Discours du Président de la République à l’Assemblée générale des Nations Unies (New-York, le 19 septembre 2017)

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Monsieur le Secrétaire Général des Nations Unies,
Mesdames et Messieurs les Chefs d’État et de Gouvernement,

Si j’ai aujourd’hui le privilège de m’exprimer devant vous, je sais à qui je le dois. Je le dois à tous ceux qui, voici un peu plus de soixante-dix ans, se sont levés contre un régime barbare qui s’était emparé de mon pays, la France. Je le dois aux Nations qui ont entendu le cri de ces résistants et qui, d’Amérique, d’Afrique, d’Océanie, d’Asie, ont, vers les côtes françaises, envoyé à leurs secours leurs filles et leurs fils. Ils ne savaient pas tous ce qu’était la France, mais ils savaient que la défaite de la France était aussi la défaite d’idéaux qu’ils partageaient, dont ils étaient fiers et pour lesquels ils étaient prêts à mourir. Ils savaient que leur liberté et leurs valeurs, dépendaient de la liberté d’autres femmes, d’autres hommes vivant à des milliers de kilomètres d’eux.

Je le dois à ceux qui, la guerre finie, ont osé la réconciliation et ont reconstruit un nouvel ordre international. A ceux qui, comme René CASSIN, ont compris que les Droits de l’Homme étaient au cœur de la légitimité internationale. A ceux qui ont jugé les coupables, recueilli les victimes, réparé les fautes, à ceux qui ont voulu croire que les valeurs, que cette guerre avait bafouées, devaient reprendre leur place, les valeurs de tolérance, de liberté, d’humanité qui sont fondatrices des Nations unies. Pas parce que ces valeurs étaient belles, mais parce qu’elles étaient justes et permettaient d’éviter que le pire n’advienne.

Si je vous dis tout cela, ça n’est pas simplement pour vous parler d’Histoire, mais lorsqu’aujourd’hui, j’entends nombre de nos collègues parler du monde tel qu’il va, ils oublient un peu de cette Histoire dont nous venons, et que ce qui nous paraît exotique ou si loin de nous, si loin de nos intérêts immédiats est peut-être ce qui détermine et déterminera le plus nos vies.

Mesdames et Messieurs, si mon pays aujourd’hui possède, dans l’ordre des Nations, cette place un peu singulière, cela lui confère une dette, une dette à l’égard de tous ceux qu’on a privés de leur voix. Et je sais que le devoir de la France est de parler pour ceux qu’on n’entend pas. Car parler pour eux, c’est aussi parler pour nous, aujourd’hui ou demain. Et en ce jour, ce sont ces voix oubliées que je veux porter.

J’ai entendu Bana, citoyenne d’Alep, et c’est sa voix que je veux ici porter. Elle a vécu sous la terreur des bombardements, des polices et des milices, elle a connu les camps de réfugiés. Le peuple syrien a assez souffert pour que la Communauté internationale prenne acte d’un échec collectif et s’interroge sur ses méthodes.

Pour établir une paix durable et juste, il y a urgence à nous concentrer sur le règlement politique de la crise, par la transition, comme le Conseil de sécurité l’a acté à l’unanimité dans la résolution 2254, de 2015. La France est à l’initiative, avec ses partenaires, pour soutenir les efforts des Nations unies et enclencher enfin une feuille de route politique inclusive en Syrie. C’est pour cela que je souhaite que nous puissions lancer un groupe de contact avec tous les membres du P5 et l’ensemble des parties prenantes. Aujourd’hui, le format dit « d’Astana » peut être utile, mais il ne suffit pas. Et ces derniers jours ont mis en lumière bien des difficultés.

Donnons-nous les moyens réels d’enclencher les négociations. Car la solution sera, à terme, politique, et non militaire. C’est notre intérêt à tous, et d’abord bien entendu celui des Syriens.

Dans ce contexte, j’ai indiqué quelles étaient nos deux lignes rouges. D’abord une intransigeance absolue sur l’emploi d’armes chimiques. Les auteurs de l’attaque du 4 avril dernier devront être traduits devant la Justice internationale, et cela ne doit plus jamais se produire.

