Forum de Paris sur la paix - "À la hauteur de ses objectifs ? Comment revitaliser l’ONU ?" - Intervention introductive de Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères (Paris, 11 novembre 2024)
Madame la Présidente,
Mesdames les Ministres,
Mesdames et Messieurs,
J’étais la semaine dernière au Sénat pour un moment très important : l’adoption à l’unanimité par le Sénat, après l’adoption à l’Assemblée nationale, de l’accord BBNJ, du traité international sur la haute mer et la biodiversité marine, qui peut potentiellement permettre de protéger la moitié de nos océans. Voilà un exemple du multilatéralisme efficace sous l’égide des Nations unies. Alors évidemment, il reste du chemin à parcourir puisque, avec cette adoption, la France est le 15e pays à ratifier le traité BBNJ, le premier de l’Union européenne, le premier du G7 et le premier du G20. Et comme vous le savez, il faut atteindre 60 ratifications pour que le traité devienne contraignant, et c’est ce à quoi nous allons nous employer, dans les semaines et les mois qui viennent. Et c’est un exemple important qu’il faut reproduire.
Aujourd’hui, les Nations unies sont critiquées pour leur paralysie, et pourtant, aujourd’hui, elles poussent parfois les portes de l’enfer pour y sauver des vies, là où tant d’autres ne vont plus. Les Nations unies sont parfois critiquées pour être biaisées, alors que pourtant, elles sont les gardiennes de la Charte qui nous unit tous, et que malheureusement, certains, y compris parmi les membres permanents, violent largement.
Pour ce qui nous concerne, vous le savez, la France est profondément attachée à l’ordre international, fondé sur les règles de droit et des principes clairs. Ceux établis par la Charte des Nations unies, comme l’intégrité territoriale et la souveraineté des États, mais aussi comme la coopération entre les nations, le développement durable et la solidarité entre les pays. Cet attachement historique, nous le revendiquons et nous le répétons pour faire primer le droit sur la force, partout et dans toutes les situations. Nous condamnons les violations du droit international et du droit international humanitaire partout, et dans toutes les situations. En Israël, par le Hamas. À Gaza, par Israël. En Israël, par le Hezbollah. Au Liban, par Israël. Au Soudan, par les forces armées. En Irak, par les bourreaux des Yézidis. En Arménie, par l’Azerbaïdjan. En Ukraine, par la Russie.
Cet attachement historique ne nous empêche pas d’être profondément animés par un esprit de réforme et une volonté d’adapter l’ONU aux équilibres d’aujourd’hui et aux grands défis contemporains. J’évoquais la protection des océans. Nous serons à nouveau à l’initiative, à Nice, au mois de juin 2025, pour accueillir la 3e Conférence des Nations unies pour l’océan. Je pense aussi au changement climatique, et vous pourrez compter sur la France pour marquer, pour célébrer, le 10e anniversaire de l’Accord de Paris, par un appel à l’ambition et au renforcement des contributions déterminé au niveau national.
Je pense enfin à l’intelligence artificielle. En février prochain, la France accueillera le Sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle, qui permettra d’ailleurs de rendre opérationnel le pacte numérique mondial adopté aux Nations unies. Cette révolution numérique doit être mise au profit des populations. Elle ne doit donc pas creuser davantage la fracture numérique, mais au contraire servir les objectifs de développement durable. C’est ce que nous proposerons, et c’est exactement le sujet que j’aborderai dans la session suivante consacrée à l’intelligence artificielle.
La fracture entre pays du Nord et pays du Sud n’est par ailleurs pas seulement une fracture numérique. Et vous le savez, la France croit profondément au lien unique qu’est celui de la solidarité internationale. C’est pourquoi le Président de la République a pris l’initiative du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial en juin 2023. Et c’est pourquoi la France porte la réforme de l’architecture financière internationale, ce qu’elle fera à nouveau ce jour au Forum, et en juin à Séville, à l’occasion de la 4e conférence sur le financement du développement. Plus de 60 Etats ont endossé le Pacte de Paris pour les peuples et la planète, un agenda ambitieux pour que chaque pays puisse se développer tout en protégeant notre planète et sa population des conséquences désastreuses du changement climatique.
Réformer l’ONU, c’est s’adapter à ces défis. C’est aussi réformer ses institutions. Je pense au Conseil de sécurité, que nous devons rendre plus efficaces et plus représentatif, pour qu’il soit toujours plus légitime dans ses décisions. La France, je le redis ici, est favorable à ce que le Conseil de sécurité soit élargi. L’Afrique doit y être mieux représentée, et nous demandons que deux sièges de membres permanents soient octroyés à des États africains. La France plaide dans ce sens depuis près de 20 ans, aux côtés de l’Allemagne, du Japon, de l’Inde et du Brésil.
Nous savons que cela est difficile, mais le 80e anniversaire des Nations unies l’an prochain offre une opportunité unique pour avancer. Pas avec des incantations, non ; avec un texte. Il doit aussi représenter un moment fort de la réforme de toute l’organisation pour faire en sorte que ses programmes et ses agences agissent ensemble, de concert et de manière coordonnée. Le secrétaire général des Nations unies joue un rôle central dans cette réforme. Antonio Guterres a ainsi amélioré en profondeur la structure des Nations unies en donnant des responsabilités claires et fortes aux coordonnateurs résidents, présents dans les différents pays, en renforçant la prévention, en améliorant la gestion des Nations unies. Et la France soutient ses grandes initiatives en vue de cette réforme. Elle rappelle aussi l’importance cruciale du maintien de la paix et de ses opérations, qui sont parfois décriées, parfois à juste titre, mais dont on constate ou déplore le manque quand elles sont parties. La France soutient aussi le rôle d’initiative du secrétaire général des Nations unies afin de peser dans le règlement des crises internationales, des affaires globales et pour le respect des droits, y compris au sein même de l’organisation. La récente stratégie du secrétariat sur la protection contre la violence et la discrimination à l’égard des personnes LGBTIQ+ est un exemple. Il faut le suivre et le développer.
Pour l’avenir, la France est favorable à ce que le processus de sélection et de désignation du nouveau secrétaire général, et plus largement des personnalités importantes qui l’entourent, donne toute leur place aux candidatures féminines. La France a plaidé en ce sens lors de la négociation du Pacte pour l’avenir ; il est grand temps.
Tout cela, la France le dit aussi en français, comme je suis en train de le faire, langue officielle et langue de travail des Nations unies.
Je vais désormais céder la parole à nos quatre panélistes, que je remercie beaucoup pour leur présence aujourd’hui à ce Forum. Elles nous honorent. Je vous propose d’écouter leur expérience et leur vision de l’avenir du multilatéralisme pour nous en inspirer, en vue de cette réforme.
Je vous remercie.