Conférence ministérielle sur le maintien de la paix ( Accra, le 6 décembre 2023)
Discours de Béatrice Le Fraper du Hellen, directrice des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la Francophonie
Prononcé
Madame la Secrétaire générale,
Mesdames, Messieurs,
Je joins tout d’abord ma voix à ceux qui ont remercié et félicité les autorités ghanéennes pour l’organisation de cette conférence à un moment important, dans une atmosphère à la fois très chaleureuse et très professionnelle.
Je salue également toute l’équipe de l’Organisation des Nations Unies, notamment les Secrétaires généraux adjoints Jean-Pierre LACROIX, et Atul KHARE.
Chers collègues,
En cette année du 75ème anniversaire des Casques bleus, il est important que nous nous retrouvions pour redire le rôle essentiel qu’ils jouent dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Sur tous les continents, les Casques bleus ont sacrifié leur vie pour servir cet idéal de paix, nous avons été plusieurs ici à rendre hommage à la mémoire des 4337 Casques bleus décédés en mission depuis 1948, aux 56 Casques bleus tombés en 2023.
Je cite ces chiffres car nous ne pouvons pas rester indifférents lorsque ces soldats qui portent ce très iconique casque bleu et défendent ce très iconique également drapeau bleu des Nations Unies se voient attaqués physiquement sur le terrain mais se voient aussi cibles de discours de haine, et je ne peux que rejoindre tous les panélistes et les intervenants qui ont estimé que nous devions intervenir collectivement face à ces attaques contre la sécurité et la réputation de nos Casques bleus.
Mesdames, Messieurs,
J’évoquerai aujourd’hui trois points.
1/ Tout d’abord, le maintien de la paix reste très pertinent pour la paix et la sécurité au 21ème siècle.
Plus de 70 000 Casques bleus sont aujourd’hui déployés dans le monde au sein de 12 opérations.
Avec la diminution des effectifs et du nombre de missions, et plus récemment des demandes de départ précipité de Casques bleus dans certaines situations, on a entendu une petite musique négative - ce sont les doutes qu’évoquait ma collègue de la Gambie dans son intervention. Certains en concluent que le maintien de la paix dans la forme que nous connaissons est passé.
Nous croyons comme d’autres que le maintien de la paix n’a jamais été aussi nécessaire : après avoir fait 43 000 victimes civiles en 2023, nous savons déjà que les conflits armés vont impacter les civils de manière exponentielle dans les années qui viennent.
Sur le rôle des soldats de maintien de la paix, je crois qu’on a cité l’exemple très présent et très éloquent d’abord du Liban, où aujourd’hui même les Casques bleus (9 500 et plus d’un millier de civils en soutien) s’efforcent de faire respecter le cessez-le-feu, protègent les civils contre les violences et surtout s’efforcent d’éviter un embrasement régional qui serait catastrophique.
Cela ne signifie pas bien sûr que les opérations de maintien de la paix que nous créons ont vocation à s’éterniser dans tel ou tel pays. Le but premier reste de créer un espace nécessaire au règlement politique durable.
La ministre de la Défense du Portugal le disait très bien ce matin, il faut co-construire avec les autorités locales, avec la société civile, des espaces de sécurité où la transition politique peut se faire, où un processus électoral peut se dérouler.
Nous avons eu un exemple positif, tout près d’ici, tout près du Ghana, en Côte d’Ivoire où l’ONUCI a été fermée après avoir contribué à la stabilisation du pays. C’est donc possible.
2/ Deuxième point, la France veut jouer tout son rôle dans le soutien au maintien de la paix.
En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, nous travaillons en tant que plume sur plusieurs opérations de maintien de la paix, et nous tenons à travailler en étroite coordination avec les États hôtes, les autres pays contributeurs de troupes, afin que les mandats adoptés par le Conseil de sécurité soient robustes, réalistes et ajustés aux situations locales.
Il y a une intense réflexion avant l’adoption des résolutions du Conseil de sécurité sur les mandats pour assurer cette convergence entre les objectifs et la situation, le contexte particulier du pays.
