Echos du jubilé des 20 ans de l’Association académique des romanistes polonais Plejada
Actualité
Pologne
24 mars 2023
En ce mois de mars, moment privilégié de l’identité francophone, au cours duquel la langue française et la Francophonie sont célébrées depuis 1995, le service de coopération scientifique et universitaire de l’Institut français de Pologne a souhaité mettre en lumière le travail et l’investissement des philologies romanes en Pologne, représentés par l’Association académique des romanistes polonais Plejada. Les vingt années de la vie associative de Plejada ont été célébrées à l’occasion du colloque de jubilé Le français en Pologne : textes, contextes, prétextes, les 2 et 3 décembre 2022, à l’Université Adam Mickiewicz de Poznań (Faculté de néophilologie).
Le terme de « philologie » qui s’avère méconnu en France désigne l’étude, telle une science, d’une langue et de sa littérature – ou telle une science de la langue - par la combinaison de critiques littéraire, historique et linguistique. Rappelons que les premières grammaires de la langue française remontent au XVIe siècle, ce qui suppose aujourd’hui, plus de quatre siècles de rigueur académique. Néanmoins, les nouvelles formes de communication entraînent une redéfinition des méthodes de la philologie classique, confirmant la double vocation de Plejada, qui, tout en perpétuant la tradition de l’étude des belles lettres romanes fondées sur des bases historiques, souhaite également se tourner vers le futur de la langue française et sa littérature.
Un colloque scientifique ambitieux réunissant les romanistes de toute la Pologne
Ce colloque a permis de revenir sur les moments clés de la vie associative de Plejada et a, pour ce faire, convié les membres significatifs pour l’histoire de l’Association, les professeurs Maciej Abramowicz, Teresa Giermak-Zielińska, Teresa Jaroszewska, Elżbieta Skibińska, Jolanta Sujecka-Zając, Marcela Świątkowska, Teresa Tomaszkiewicz et Grażyna Vetulani. La première présidente de Plejada, prof. dr hab. Teresa Giermak-Zielińska s’est d’ailleurs vue décerner le statut de membre d’honneur. La professeur Teresa Tomaszkiewicz, ancienne présidente et membre fondatrice s’est également vue décerner un « coq d’honneur » ; statuette portant l’inscription en latin SOCIETATIS ACADEMICAE ROMANISTARUM POLONORUM "PLEJADA" SOCIO HONORABILI donnant ainsi naissance à une nouvelle tradition d’hommage rendu aux membres les plus méritants de l’association.
La cérémonie de jubilé a été introduite par le Professeur Krzysztof Stroński, doyen de la faculté de néophilologie de l’Université Adam Mickiewicz de Poznań et le Professeur Mirosław Loba, Directeur de l’Institut de philologie romane de l’Université. Du côté de l’ambassade de France en Pologne, Audelin Chappuis, Conseiller de coopération et d’action culturelle et Directeur de l’Institut français de Pologne, a également tenu à rappeler les liens forts tissés entre Plejada et le réseau culturel français.
La partie scientifique du colloque, à laquelle ont participé 48 enseignants-chercheurs s’est attachée aux notions de texte, contexte et prétexte, (re)définies en regard de la particularité épistémologique et des finalités disciplinaires des quatre domaines de recherche explorés par les romanistes polonais : études littéraires, linguistique, glottodidactique et traductologie.
En référence au thème du colloque, les panélistes ont abordé les questions associées aux prétextes de la création de Plejada : ses débuts, ses premiers objectifs et ses motivations ; aux textes produits par Plejada : son statut, ses enquêtes, ses publications, aux contextes de l’action de Plejada : les conditions institutionnelles, les relations internationales et interpersonnelles.
Genèse de l’association
L’association trouve sa genèse, en 2002, lors d’un séminaire doctoral qui s’était tenu à l’Université Jagellonne et qui avait réuni les participants polonais et tchèques, avec pour ambition de devenir la porte-parole des philologies romanes de Pologne et l’interlocutrice unique de l’ambassade de France et des Instituts français. Son nom Plejada fait, par ailleurs, référence à une tradition humaniste européenne et se représente au travers du symbole de fierté et de l’emblème national français, le coq.
L’association au service des romanistes polonais s’est donnée pour mission de diffuser les études françaises en Pologne, de fédérer les enseignants-chercheurs de toutes les générations qui contribuent à apporter une touche innovante à la philologie française et de créer ainsi des occasions de discussions dont l’impact dépasse le contexte disciplinaire d’origine.
Présidée à ce jour par la dr. Bernadeta Wojciechowska, enseignante-chercheuse au sein de l’Institut de Philologie Romane de l’Université Adam Mickiewicz, l’association compte actuellement 123 membres. Elle coopère avec de nombreuses associations scientifiques des romanistes, notamment celles de République Tchèque, Hongrie, Slovaquie et Roumanie avec qui elle entretient une amitié fidèle et de fructueuses coopérations.
