Forum de Paris sur la paix - "L’avenir de l’Ukraine à la croisée des chemins" - Intervention introductive de Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères (Paris, 11 novembre 2024)

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Madame la Ministre, chère Elina [Valtonen],

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Monsieur le Président,

Monsieur le Directeur général du Forum de Paris sur la paix,

Chère Oleksandra [Matviïtchouk],

Chers amis,

Le soutien à l’Ukraine pour mettre en échec l’agression russe est et restera notre priorité. Celle de la France tout d’abord, mais aussi et surtout celle de l’Europe. Parce que c’est en Ukraine que se joue aujourd’hui la défense des principes fondamentaux de l’ordre international, la sécurité du continent européen, et au-delà, des enjeux plus globaux tels que la sécurité alimentaire ou la sécurité nucléaire. En défendant sa souveraineté, en combattant pour sa liberté, le peuple ukrainien se dresse courageusement contre la loi du plus fort, contre le révisionnisme, contre la remise en cause par la Russie des règles internationales dont elle devrait être la garante. Le combat mené par les Ukrainiennes et les Ukrainiens pour leur liberté et leur indépendance est aussi notre combat.

Depuis désormais près de 1.000 jours, avec un courage qui force notre admiration, l’Ukraine exerce son droit à la légitime défense face à une guerre d’agression brutale, illégale, injustifiable. Lors de mon premier déplacement en Ukraine, j’ai tenu symboliquement à me rendre à Soumy, à 40 km du front, pour visiter les troupes ukrainiennes, ce qui était aussi une manière de leur rendre hommage. 1.000 jours de guerre en Ukraine, ce sont 1000 jours de pilonnage systématique et délibéré d’objectifs civils, d’exactions et de violations répétées des droits de l’Homme et du droit international humanitaire. De destruction infligée aux infrastructures énergétiques portuaires et céréalières, avec les conséquences qui en résultent pour le reste du monde.

Le calcul de la Russie repose sur notre lassitude, notre démobilisation et nos divisions. Peut-être que la Russie mise plus que jamais sur ces facteurs, confrontés à ses propres difficultés pour faire face à un front uni. Je n’ai pas de doute sur notre capacité à préserver notre détermination et notre unité.

Et face aux spéculations sur ce que seront les positions ou les initiatives d’une nouvelle administration américaine, je crois surtout qu’il ne faut pas en préjuger et qu’il convient de se donner le temps de travailler avec elle. Le Président de la République l’a dit au président élu Donald Trump lors de leur premier échange téléphonique après les élections : la France se tient prête à travailler avec la nouvelle administration, avec ambition et avec conviction.

Avec ambition, car nous pensons qu’il faut donner à l’Ukraine les moyens de repousser l’agression russe. L’Union européenne et la France ont pris et continueront de prendre toute leur part dans cet effort, et j’y reviendrai. C’est en maintenant cette détermination que nous serons force d’entraînement.

Avec conviction ensuite, car l’Ukraine, et au-delà la communauté internationale auraient trop à perdre de l’imposition par la Russie de la loi du plus fort. Je l’ai dit à l’Assemblée générale des Nations unies, la guerre menée par la Russie en Ukraine est une guerre ouverte contre l’ordre et le droit international. Aucun État membre des Nations unies n’a intérêt à ce que la Russie impose un tel précédent au XXIe siècle. Il en va de notre sécurité et de notre crédibilité collective.

Nous continuons de penser qu’il appartient aux Ukrainiens de définir le moment et les conditions dans lesquelles ils voudront engager un processus de négociation. L’Ukraine a proposé une formule de paix que nous soutenons et qui nous a conduit récemment à organiser à Paris une conférence sur la sureté et la sécurité nucléaire. L’Ukraine s’est toujours montrée ouverte aux initiatives, pour autant qu’elle en soit partie prenante. Rien en effet ne saurait se faire sur l’Ukraine sans les Ukrainiens. L’Ukraine compte de nombreux et solides amis et soutiens parmi les membres du parti républicain aux États-Unis. Le président Zelensky a rencontré le président élu Donald Trump à de nombreuses reprises. Je ne doute pas qu’une relation forte sera établie avec la nouvelle administration, ni de notre capacité à préserver l’unité transatlantique sur les enjeux de la guerre en Ukraine.

Pour notre part, notre détermination, celle du Président de la République, à soutenir l’Ukraine est intacte. Dans le domaine militaire, nous avons développé de nouveaux axes en complément des livraisons de missiles, de canon Caesar, de bombes guidées, que nous poursuivons. La France est aujourd’hui le premier pays à former et équiper une brigade entière sur son sol, la brigade Anne de Kiev, qui sera prête au combat en 2025. Les premiers Mirage 2000 seront livrés à l’Ukraine dès le premier trimestre 2025. Le groupe franco-allemand KNDS a ouvert une filiale en Ukraine pour accélérer sa coopération avec l’industrie de défense ukrainienne.

C’est un partenariat de long terme que nous construisons avec l’Ukraine, dans le sillage de notre accord de sécurité conclu le 26 février 2024.