Ensuite, l’absolue nécessité d’aménager les accès aux soins de tous et toutes, de permettre les structures médicales, de protéger les populations civiles. La France a décidé d’en faire l’une des priorités de sa présidence du Conseil de sécurité le mois prochain.

Agir pour le pays en Syrie, c’est agir pour le peuple syrien, mais c’est aussi nous protéger tous du terrorisme islamiste. Car en Syrie, en Irak, c’est contre le terrorisme que nous nous battons au premier chef. Nous agissons pour tous ceux qui ont péri dans ces attaques au cours des derniers mois. Car le terrorisme djihadiste a frappé sur tous les continents nos concitoyens, quelle que soit leur religion. Nous devons ainsi tous nous protéger en unissant nos forces, et notre sécurité devient la première priorité. C’est le sens des initiatives que la France porte pour lutter contre l’utilisation d’Internet par les terroristes, et contre toutes les sources de leur financement.

C’est pourquoi j’ai souhaité que nous puissions organiser en 2018 une conférence sur ce combat durant laquelle je vous appelle toutes et tous à vous engager. Mais c’est aussi le sens de l’action militaire que la France mène au sein de la Coalition en Syrie et en Irak, dans le respect du Droit international. Ce combat contre le terrorisme, il est militaire, il est diplomatique, mais il est aussi éducatif, culturel, moral. Il passe par notre action au Moyen-Orient en Afrique, mais aussi en Asie, et il doit tous et toutes nous réunir.

J’ai entendu Ousmane, écolier à Gao, et c’est sa voix que je veux ici porter. Son enfance se passe au Mali dans la hantise des attentats aveugles. Et pourtant, son seul rêve est d’aller à l’école sans risquer la mort. Au Sahel, nous sommes tous et toutes désormais engagés. Nations unies, pays de la région au sein de la Minusma et de la Force conjointe du G5, Union européenne et ses États-membres, et je veux ici rendre hommage à tous ces acteurs en rappelant que c’est un effort particulièrement douloureux et cher en vies humaines.

Notre défi est aujourd’hui, là aussi, d’éradiquer le terrorisme, et pour ce faire, de renforcer les capacités nationales pour que les États eux-mêmes prennent en charge leur sécurité. Quels que soient les moyens que nous mettrons, nous ne réussirons pas dans notre mission collective si les pays les plus concernés ne sont pas en mesure d’assumer leurs propres responsabilités. C’est pourquoi j’ai soutenu, dès ma prise de fonction, le déploiement de la force conjointe du G5 Sahel, et j’en appelle ici à votre mobilisation collective.

C’est pourquoi aussi je veux m’investir dans le renforcement du soutien aux opérations africaines de paix, car c’est cela, l’avenir. Nous devons repenser collectivement l’articulation entre maintien de la paix, organisations régionales et pays hôtes. Et notre capacité à répondre aux aspirations de paix des populations en dépend.

Assurément, la réponse militaire ne pourra jamais être la seule réponse, et je veux ici insister sur la nécessité d’une réponse politique, et je pense bien sûr à la mise en œuvre de l’Accord d’Alger et a notre politique de développement.

J’ai entendu aussi Kouamé, et c’est sa voix que je veux ici porter. Jeté sur les routes, il a traversé l’Afrique avant de remettre son sort en Libye entre les mains de passeurs. Il a traversé la Méditerranée, il est parvenu à bon port, quand tant d’autres périssaient en mer. Le réfugié, le déplacé, ou celui qu’on appelle tristement le « migrant », est en réalité devenu le symbole de notre époque. Le symbole d’un monde où aucune barrière ne pourra s’opposer à la marche du désespoir, si nous ne transformons pas les routes de la nécessité en route de la liberté.

Ces migrations sont politiques, climatiques, ethniques ; ce sont à chaque fois ces routes de la nécessité. La nécessité, c’est aujourd’hui la fuite, face aux persécutions dont sont victimes les Rohingyas. Plus de 400.000 réfugiés dont la majorité sont des enfants. Les opérations militaires doivent cesser, l’accès humanitaire doit être assuré, et le droit rétabli face à ce qui est, nous le savons, un nettoyage ethnique. La France prendra l’initiative au Conseil de sécurité sur ce sujet.

