Iran sur ce programme nucléaire, et des clauses de vérification par l’AIEA qui nous permettront de savoir où ils en sont.

(…)

Q - On va parler, Christophe Lemoine, dans un instant, de l’opération que vous êtes en train de monter pour évacuer notamment les Français de Téhéran. Mais simplement, sur ces frappes qui se sont poursuivies aujourd’hui - on a vu les dégâts causés en Iran, on a vu les dégâts causés en Israël - quelle est la position de la France ? On a cru comprendre en début de semaine qu’Emmanuel Macron soutenait Benyamin Netanyahou, soutenait Israël dans son droit à se défendre face au risque nucléaire iranien. Et il y a deux jours, Emmanuel Macron a dit qu’il faut que ces frappes cessent. Quelle est donc la position de la France ?

R - Il faut que ces frappes cessent. Il faut qu’on enclenche une logique de désescalade. Encore une fois, des opérations militaires dans une région qui est déjà extrêmement instable, ça fait courir un risque majeur pour la région et au-delà. Très honnêtement, il faut absolument que cette désescalade cesse et que chacun reprenne le chemin des négociations. Il ne peut pas y avoir de solution militaire à la question. Il va falloir, au bout d’un moment, poser un cadre de discussion qui permette de régler les différents problèmes.

Q - Et est-ce que l’attitude des Américains dans cette affaire… Pour le coup, la Maison-Blanche, Donald Trump explique ce soir qu’il y a un chemin substantiel vers la négociation. Quand vous voyez les Américains envoyer un, deux, trois porte-avions, un certain nombre, plusieurs dizaines d’avions ravitailleurs, etc., pour mettre la pression, est-ce que vous vous dites : "Oui, peut-être que c’est le bon chemin pour mettre la pression sur Khamenei et sur les Iraniens, les intimider et les ramener à la table des négociations" ? Est-ce qu’ils ont raison, les Américains ?

R -
La méthode est une question. Mais encore une fois, reste l’objectif. Et l’objectif, c’est de ramener tout le monde à la table des négociations. Encore une fois, il n’y a pas d’issue militaire à cette crise de prolifération nucléaire iranienne. Il y a des risques d’escalade extrêmement forts, des risques de perte de contrôle d’une situation. Il faut être pragmatique et se dire simplement que la seule solution c’est de poser un cadre, qui ne sera obtenu que par la négociation.

Q - Quand vous entendez les menaces d’Israël, des États-Unis sur la personne de Khamenei, qu’est-ce que vous vous dites ? Donald Trump a quand même expliqué cette semaine : "On sait où il est. On sait où se cache Khamenei. Pour l’instant, pour le moment, nous n’avons pas l’intention de l’éliminer". Comment réagit la France face à cette menace-là ?

R -
Je vais reprendre les propos du Président de la République, qui a quand même indiqué que toutes les expériences qui ont été faites dans l’Histoire de régime change venant de l’extérieur, avec des opérations militaires, se sont soldées par des catastrophes stratégiques. Il a même parlé de chaos. Au-delà de la question de la gouvernance iranienne, la vraie question, c’est la question du programme nucléaire, c’est la question de la menace que fait peser l’Iran sur l’ensemble de la région - sur Israël mais pas seulement -, et sur nous aussi. Donc la vraie question, c’est celle-là.

Q -
Demain, il y a une réunion en Suisse, à Genève, avec les ministres des affaires étrangères français, allemand, britannique et iranien. Qu’est-ce qu’on peut en attendre ?

R -
En tout cas, pour ce qui concerne le ministre français, Jean-Noël Barrot, il a été très impliqué depuis le début de la crise vendredi dernier pour avoir des contacts avec l’ensemble de ses partenaires de la région - évidemment, ses partenaires européens du groupe E3, son homologue britannique et son homologue allemand, qui est le format dans lequel on mène normalement les négociations sur le nucléaire iranien -, il a eu des contacts avec son homologue iranien. L’idée des discussions qui sont en cours, c’est de ramener tout le monde autour d’une table de négociation et de reproposer un cadre qui permette d’envisager une solution crédible et durable pour régler cette question de la crise nucléaire.

Q -
Mais qu’est-ce qu’on va dire aux Iraniens demain ? "Arrêtez votre programme nucléaire" ? Comme on leur dit depuis…

R - Oui, sauf que la situation est telle aujourd’hui qu’il y a un vrai besoin de reprendre ces négociations. Nous n’avons jamais cessé de négocier avec les Iraniens. Ça a été le cas depuis la signature de ce traité en 2015. Nous avons toujours continué, avec les Européens, à négocier avec les Iraniens. Maintenant, l’Iran a une attitude, elle aussi, escalatoire. Ils ont continué à enrichir. Enfin, je ne vais pas vous le rappeler, mais c’est quand même un pays qui détient deux otages français. C’est quand même un pays qui a continué dans une attitude escalatoire. Maintenant, on est dans une situation qui est beaucoup plus critique et qui doit normalement les pousser à retrouver le chemin de la négociation.

Q - Mais qu’est-ce qui vous fait croire qu’aujourd’hui, alors qu’on est dans une guerre non pas totale mais quasi totale entre Israël et l’Iran, qu’on peut négocier ? Est-ce qu’en période de guerre, on peut renégocier, alors que Trump, on le rappelle, a quitté l’accord du nucléaire et que, fondamentalement, il est aussi persuadé qu’il faut y mettre un terme ? Donc est-ce que c’est une manœuvre, je dirais, intéressante, mais qui n’a aucune chance de résultat ? Quel est l’espoir que cette démarche européenne aboutisse à quelque chose de concret ?