Je vais me féliciter, à ce titre, de l’excellente coopération qui a présidé aux dernières concertations sur la MINUSCA avec la République centrafricaine et sur la MONUSCO avec la République démocratique du Congo.
Beaucoup d’intervenants avant moi ont souligné qu’une fois définis les mandats, il convient de faire en sorte que les capacités soient adaptées.
La France en réponse à cette nécessité s’investit dans le maintien de la paix en déployant près de 700 Casques bleus sur le terrain, principalement au Liban, que j’évoquais tout à l’heure.
Outre cette présence, car il est important de connaître le terrain et de voir les opérations de maintien de la paix de près, et non pas simplement depuis nos capitales, outre cette présence la France maintient un effort soutenu en matière de formation des Casques bleus.
Je ne vais pas vous lire le « pledge » (engagements), mais notre objectif est de former 10 000 soldats par an à travers 3 axes :
- premier axe : 8 centres d’entraînement au maintien de la paix à travers le monde où la France a détaché des coopérants militaires (l’un de ces centres, le Ghana le connait très bien puisque c’est le Kofi Annan International Peacekeeping Training Center) ;
- deuxième axe : le soutien à des formations spécifiques organisées par le Secrétariat. La France contribuera prochainement à des programmes de formation mobile des Casques bleus ; et nous allons tenir à Paris en janvier prochain la première session francophone du cours Conseillers militaires Genre ;
- un dernier axe : ce sont les formations linguistiques ; nous les menons directement, comme d’autres pays dans cette salle l’ont mentionné, en lien avec l’Organisation internationale de la Francophonie.
Tous ces efforts nécessitent des moyens financiers bien sûr, et, outre sa contribution au barème des opérations de maintien de la paix à hauteur de 300 millions de dollars par an, la France est le 1er soutien financier aux initiatives du Département des opérations de paix et du Département du soutien opérationnel dans le cadre du programme Action pour le maintien de la paix +, avec plus de 4 millions de dollars en 2023.
3/ Troisième point, nous devons penser l’avenir du maintien de la paix.
Nous avons entendu aujourd’hui beaucoup de propositions : c’est le sens du Nouvel Agenda pour la paix souhaité par le Secrétaire général et auquel nous avons fait des contributions.
Nous souhaitons notamment, et cela a été dit, relancer les processus politiques sur lesquels sont adossées les opérations de maintien de la paix. On ne peut pas maintenir la paix quand personne ne veut de la paix : il faut une transition politique, il faut un objectif politique.
Il faut également mieux intégrer les efforts de l’ONU et des organisations régionales en utilisant tous les leviers à notre disposition.
Et comme d’autres avant moi, je souhaite vraiment relever l’effort qui est fait en ce moment au Conseil de sécurité pour approfondir le sujet du soutien des Nations Unies aux opérations régionales de paix, en particulier les opérations africaines de paix.
Dans ce cadre, les efforts du Ghana pour présenter une résolution au Conseil de sécurité, et pour tenter d’aboutir cette année à une résolution cadre permettant de fixer les critères d’un financement partagé de ces opérations, sont tout à fait exemplaires.
À travers cet exemple, nous constatons que le maintien de la paix évolue : après les opérations de première génération, dont certaines sont encore en place, après les opérations de seconde génération ou multidimensionnelles, nous allons voir un nombre croissant d’opérations régionales autorisées et soutenues par les Nations Unies, comme la récente décision concernant la Mission de Soutien à la Sécurité en Haïti.
Ces opérations auront toutes vocation, à un moment ou à un autre, à coexister afin d’offrir à la communauté internationale la palette la plus large d’instruments.
Cela nécessite d’exercer un contrôle stratégique transversal et un appui opérationnel afin d’assurer la cohérence de ces différents types d’opérations, le respect des cadres de conformité en matière de droits de l’Homme et aussi, c’est un élément clef, pour continuer à former de manière convergente, avec des standards convergents, les soldats et les policiers qui auront vocation à servir dans ces opérations.
C’est pour nous une tâche essentielle qui attend le Département des Opérations de paix et les États-membres, collectivement.
Je vous remercie./