Iran/Israël - Entretien de Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, avec "France 24" (Paris, 23 juin 2025)
Q - Christophe Lemoine, bonjour. Merci d’être sur le plateau de "France 24". Vous êtes porte-parole du Quai d’Orsay. Commençons par ces frappes israéliennes, ce matin, sur la prison d’Evin à Téhéran, là où sont enfermés nos deux ressortissants français, Cécile Kohler et Jacques Paris. Est-ce qu’on sait, d’abord, s’ils y sont encore ?
R - Nous sommes évidemment très inquiets sur le sort de nos deux compatriotes otages d’État en Iran, qui sont emprisonnés dans la prison d’Evin depuis plus de trois ans, dans des conditions qui étaient déjà affreuses avant le début des frappes. Bien évidemment, la situation actuelle nous rend encore plus inquiets. Nous suivons cela avec beaucoup d’attention, en lien notamment avec les autorités iraniennes, puisque c’est un point qui a été évoqué par le Président et le ministre [de l’Europe et des affaires étrangères] dans leurs contacts avec leurs homologues. Encore une fois, notre grande priorité reste d’obtenir leur libération.
Q - Les Israéliens, là, les mettent en danger ?
R - Ils sont emprisonnés alors qu’ils sont innocents. Donc la mise en danger, en fait, elle date d’avant, si vous me laissez dire cela ainsi. Ils sont emprisonnés depuis trois ans. Donc la première des responsabilités incombe aux Iraniens. Nous appelons, encore plus fort aujourd’hui qu’auparavant, à la leur libération. Nous sommes bien évidemment en lien avec leurs familles, de manière quotidienne, pour faire le point et pour suivre effectivement cette situation, qui est extrêmement préoccupante.
Q - Mais vous ne demandez pas aux Israéliens d’éviter de frapper la prison d’Evin ?
R - Nous avons passé tous les messages que nous avons pu passer aux autorités iraniennes et puis à tout le monde pour indiquer que ces deux Français étaient dans la prison d’Evin.
Q - Plus globalement, on le sent et on l’a vu dans le sujet, on sent monter une nouvelle rhétorique, une évolution de rhétorique de la part des Israéliens et des Américains. Ils parlent de changer le régime des mollahs. Quelle est la position de la France ?
R - La position de la France est assez claire. C’est celle qui a été exprimée par le Président de la République la semaine dernière, lorsqu’il a indiqué que toute tentative de changement de régime de l’extérieur par des opérations militaires, l’Histoire montre que ça mène toujours à une erreur stratégique. Et en l’espèce, ça le serait aussi. Et puis, au fond, la question qui est centrale dans le conflit actuel entre Israël et l’Iran, c’est d’abord le programme nucléaire iranien. C’est cela qui doit être traité au premier chef, la question de la prolifération nucléaire. C’est une question qui occupe la diplomatie depuis longtemps.
Q - Mais les frappes affaiblissent le programme nucléaire aujourd’hui ? Plus que la diplomatie ?
R - Les frappes, honnêtement, c’est une réponse militaire à une question qui est d’abord diplomatique. On sait qu’on ne peut contraindre un État à respecter ses engagements au titre du Traité de non-prolifération nucléaire que par une négociation diplomatique, qui peut être longue, mais qui doit offrir à la fin un cadre et des conditions de vérification solides. C’est ce que nous devons faire avec l’Iran, c’est ce que les Européens ont proposé de faire vendredi dernier à Genève avec le groupe E3, et c’est ce qu’a redit le Ministre aujourd’hui à Bruxelles. Encore une fois, il n’y a pas de solution militaire à cette crise de prolifération nucléaire.
Q - On sent quand même la France sur une position d’équilibre assez difficile à tenir sur le court terme ou moyen terme, si les frappes continuent.
R - Pour le moment, effectivement, on est dans une situation où on assiste à une escalade extrêmement dangereuse, puisqu’encore une fois, et vos images le montrent, il y a une escalade entre Israël et l’Iran qui est porteuse de beaucoup de dangers pour ces deux pays et pour la stabilité de la région. Donc il faut que cette escalade cesse et que le dialogue reprenne.
Q - Quel est votre regard sur cette opération américaine, "Marteau de minuit", lancée dans la nuit de samedi à dimanche, par Donald Trump, sur les sites nucléaires en Iran ? Marc Rutte, le [secrétaire général] de l’OTAN, dit que tout s’est fait dans la légalité. Le chancelier Merz dit qu’il n’y a pas de raison de critiquer ces frappes. Que dit la France ?
R - La France dit simplement que nous n’avons pas participé à ces frappes, ni dans leur planification, ni dans le côté opérationnel. Mais encore une fois, la solution militaire ne peut pas offrir une solution de long terme. On comprend qu’il y a en ce moment des frappes de part et d’autre, des frappes israéliennes et américaines [en Iran], des frappes iraniennes sur le territoire israélien. L’ensemble de ces frappes font des morts civils, beaucoup trop de morts civils des deux côtés. Comme chacun sait, toute guerre doit se terminer par une négociation, et le temps de la négociation doit arriver au plus vite.