Dans le domaine civil, et en particulier à l’approche de l’hiver, nous apportons un soutien à la fois humanitaire, avec l’envoi de matériel et la réhabilitation d’infrastructures énergétiques, mais aussi économique, avec la pleine mobilisation de nos entreprises. Un fond bilatéral de 200 millions d’euros a été créé le 7 juin 2024 pour soutenir la reconstruction des infrastructures critiques ukrainiennes, et 25 projets d’investissement ont d’ores et déjà été identifiés avec la partie ukrainienne. Sur ces 200 millions d’euros, 60 millions seront consacrés aux besoins les plus urgents dans le secteur énergétique. L’Agence française de développement engage la mise en œuvre de l’enveloppe de 600 millions d’euros dont elle a été dotée.

Nous agissons enfin dans d’autres domaines de soutien très concrets à la population ukrainienne, tels que l’éducation, la santé ou encore le déminage, avec des projets de formation, de réhabilitation thermique d’écoles, d’hôpitaux. Des actions conçues dans la durée. L’une d’entre elles me tient particulièrement à cœur, j’en ai parlé avec Oleksandra : c’est le soutien de la France aux enfants ukrainiens. Pour les enfants qui subissent les conséquences de la guerre sur le territoire ukrainien, pour les enfants qui ont été déportés ou transférés de force en Russie, la France s’engage avec ses partenaires internationaux. J’ai eu l’occasion de le démontrer à Paris le 4 octobre, avec mon homologue canadienne Mélanie Joly, ainsi que lors de mon déplacement à Kiev les 19 et 20 octobre, où j’ai rencontré des enfants rapatriés de Russie. Ces enfants seront l’avenir de l’Ukraine et je forme le vœu qu’ils s’épanouissent dans un pays souverain, libre, prospère, et en paix.

Notre soutien à l’Ukraine revêt aussi une dimension éminemment européenne. Face au choc du 24 février 2022, l’Union européenne a démontré sa détermination, son unité, sa force et son autonomie. Il faut rappeler une vérité : l’Union européenne est première contributrice à l’assistance civile et militaire à l’Ukraine depuis le début de la guerre, avec 118 milliards d’euros. Nous avons réussi à mettre en place des outils européens ambitieux : la facilité européenne pour la paix, qui a permis des livraisons d’équipements et de fournitures militaires en réponse aux besoins formulés par l’Ukraine ; la facilité Ukraine, qui œuvre à la reconstruction et au soutien économique à hauteur de 50 milliards d’euros ; et la mission EUMAM, qui offre un cadre structuré et mutualisé, permettant de démultiplier l’offre de formation et d’entraînement au combat au profit des forces armées ukrainiennes. Le prêt de 50 milliards de dollars décidé par les pays du G7, et dont le remboursement sera assuré par les recettes provenant de l’immobilisation des actifs souverains russes, et dont l’Union européenne prendra une part conséquente, permettra de nous donner la visibilité nécessaire pour la poursuite de notre soutien en 2025. Ce nouveau dispositif ne coûtera rien au contribuable américain ni aux contribuables européens.

Réfléchir au futur de l’Ukraine, c’est aussi imaginer ce que pourrait être une paix juste et durable. Celle-ci passe par la lutte contre l’impunité. Depuis le début de la guerre d’agression russe, la France apporte tout son concours à l’Ukraine en matière de lutte contre l’impunité. La France n’oublie pas et n’oubliera pas Boutcha, comme elle n’oubliera pas les crimes commis sur le territoire ukrainien depuis près de trois ans, à Irpin, à Izioum, à Marioupol, à Olenivka et dans toutes ces villes du pays dont les infrastructures civiles ont été méthodiquement ciblées par la Russie pour causer des dommages maximaux à la population. Aucune exaction, aucune violation du droit international humanitaire, aucun crime de guerre ou crime contre l’Humanité ne doit être oublié. Car il n’y aura pas de paix sans la justice.

Je salue à ce titre la récente ratification par l’Ukraine du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, dont elle deviendra à partir du 1er janvier prochain le 125e membre.

S’il est un chemin de l’Ukraine qui paraît bien balisé, et j’en finirai par-là, c’est celui conduisant à l’adhésion à l’Union européenne. Le peuple ukrainien s’est exprimé bien des fois au cours des 10 dernières années sur la voie qu’il souhaite pour son pays. Il y a 10 ans s’exprimait déjà sur le Maïdan le choix du peuple ukrainien de rejoindre l’Union européenne. Indéniablement, les lendemains de l’Ukraine seront européens. La décision du Conseil d’octroyer le statut de pays candidat et l’ouverture des négociations en juin dernier sont des étapes historiques auxquelles je suis très fier d’avoir participé dans mes précédentes fonctions. Le rapport de progrès de la Commission, ce que nous observons du rythme des réformes, nous rend confiants dans la capacité de l’Ukraine à avancer dans la voie des négociations.

Je crois qu’en un sens, l’Ukraine n’en est plus à la croisée des chemins, malgré les immenses défis posés par la guerre. Grâce à la ténacité du peuple ukrainien, nous savons que ce chemin est désormais irréversible.

Je vous remercie.