La nécessité, c’est le départ pour sauver sa famille quand la guerre fait rage et que le droit international humanitaire n’est plus respecté, mais instrumentalisé, comme en Syrie dans la stratégie de violence des acteurs ; l’exil, quand les défenseurs de la liberté sont les premières cibles des pouvoirs en place. La protection des réfugiés est un devoir moral et politique dans lequel la France a décidé de jouer son rôle. En soutenant le Haut-commissariat aux Réfugiés partout où il doit intervenir, en ouvrant des voies légales de réinstallation au plus proche des zones de conflit, au Liban, en Jordanie, en Turquie, mais aussi au Niger et au Tchad, en défendant le droit d’asile et le respect absolu de la convention de Genève.

Le 28 août dernier à Paris, nous avons réuni des pays africains et européens les plus directement concernés par les flux migratoires sur la route de la Méditerranée centrale. Nous avons adopté une feuille de route dont la priorité est de lutter contre les trafiquants qui font commerce de la misère. Nous devons mettre un terme aux violations insupportables des droits fondamentaux en mettant en place une infrastructure humanitaire avec le HCR et l’OIM, en aidant les pays d’origine et de transit à mieux contrôler les flux.

Mais si, face au terrorisme, aux migrations, les réponses de court terme s’imposent afin de gérer les crises, c’est notre volonté politique de traiter les causes profondes de toutes ces instabilités qui est aujourd’hui en jeu. Ces migrations, ce terrorisme, ce sont des défis politiques avant tout, profonds, pour nous tous et toutes. Car les causes profondes, morales, civilisationnelles, si nous voulons les relever, c’est par une véritable politique de développement que nous pouvons le faire.

C’est pourquoi j’ai décidé que la France jouerait son rôle en fixant l’objectif de consacrer 0,55 % de notre revenu national pour l’aide publique au développement d’ici cinq ans.

Je vous remercie pour vos applaudissements, mais je veux les tempérer en quelque sorte. D’abord parce que je sais que certains attendent davantage et que ça n’est jamais assez et la France aujourd’hui n’est pas suffisamment à ce rendez-vous ; mais surtout parce que ça n’est pas tellement l’argent qui est la question principale. C’est l’efficacité de cet argent. C’est ce à quoi nous le destinons. C’est de mieux évaluer, c’est de mieux être en responsabilité sur cet argent, que tous et toutes nous mettons.

Alors, oui, je veux que la France soit au rendez-vous de l’aide publique au développement mais je veux surtout que cette aide publique au développement fasse l’objet de plus d’innovations, de plus d’intelligence, de méthodes différentes, d’une plus grande responsabilité sur le terrain, c’est cela ce que je veux avec vous. L’enjeu aujourd’hui c’est que cette aide publique au développement arrive bien sur le terrain de manière simple, efficace, en étant évaluée, aille bien à la destination initialement recherchée, c’est cela ce que nous avons voulu faire par exemple avec l’Alliance pour le Sahel que nous avons lancée avec l’Union européenne, la banque mondiale et le PNUD.

Ensuite, c’est d’avoir des priorités claires, la première c’est d’investir dans l’éducation parce que c’est par l’éducation que nous gagnerons cette bataille contre l’obscurantisme, celle qui est aujourd’hui en train de faire basculer des pays, des régions entières, en Afrique comme au Proche et Moyen-Orient. Et j’appelle ici la communauté internationale à être au rendez-vous en février 2018 à Dakar pour la reconstitution du partenariat mondial pour l’éducation que la France coprésidera avec le Sénégal. C’est une bataille essentielle que nous mènerons là, c’est celle qui consiste précisément à donner la possibilité aux jeunes filles et aux jeunes garçons de ne pas sombrer dans l’obscurantisme, de pouvoir choisir leur avenir, pas celui qui leur sera imposé par nécessité ou celui que nous leur choisirions ici dans cette salle.