R -
Toutes les guerres se terminent par des négociations, un jour ou l’autre. Il faut dans ce cas-là que ça arrive vite et que ça se fasse maintenant, pour, encore une fois, éviter une escalade qui pourrait être très dangereuse dans la région.

Q -
Et pourquoi les Américains n’y participent pas ?

R - Les Américains ont repris les discussions avec les Iraniens au moment de l’arrivée de l’administration Trump. Ça s’est fait sur un chemin parallèle aux discussions avec les Européens. Encore une fois, il faut reprendre ces négociations. Après, on peut discuter du format dans lequel on fait ça. Il y a le format de 2015, mais, comme l’a dit le Président de la République, ce format peut évoluer en fonction des contingences actuelles. Mais il faut absolument que l’escalade cesse.

Q - Christophe Lemoine, je voudrais qu’on regarde une carte. Puisque vous êtes en train de monter une opération assez inédite d’évacuation des Français qui vivent à Téhéran, en Iran, on a tracé le chemin que vous conseillez à ces Français. Il y a un convoi qui va partir de Téhéran. On a tracé ce chemin. Et on voit autour de ce chemin les différents impacts des raids israéliens de ces derniers jours. Il y a un peu moins de 1.000 km à faire de Téhéran pour aller notamment jusqu’en Turquie. Comment ça va se passer, pour ces Français ? Les Français, il y en a à peu près 900 qui vivent en Iran et qui voudraient partir. Comment ça va se passer pour eux ?

R - Effectivement, la première des priorités de la diplomatie française, c’est de s’assurer du sort de nos concitoyens qui habitent à l’étranger, notamment ceux qui habitent en Iran. C’est ce que le Ministre a redit ce matin. Donc il était très important de proposer à ceux de nos concitoyens qui vivent en Iran une solution pour quitter l’Iran. Alors bien évidemment, oui, il y a des frappes israéliennes. Oui, ça sera une opération complexe, difficile.

Q -
Risquée ?

R - Oui, mais parce qu’encore une fois, on est dans des situations qui, logistiquement, deviennent complexes. La seule possibilité de sortir de l’Iran aujourd’hui, c’est par la route, puisque les espaces aériens sont complètement fermés. Donc il n’y a pas d’autre solution que de sortir par une frontière terrestre. Les deux frontières les plus praticables, ce sont les frontières avec l’Arménie et la Turquie. C’est le sens du plan qu’a présenté le Ministre ce matin. Parce qu’encore une fois, il faut, vis-à-vis de nos concitoyens qui vivent en Iran, proposer à ceux qui souhaitent quitter l’Iran une solution de sortie.

Q - Pour parler très concrètement, c’est-à-dire que vous allez donner un point de rendez-vous aux Français de Téhéran et leur dire : "Voilà, vous montez dans les bus" et les bus partent ? C’est comme ça que ça va se passer ?

R - Ça, ça va être le travail de l’ambassade. Et je leur rends hommage, parce que c’est extrêmement difficile de monter ce genre d’opération dans ces circonstances-là.

Q - Avec des contacts qui sont pris avec les autorités iraniennes, avec les autorités israéliennes pour leur signaler "Attention".

R - Je pense que les contacts utiles, oui, seront pris.

Q - Combien de personnes pourraient être évacuées ? Vous avez déjà un ordre d’idée ou pas ?

R -
Je ne sais pas. Encore une fois, c’est une proposition qui est faite aux Français qui habitent en Iran.

Q - Il faut dire qu’il y a 900 à 1.000 Français - ou de double nationalité - qui habitent qui habitent en Iran.

R - C’est une communauté de cette taille-là. Ce sera une proposition qui leur sera faite. Nous verrons combien souhaitent partir, et en fonction, il y aura, d’une manière logistique et très concrète, un plan qui sera adapté.

Q - Mais est-ce que l’Iran va laisser sortir ces Français ? Vous avez rappelé très justement qu’il y a deux otages français. Est-ce que l’Iran va laisser partir ces Français qui, finalement, pourraient être utiles à l’Iran dans ce contexte de guerre ?

R -
Je ne sais pas. Enfin, il y a quand même certains Français qui sont déjà sortis du territoire iranien. Il y a une situation qui est quand même extrêmement spécifique. Encore une fois, le devoir de la diplomatie française - et c’est ce qu’a rappelé le Ministre ce matin - c’est d’apporter le secours nécessaire aux Français qui souhaiteraient quitter le territoire iranien.

Q - Une question concernant les Français en Israël, ceux qui voudraient quitter Israël. Qu’est-ce que vous leur dites à eux ? Il n’y a plus de vol. Je disais ça parce qu’il n’y a plus de vol.

R -
Non. L’espace aérien est fermé de la même manière, mais il y a des voies pour sortir d’Israël. Et c’est ce qu’a reprécisé aussi le ministre Jean-Noël Barrot ce matin. Il y a d’une part une proposition qui a été faite par les autorités israéliennes elles-mêmes pour tous les touristes de passage de se signaler auprès d’eux, et les autorités israéliennes se font fortes de trouver des voies de sortie. Pour les autres, parce que c’est une communauté qui est effectivement beaucoup plus large que la communauté que nous avons en Iran…

Q - On parle de 150.000 Français en Israël… Mais dont l’écrasante majorité veut rester.

R -
Encore une fois, c’est sur la base du volontariat. C’est-à-dire que nous proposons des solutions de sortie, mais ce seront des solutions terrestres, par la Jordanie ou par l’Egypte, pour pouvoir récupérer ensuite un vol d’Amman ou de Charm el-Cheikh.

Q - Merci beaucoup. Merci, Christophe Lemoine, d’avoir été en direct avec nous ce soir sur "BFM TV".

R -
Merci à vous.