Une association aux actions plurielles alliant recherche et didactique
Ses activités s’illustrent principalement par l’organisation de séminaires cycliques pour doctorants romanistes, de conférences, de congrès, de cours magistraux et d’ateliers à caractère vulgarisateur.
Dans le domaine de la recherche, dr. Bernadeta Wojciechowska nous explique que le mot d’ordre de Plejada est l’interdisciplinarité. La mise en relation des chercheurs des universités polonaises, par l’intermédiaire de l’association et des rencontres qu’elle organise, permet de créer des passerelles. Il est en effet important et bénéfique pour les intéressés non seulement d’être au fait de l’état de la recherche dans leur domaine d’études mais aussi d’élargir leurs perspectives et de suivre l’évolution des connaissances et des méthodologies de recherche dans les disciplines connexes pour ainsi diffuser auprès des étudiants et de la communauté scientifique des publications de qualité. Cette vocation est aussi réalisée à travers le cycle des Conférences invitées de Plejada en ligne une fois tous les trois mois samedi à 10h00. Ces conférences suivies de discussion sont accessibles non seulement aux membres de Plejada, mais aussi aux autres membres de la communauté universitaire, y compris les doctorants et les étudiants.
Chaque année, l’événement phare coordonné par Plejada est l’Ecole doctorale de Višegrad, cycle de séminaires de recherche à destination des doctorants et futurs chercheurs en philologie romane issus des universités des pays de l’Europe Centrale : Pologne, Tchéquie, Slovaquie et Hongrie. Ces écoles permettent aux étudiants réalisant actuellement une thèse, ainsi qu’à leurs directeurs de recherche les encadrant, de se former, de partager le fruit de leurs travaux et d’obtenir de l’expérience dans le cadre d’un échange à dimension internationale. A ce jour, 25 Ecoles doctorales de Višegrad ont déjà eu lieu. L’édition 2022 s’est déroulée à Brno (République Tchèque). En 2023, les romanistes se réuniront à Bratislava (Slovaquie), sur invitation de FrancAvis (homologue slovaque de Plejada).
Plejada contribue aussi au dialogue académique de langue française par l’intermédiaire de nombreuses publications scientifiques. Les romanistes membres de l’association éditent en effet, souvent grâce à l’appui d’une maison d’édition rattachée à une université polonaise, des ouvrages rassemblant les articles issus de leurs recherches, de celles de leurs collègues de Višegrad, de leurs doctorants ; ou encore les actes des colloques, des conférences ou des écoles doctorales régulièrement organisées dans toute la Pologne. Ces textes, répondant aux exigences afférant aux contenus scientifiques, font l’objet d’une évaluation par les pairs et d’une édition rigoureuse.
Le volume intitulé « Autour du texte dans les études françaises », sous la rédaction d’Alicja Bańczyk et d’Alicja Hajok, a par exemple été publié début juin 2022, sur le site de la Bibliothèque de l’Université Jagellonne. L’ouvrage réunit les articles des doctorants ayant participé à la XXIVème École doctorale des pays de Višegrad à Cracovie, les 23 et 24 septembre 2021. Sa publication a été rendue possible en partie grâce au soutien de l’Institut français de Pologne.
Depuis la création de l’association, les éditions dites « avec le coq » ont donné lieu à la publication de neuf volumes, réunissant les contributions des romanistes.
Plejada est également, depuis 2017, co-organisatrice avec le Centre de civilisation française et d’études francophones de l’Université de Varsovie, en partenariat avec l’Institut Français de Pologne, de la sélection polonaise du concours de vulgarisation scientifique, Ma thèse en 180 secondes.
Plejada : un tremplin pour l’internationalisation de la recherche
À travers les initiatives de l’association se dévoile la notion d’internationalisation. Elle s’appuie notamment sur le processus de Bologne, dont le mécanisme vise à renforcer la cohérence des systèmes d’enseignement supérieur en Europe. Cet outil facilite la coopération à l’échelle de l’Union et favorise les contacts scientifiques et culturels avec les partenaires français et francophones. La reconnaissance des enseignements dérivant de l’introduction du système de crédits encourage la mobilité et valorise les formations des romanistes.
Les actions de Plejada s’inscrivent de même dans le cadre de partenariats de longue date avec des universités et des laboratoires. C’est notamment le cas de l’ILFO (Institut pour la langue française d’Orléans), programme de travail collectif constitué des quarante et un représentants des unités de recherche académiques françaises ; qui a vocation à devenir dans les prochaines années un véritable centre scientifique pour le français. Son objectif est de développer un réseau international pour la recherche. L’ILFO est notamment impliqué dans la création de la Cité Internationale de la Langue Française à Villers-Cotterêts, décidée par le président de la République.