Q - Mais vous condamnez ces frappes, oui ou non ?
R - Encore une fois, elles participent de cette escalade et il faut que cette escalade cesse.
Q - Jean-Noël Barrot, notre ministre, le ministre des affaires étrangères, participe aujourd’hui avec ses homologues européens à une discussion autour de la diplomatie à Bruxelles. On a le sentiment que vous êtes un peu à contre-courant aujourd’hui de ce qui est en train de se passer. Est-ce que la diplomatie peut encore prendre le dessus ?
R - Mais bien sûr, et c’est ce que les Européens, le groupe E3 - c’est-à-dire l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France - ont montré vendredi dernier à Genève. L’objectif de cette réunion de Genève était de réengager le dialogue avec les Iraniens. C’est ce qui a été fait. Il y a eu un premier tour de discussions entre ces trois pays européens et le ministre iranien des affaires étrangères. Il faut réengager la discussion.
Q - Et pour les Américains, est-ce que c’est possible ?
R - Cela ne veut pas dire que tout est possible tout de suite. Cela veut dire qu’il faut réengager une discussion, reconstruire un cadre de négociation et reprendre des négociations sérieuses pour obtenir un cadre stable, solide et sérieux pour le programme nucléaire iranien.
Q - Vous organisez au Quai d’Orsay, aujourd’hui, le rapatriement des ressortissants français qui se trouvent en Israël. 250.000 Français aujourd’hui vivent en Israël. Ils ne sont pas tous à vouloir repartir, bien sûr. 160 Français ont été rapatriés ce matin. Pourquoi est-ce qu’il a fallu attendre plus d’une semaine pour rapatrier les premiers Français ?
R - Déjà, la situation sur le terrain rend tout montage logistique extrêmement compliqué. Comme vous le savez, l’espace aérien israélien est fermé. Pendant un certain temps, tous les espaces aériens de la région ont été fermés. Aujourd’hui, l’espace aérien jordanien est rouvert, l’espace égyptien est ouvert, ce qui permet de proposer aux Français qui le souhaitent une sortie par la Jordanie. C’est ce qui s’est passé hier, avec ce premier vol qui a été affrété et qui a permis à 160 Français qui étaient en Israël de rentrer par le biais de la Jordanie, puisque c’était le seul moyen qui nous était offert. Il y aura d’autres vols de ce type aujourd’hui et demain. Nous allons nous organiser et faire en sorte qu’il y ait des places disponibles pour les Français qui veulent rentrer. Et puis, comme le Président de la République l’a annoncé hier, il y aura aussi, possiblement, sous réserve de l’accord des autorités israéliennes, des rotations d’appareils militaires de Tel Aviv vers Chypre.
Q - Sans passer par la Jordanie, donc ? Cela changerait quand même tout.
R - Sans passer par la Jordanie. Nous pourrons déployer cette solution-là dès que les autorités israéliennes nous en auront donné l’autorisation.
Q - Et aujourd’hui, nous sommes dans l’urgence. Il y a beaucoup de Français, on l’a vu dans les reportages que nous passons, qui attendent et qui sont bloqués depuis maintenant une semaine en Israël. Vous parlez de personnes vulnérables qui sont aujourd’hui rapatriées. Qui sont-elles ?
R - Les personnes vulnérables sont des personnes qui présentent des vulnérabilités du fait d’un statut médical, de leur âge, de leurs conditions, et qui font que leur rapatriement est peut-être plus nécessaire, de ce fait, que d’autres. C’est le travail du consulat général de France à Tel Aviv : recenser les personnes vulnérables et pouvoir leur proposer des solutions qui soient plus faciles pour elles, sans passer par Amman. C’est la raison pour laquelle la France est tout à fait prête à déployer des avions militaires vers l’aéroport de Tel Aviv quand les autorités israéliennes nous auront donné le feu vert.
Q - 250.000 Français qui vivent en Israël. Beaucoup moins en Iran : ils sont 900, 1.000 ?
R - À peu près 1.000, oui.
Q - Et est-ce qu’il y a des rapatriements prévus, ou pas ?
R - L’ambassade de France à Téhéran est aussi pleinement mobilisée. Nous avons ouvert une ligne téléphonique dédiée pour recevoir des appels. Nous avons eu quelques appels de Français. Certains ont d’ores et déjà réussi à sortir. Là aussi, l’espace aérien est fermé, donc la sortie ne peut se faire que par la voie terrestre, soit par l’Arménie, soit par la Turquie. Nous avons déployé aux postes-frontières des agents consulaires pour pouvoir les accueillir et les guider dans la suite de leur chemin. Il y a déjà des Français qui sont sortis par le poste-frontière entre l’Arménie et l’Iran, et qui ont réussi à prendre un avion à Erevan, pour ensuite regagner la France.
Q - Merci beaucoup, Christophe Lemoine, porte-parole du Quai d’Orsay.
R - Merci beaucoup.