La deuxième priorité c’est d’investir dans la santé, dans la lutte contre les grandes pandémies et contre la malnutrition parce qu’aucun espoir n’est permis quand on ne peut pas se former ni se soigner. Dans ce combat pour le développement nous avons aussi besoin de soutenir la place des femmes, la culture et la liberté d’expression. Partout où la place de la femme est remise en cause, bafouée, c’est le développement qui est bloqué, c’est la capacité d’une société à s’émanciper, à prendre sa juste place qui est ainsi bloquée, ce ne sont pas des sujets de société anodins, c’est un combat de civilisation profond, c’est notre combat, ce sont nos valeurs et elles ne sont pas relatives, elles sont éminemment universelles sur tous les continents, toutes les latitudes. Partout où la culture est bafouée là aussi c’est notre capacité collective à relever ces défis qui est réduite.

C’est pourquoi l’UNESCO est aujourd’hui une institution particulièrement essentielle et a à cet égard un rôle clé, conserver au monde un visage humain quand tant d’obscurantismes voudraient en supprimer l’incroyable diversité. C’est pour que la culture et la langue de chacun vivent et perdurent que nous nous battons pour que continue le progrès de l’esprit. Et la liberté d’expression est elle aussi une bataille dont l’actualité n’est pas moins importante. L’ONU a vocation à protéger la liberté de ceux qui pensent, réfléchissent, s’expriment et notamment la liberté de la presse. C’est pourquoi j’appelle à la désignation d’un représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies sur la protection des journalistes dans le monde car en aucun cas la lutte contre le terrorisme, le durcissement du monde dans lequel nous vivons ne saurait justifier la réduction de cette liberté.

Je parle enfin au nom de Jules, mon compatriote, vivant sur l’île de Saint-Martin, je songe à sa maison détruite, à sa peur que cela ne recommence encore et encore parce que le réchauffement climatique multiplie les catastrophes. L’avenir du monde c’est celui de notre planète qui est en train de se venger de la folie des hommes, la nature nous rappelle à l’ordre et nous intime d’assumer notre devoir d’humanité et de solidarité. Elle ne négociera pas, il revient à l’humanité de se défendre en la protégeant. Les dérèglements climatiques font voler en éclats la traditionnelle opposition entre le Nord et le Sud, les plus fragiles sont toujours les premières victimes emportées dans un tourbillon d’injustices, nous sommes tous frapper par les emballements terribles du climat de la Chine aux Caraïbes en passant par la Russie ou la corne de l’Afrique.

Mon pays devant cette assemblée avait promis un accord universel à paris, il a été obtenu et signé dans cette salle. Cet accord ne sera pas renégocié, il nous lie, il nous rassemble, le détricoter serait détruire un pacte qui n’est pas seulement entre les états mais aussi entre les générations. Il pourra être enrichi de nouvelles contributions, de nouveaux apports mais nous ne reculerons pas. Je respecte profondément la décision des États-Unis et la porte leur sera toujours ouverte mais nous continuerons avec tous les gouvernements, avec les collectivités locales, les villes, les entreprises, les ONG, les citoyens du monde à mettre en œuvre l’Accord de Paris. Nous avons pour nous la force des pionniers, l’endurance, la certitude et l’énergie de ceux qui veulent construire un monde meilleur et, oui, ce monde meilleur créera de l’innovation, des emplois n’en déplaise à ceux et celles qui veulent croire que l’avenir ne se regarde qu’en arrière.

Nous le construirons sans attendre en mettant en œuvre nos contributions comme la France l’a fait en adoptant son plan Climat qui la place sur le chemin de la neutralité carbone. En rassemblant à Paris le 12 décembre prochain tous ceux qui sont décidés à avancer autour de solutions concrètes en mobilisant les financements publics et privés et je confirme ici que la France y prendra sa part en allouant cinq milliards d’euros par an à l’action sur le climat d’ici à 2020. Nous redoublerons d’ambitions en présentant dès cet après-midi un pacte mondial pour l’environnement dont l’ambition sera de forger le droit international du siècle qui vient avec l’appui des agences de l’ONU. Quand certains voudraient s’arrêter nous devons continuer à avancer, à aller plus loin parce que le réchauffement climatique, lui, ne s’arrête pas, parce que nos dérèglements ne s’arrêtent pas, parce que notre devoir de solidarité et d’humanité ne s’arrête pas.