Grâce à ces collaborations et les multiples publications qui en résultent, des chercheurs français bénéficient en retour de visibilité grâce aux citations de leurs articles et essais par les membres de Plejada, dont les travaux sont fréquemment publiés dans des revues internationales. Le nombre de citations recueillies par un chercheur constitue, en vertu des normes internationales, un critère déterminant pour son classement au H-index, qui calcule l’impact d’une revue.
Plejada apporte sa pierre à l’édifice de la communauté scientifique francophone, en privilégiant autant que de possible, dans le contexte de l’affirmation globale de l’anglais, les publications en langue française.
Les philologies romanes au défi de la préservation de l’attractivité de la langue française
Le français, cinquième langue la plus parlée dans le monde, demeure l’une des grandes langues-monde d’aujourd’hui et de demain. Cependant, elle n’occupe plus que la quatrième place dans la hiérarchie des langues étrangères dispensées en Pologne. On observe, en conséquence, que l’usage de la langue française, décroît en raison d’une baisse des locuteurs (concomitante au déclin démographique de la Pologne) et à l’affaiblissement relatif de son influence.
En 2004, est ainsi apparue l’offre de formation « recrutement 0 à l’université », qui donne la possibilité aux étudiants débutants de commencer des études en philologie romane, sans posséder de notions de français préalablement acquises dans l’enseignement secondaire (collège et lycée). Ce dispositif, qui s’est généralisé dans les années 2010-2011, a eu pour effet positif l’augmentation des inscriptions en première année de licence et l’attraction de jeunes profils issus des campagnes, où l’insertion professionnelle des diplômés est toujours difficile. De surcroît, le parcours académique en philologie romane se trouve fréquemment couplé avec un autre cursus : l’apprentissage d’une autre langue ou une spécialisation dans un domaine universitaire relevant d’un tout autre champ, permettant ainsi la complémentarité des formations.
Cette réforme judicieuse, qui a permis de maintenir le niveau d’attractivité de la langue française auprès des étudiants de premier cycle, n’a néanmoins pas réussi à endiguer le décrochage d’une partie d’entre eux après la licence, dans le contexte de l’introduction du processus de Bologne, sans poursuite du cursus au niveau master. Ce phénomène demande une analyse approfondie et fondée sur des données probantes pour envisager des mesures appropriées et s’inscrit comme l’une des principales préoccupations des philologies romanes en Pologne.
C’est pourquoi Plejada mène des enquêtes qui ont permis d’identifier les multiples défis auxquels sont confrontées les philologies romanes et, en conséquence, adaptent leur offre didactique. Parmi eux, la nécessité de rendre leurs enseignements plus professionnalisants et de proposer des cours de français appliqués au monde des affaires, du commerce, du marketing ou de la communication, alignés sur les attentes du milieu de l’entreprise et des nouvelles technologies sans oublier la formation de futurs enseignants du français langue étrangère. En effet, les nouveaux étudiants sont désormais en quête de la maîtrise pratique de la langue française moderne dans une logique d’employabilité. Dans ce contexte, les Instituts de philologie romane des universités polonaises ont développé plusieurs masters spécialisés, adoptant l’approche connue en France sous le nom de langue étrangère appliquée. Des stages professionnels obligatoires ont été insérés dans la maquette pédagogique ; de nouvelles spécialités sont apparues au sein des cursus de traduction. La prise en compte des besoins actuels de la société polonaise, n’affaiblit pas pour autant l’ambition des universités polonaises de fournir à leurs étudiants une culture philologique de qualité et de les former à la recherche en linguistique, littérature, traductologie et glottodidactique. Les compétences disciplinaires et épistémologiques, l’esprit critique et la compréhension du monde ainsi développés s’avèrent d’ailleurs très utiles dans le monde du travail en pleine mutation.
Penser le futur du français à l’université en Pologne
Ce jubilé a permis de penser l’avenir, envisager un nouvel horizon d’action et identifier les défis que le milieu académique doit relever dans les prochaines années. Il est donc nécessaire pour le développement des philologies romanes en Pologne et dans le monde, de s’appuyer sur la jeune génération de chercheurs et professeurs.
En définitive, les deux notions qui caractérisent la vie associative de Plejada au cours de ces vingt dernières années et qui, sans nul doute, prévaudront pour l’avenir, sont la persévérance et la coopération.
Rédactrices :
• Aurore PETIT, chargée de mission scientifique et universitaire à l’Institut français de Pologne
aurore.petit[at]diplomatie.gouv.fr
• Emeline QUINTIN, chargée de mission scientifique et universitaire à l’Institut français de Pologne
emeline.quintin[at]diplomatie.gouv.fr
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