Forum de Paris sur la paix - "Empêcher la fracture mondiale : l’étape suivante dans l’égalité d’accès à l’IA" - Intervention de Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères (Paris, 11 novembre 2024)

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=Traduction de l’anglais=

Bonjour à tous mes copanélistes.

Je suis ravi d’être ici, au Forum pour la paix de Paris, pour vous parler de cette nouvelle révolution informatique, l’IA générative.

Pour en parler, je crois que le mieux, c’est de tirer un peu les leçons du passé. À mon avis, il y a eu trois échecs collectifs qu’on a faits pour gérer la vague précédente de transformation numérique ou de révolution numérique. Et si nous tirons les leçons de ces trois échecs, nous pourrons peut-être aborder cette nouvelle vague de façon plus bénéfique, où que l’on se trouve dans le monde. Quels sont ces trois échecs ? Le premier, c’est l’absence de concurrence. Deuxième échec : manque d’inclusion. Troisième échec : manque d’accent sur les droits de l’Homme, pour ainsi dire.

D’abord, la concurrence. Dans beaucoup de d’industries liées à la technologie, on n’a pas forcément pris conscience de la rapidité à laquelle ces secteurs pouvaient se concentrer, parce que quand on voit croître une grande entreprise dans le domaine de la tech, on a eu tendance à l’interpréter comme la nécessité de passer à l’échelle, pour pouvoir avoir des produits plus efficaces, plus efficients. Et en un sens, c’était effectivement le cas. Mais ce qu’on a constaté ensuite dans certains secteurs de la tech, c’est l’émergence de très grands acteurs qui sont en mesure d’agir de façon monopolistique. Ils sont si grands, si puissants, ces acteurs, qu’ils viennent perturber quelque chose qui est très important pour nous, à savoir le bon fonctionnement des Etats et, parfois, des démocraties.

Comment doit-on aborder cette difficulté dans l’aire de l’IA générative ? En étant très attentifs à nos politiques concurrentielles et en veillant à ce que, au fur et à mesure qu’évolue l’IA, on ne voit pas émerger d’énormes monopoles qui vont étouffer la concurrence et nous poser de grands problèmes dans 10 ou 15 ans. Ça, c’était donc pour gérer ce que j’appelais notre premier échec.

Le deuxième échec, c’est, je le disais, celui de l’inclusion, le manque d’inclusion. C’est vrai, si vous voulez, entre pays du Nord et du Sud, par exemple. Mais c’est également vrai au sein des pays, disons, occidentaux ou du Nord. Prenez la France, par exemple. On a utilisé le numérique comme une façon de "simplifier la vie" de nos concitoyens. Donc ce qu’on a fait, c’est qu’on a pris nos formalités administratives, toute notre bureaucratie, si lourde, tout ça a été transformé en PDF et mis en ligne. Et nous nous sommes contentés de dire : "C’est formidable. C’est un miracle. Le numérique nous permet d’inclure plus de gens dans la société, va nous permettre de faciliter l’accès de nos concitoyens à tous ces services." Et c’est le contraire qui s’est passé. En numérisant des choses complexes, on les rend encore plus complexes pour tout un pan de la population française. On estime aujourd’hui qu’il y a un tiers de la population française qui se sent éloignée du numérique et qui qui connait encore plus de difficultés pour accéder à ces services administratifs qu’avant la révolution informatique. Et je ne vous parle pas de l’IA générative, je vous parle en fait de la toute première vague de transformation numérique. Et bien sûr la même chose est vraie pour la planète, si vous voulez, au niveau mondial. Comme la transformation numérique n’avait pas été partagée avec le monde du Sud, disons, la façon dont elle s’est faite a aggravé l’écart entre pays, disons, riches et pauvres.

Donc comment est-ce qu’on travaille ? Comment est-ce qu’on règle ce problème de manque d’inclusion ? On met en place les mécanismes nécessaires pour veiller à ce que les ressources cruciales dont on a besoin pour l’IA générative soient partagées de façon appropriée dans le monde, avec tout d’abord l’expertise, la donnée - la data - et les capacités computationnelles. Ces trois choses ont besoin d’être partagées pour que tout le monde puisse bénéficier de cette révolution. Et dans des sociétés comme la France, plutôt que de faire ce que nous avons fait la dernière fois, nous pouvons pourrions commencer du point de vue de ceux qui ont le plus de mal - qui sont sous-privilégiés, si vous voulez - à accéder à ces services, et nous veillons à ce que pour ces personnes cette IA générative soit quelque chose de bénéfique, qui leur apporte vraiment quelque chose.

Troisième échec après l’échec sur le plan de la concurrence et sur celui de l’inclusion, il y a le plan des droits de l’Homme. On a beaucoup parlé des questions de protection des données privées dans le domaine numérique. On a amélioré les choses en termes de réglementation. Peut-être même que l’Europe est allée un peu trop loin avec toutes ces réglementations très strictes, qui sont bonnes pour la protection des données privées, mais qui ont eu tendance à étouffer un peu le potentiel d’innovation. Mais il y a certaines choses qui n’ont pas été faites en revanche. Et tout d’abord, la protection des enfants en ligne. Nous sommes dans un pays de 70 millions d’habitants. Dans ce pays, il est interdit d’exposer les enfants à la pornographie. Si vous faites le tour de ce bâtiment avec des images pornographiques et que vous les montrez à des enfants, vous pouvez faire de la prison. Et pourtant, dans ce pays, il y a 2 millions d’enfants chaque mois qui sont exposés à des contenus pornographiques en ligne. Et ceux qui exposent les enfants à ces contenus pornographiques, au contraire de ce qui se passerait si vous, vous aviez une pancarte dehors, dans la rue, ne se retrouveraient jamais devant un tribunal ou en prison.

Donc il y a des choses à faire, que ce soit ici, en France, ou ailleurs dans le monde. Il faut veiller à ce que ces nouvelles technologies ne soient pas utilisées d’une façon qui porte atteinte au droit fondamentaux des êtres humains. Et ça, ça exige de regarder les choses de très près et de faire de la recherche. Mais heureusement, nous allons vivre un moment très important avec le premier prochain Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle qui aura lieu en février [2025] à Paris. Nous avons des gens formidables - dont certains sont sur scène avec moi - et de grandes idées, pour veiller à ce que cette nouvelle révolution de l’IA soit mise au service des êtres humains et partagée de façon équitable avec toute la planète.