Mesdames et Messieurs, derrière chacun de nos décisions il y a ces voix, il y a ces vies, il y a le cortège invisible de ceux que nous devons défendre parce qu’un jour on nous a nous-mêmes défendus. Toutes ces voix qui appellent pourquoi ne les entendons-nous pas davantage ? Pourquoi ne savons-nous plus faire ce qui voici 70 ans avait redonné à l’humanité entière la force de croire en elle, la responsabilité planétaire, le goût de l’entraide, la foi dans le progrès ? Et oui, lorsque je vous parle de Bana, d’Ousmane, de Kouamé ou de Jules je parle de mes concitoyens, je parle de vos concitoyens et de chacun d’entre eux car nos intérêts, notre sécurité ce sont aussi les leurs ! Nous sommes irrémédiablement liés les uns aux autres dans une communauté de destins pour aujourd’hui et pour demain. Alors les équilibres du monde, oui, ont profondément changé ces dernières années, le monde est redevenu multipolaire, cela veut dire qu’il nous faut réapprendre la complexité du dialogue mais aussi sa fécondité.

Notre action collective se heurte à l’instabilité des états, ainsi de la Libye, six ans après son intervention armée je prends acte devant cette assemblée de la responsabilité particulière de la France pour que ce pays retrouve la stabilité. La rencontre de La Celle-Saint-Cloud du 25 juillet dernier a permis de faire avancer la réconciliation indispensable à la réussite du processus politique sous l’égide des Nations Unies. Aux côtés du secrétaire général et de son représentant spécial nous devons parvenir en 2018 à l’organisation d’élections qui marqueront le début d’une restauration effective de l’État et j’y mettrai toute mon énergie. Ainsi pour le Venezuela l’action collective doit maintenir dans ce pays le respect de la démocratie, le respect de toutes les forces politiques et ne rien céder aux tendances dictatoriales qui sont aujourd’hui à l’œuvre. Ainsi en Ukraine nous devons inlassablement là aussi faire respecter les engagements pris et permettre le cessez-le-feu effectif et progressivement comme nous le faisons avec l’Allemagne tout particulièrement permettre là aussi aux parties en présence de respecter le droit international et parvenir à la fin de ce conflit.

Le multilatéralisme peine à faire face aux défis de la prolifération nucléaire, il ne parvient pas à conjurer des menaces que nous pensions à jamais révolues et qui sont réapparues brutalement dans notre présent. Ainsi Pyongyang a franchi en le revendiquant un seuil majeur dans l’escalade militaire. La menace nous concerne tous immédiatement, existentiellement, collectivement. A ce jour, la Corée du nord n’a donné aucun signe d’une volonté de négocier, ses dirigeants s’enferment dans une surenchère acharnée, notre responsabilité avec tous nos partenaires dont la Chine et la Russie est de ramener par la fermeté à la table des négociations d’un règlement politique de la crise. La France refusera toute escalade et ne fermera aucune porte au dialogue, si les conditions sont réunies pour que ce dialogue soit utile à la paix.

C’est ce même objectif qui me conduit à défendre l’accord nucléaire avec l’Iran. Notre engagement sur la non prolifération nucléaire a permis d’obtenir, le 14 juillet 2015, un accord solide, robuste et vérifiable, qui permet de garantir que l’Iran ne se dotera pas de l’arme nucléaire. Le dénoncer aujourd’hui, sans rien proposer d’autre, serait une lourde erreur. Ne pas le respecter serait irresponsable. Parce que c’est un accord utile, essentiel à la paix, à l’heure où le risque d’une spirale infernale ne saurait être exclu. C’est ce que j’ai dit hier aux États-Unis et à l’Iran.

Je souhaite, pour ma part, que nous complétions cet accord par un travail qui permettra d’encadrer l’activité balistique de l’Iran, par un travail qui permettra d’encadrer la situation après 2025 que ne couvre pas l’accord de 2015. Soyons plus exigeants, mais en rien ne détricotons ce que les accords précédents ont déjà permis de sécuriser. Regardons la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, avons-nous, par l’absence de dialogue, mieux endiguer la situation en Corée du Nord ? Pas une seule seconde. Partout où le dialogue, le contrôle, le multilatéralisme se dote d’armes efficaces, il est utile. C’est cela ce que je veux pour nous tous et toutes.

Alors, je ne sais si mon lointain successeur aura, dans soixante-dix ans, le privilège de s’exprimer devant vous. Le multilatéralisme survivra-t-il à la période de doutes et de dangers que nous connaissons ? En vérité, il faudrait que nous nous souvenions de l’état du monde, voici soixante-dix ans, brisé par la guerre, stupéfait par les génocides. Il faudrait que nous retrouvions aujourd’hui l’optimisme, l’ambition, le courage que nous avons opposés à ces raisons de douter, que nous retrouvions foi en ce qui nous unit. C’est-à-dire que nous retrouvions confiance en ces valeurs fondatrices de l’ONU qui sont universelles et qui protègent les individus partout sur la planète et garantissent leur dignité.

Mais Mesdames et Messieurs, pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Parce que nous avons laissé s’installer que le multilatéralisme était en quelque sorte un sport confortable, un jeu pour diplomates assis, l’instrument des faibles, c’est cela ce qui s’est passé depuis tant et tant d’années. Parce que nous avons laissé croire qu’on était plus crédibles et plus forts lorsqu’on agissait de manière unilatérale. C’est faux. Parce que nous avons laissé croire, parfois par cynisme, que le multilatéralisme ne pouvait pas tout régler.

Alors, nous avons laissé les dérèglements du monde prendre le dessus. Nous avons trainé à régler le réchauffement climatique, à traiter des inégalités contemporaines qu’un capitalisme déréglé s’est mis à produire. Nous avons laissé des voix discordantes s’élever. Mais à chaque fois, c’est la voix du plus fort qui l’emporte à ce jeu. Nous avons, par langueur, par oubli de l’Histoire qui nous a faits, nous avons laissé s’installer l’idée qu’on est plus forts hors du multilatéralisme.

Mais notre défi contemporain, celui de notre génération, c’est de savoir le refonder. C’est d’expliquer qu’aujourd’hui, dans le monde tel qu’il va, il n’y a rien de plus efficace que le multilatéralisme. Pourquoi ? Parce que tous nos défis sont mondiaux : le terrorisme, les migrations, le réchauffement climatique, la régulation du numérique, tout cela, nous ne les règlerons qu’à l’échelle de la planète, de manière multilatérale. A chaque fois que nous acceptons que ce ne soit pas le multilatéralisme, alors nous laissons la loi du plus fort l’emporter.

Parce que, oui, mes amis, consacrer notre vision du monde, c’est par le multilatéralisme que nous pourrons le faire. Parce que cette vision est universelle. Elle n’est pas régionale. Parce qu’à chaque fois que nous avons cédé à certains qui disaient que la place de la femme, c’était l’affaire de quelques-uns, à un certain bout de la planète, mais pas des autres, que l’égalité entre les citoyens, c’était l’affaire d’une civilisation, mais pas d’une autre, nous avons abandonné ce qui nous a rassemblés ici, dans ce lieu, l’universalité de ces valeurs. Là aussi, nous avons cédé, dans certains pays, à la loi du plus fort.

Parce qu’à chaque fois que les grandes puissances, assises à la table du Conseil de sécurité, ont cédé à la loi du plus fort, ont cédé à l’unilatéralisme, ont pu dénoncer des accords qu’elles avaient elles-mêmes signés, elles n’ont pas respecté le ciment du multilatéralisme qui est la règle du droit. C’est cela ce qui nous a fait, c’est cela qui construit la paix dans la durée.

Alors oui, aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin du multilatéralisme, non pas parce que ce serait un mot confortable, non pas parce que ce serait en quelque sorte un refuge pour gens intelligents. Parce que le multilatéralisme, c’est la règle du droit, c’est l’échange entre les peuples, c’est l’égalité de chacune et chacun d’entre nous, c’est ce qui permet de construire la paix et de relever chacun de nos défis.

Alors oui, pour ce faire, l’Organisation des Nations unies a toute légitimité pour agir et préserver les équilibres du monde. C’est pourquoi je veux une ONU plus responsable, plus efficace, plus agile et je soutiens pleinement le projet du secrétaire général des Nations unies, son ambition, sa volonté de porter une organisation à l’échelle des défis de la planète. Nous avons besoin de sortir de nos bureaux, des rencontres entre États et entre Gouvernements pour aller chercher d’autres énergies, pour représenter différemment le monde tel qu’il est et pour revenir sur des dogmes dans lesquels nous nous sommes parfois installés.

Nous avons besoin d’un Conseil de sécurité qui puisse prendre des décisions efficaces et ne pas être enfermé dans le droit de veto, quand des atrocités de masse sont commises. Nous avons besoin d’une meilleure représentation de toutes les forces en présence de tous les continents. Nous avons besoin d’une articulation dans la gestion des crises, avec l’Union européenne, l’Union africaine, les organisations sous-régionales qui sont des acteurs essentiels. C’est pourquoi la France sera là, aux côtés des Nations unies, pour la réforme en cours.

Pour conclure, Mesdames et Messieurs, je voulais vous dire que les voix oubliées que j’ai voulu porter ce jour ne peuvent résonner que dans une enceinte comme celle-ci. Une enceinte où chacun a sa place, où chacun peut se faire entendre de ceux qui ne veulent pas écouter. A ceux-ci, je dirai : ne pas écouter la voix des opprimés et des victimes, c’est laisser leur malheur grandir, prospérer, jusqu’au jour où il nous frappera tous. C’est d’oublier que nous-mêmes, chacune et chacun, à un moment de notre Histoire, nous avons été ces opprimés et d’autres ont entendu nos voix. C’est oublier que notre sécurité, c’est leur sécurité, que leur vie engage la nôtre et que nous saurions restés indemnes dans un monde qui s’embrase.

Ne pas écouter ceux qui nous appellent à l’aide, c’est croire que les murs et les frontières nous protègent. Mais ce ne sont pas les murs qui nous protègent. C’est notre volonté d’agir, c’est notre volonté d’influencer le cours de l’Histoire. C’est notre refus d’accepter que l’Histoire s’écrive sans nous, pendant que nous nous croyons à l’abri. Ce qui nous protège, c’est notre souveraineté et l’exercice souverain de nos forces au service du progrès. C’est cela l’indépendance des Nations dans l’interdépendance qui est la nôtre.

Ne pas écouter ces voix, c’est croire que leur misère n’est pas la nôtre. Que nous posséderons pour toujours les biens dont ils ne pourront que rêver. Mais lorsque ce bien, c’est la planète, lorsque ce bien, c’est la paix, la justice, la liberté, pensez-vous que nous puissions en jouir seuls, dans un coin ?

Si nous ne prenons pas la défense de ces biens communs, nous serons tous balayés. Nous laissons s’enflammer des brasiers où demain l’Histoire jettera nos propres enfants.

Oui, aujourd’hui encore plus qu’hier, nos biens communs, c’est aussi notre intérêt, notre sécurité, c’est aussi leur sécurité. Il n’y aurait pas d’un côté l’irénisme de ceux qui croient à la règle de droit et au multilatéralisme et, de l’autre côté, le pragmatisme de certains unilatéraux. C’est faux.

Notre efficacité réelle se joue dans ce combat ici. Alors, avec vous, je veux croire aujourd’hui dans un multilatéralisme fort, responsable. C’est la responsabilité de notre génération, si elle ne veut pas laisser place à la fatalité. Nous n’avons qu’un courage à avoir, Mesdames et Messieurs, celui d’entendre ces voix, celui de ne pas dévier de la trace que nous devons laisser dans l’Histoire et celui, à chaque instant, de considérer que nous devons réconcilier notre intérêt et nos valeurs, notre sécurité et les biens communs de la planète. Notre génération n’a pas le choix, car elle doit parler pour aujourd’hui et pour demain.

Je vous remercie.