Union européenne - Déclaration de Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, à son arrivée au Conseil Affaires étrangères (Bruxelles, 23 juin 2025)
Je suis aujourd’hui à Bruxelles, avec les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne. Nous allons évidemment aborder la question de l’Iran, celle de Gaza et celle de l’Ukraine, dans un moment où nous sommes très préoccupés par le risque d’une escalade qui pourrait être dévastatrice au Proche-Orient et avoir des conséquences très lourdes pour la stabilité du monde. C’est pourquoi nous appelons à la retenue, nous appelons à l’arrêt des frappes, nous appelons l’Iran à ne prendre aucune mesure susceptible d’aggraver encore une situation qui est d’ores et déjà extrêmement dégradée et qui pourrait avoir des conséquences très lourdes, y compris pour la France et pour l’Europe.
Nous l’avons dit à de nombreuses reprises, le programme nucléaire iranien constitue un risque existentiel pour Israël, pour la région, mais aussi pour la France et pour l’Europe. Nous avons dit depuis de nombreux mois et de nombreuses années que le programme balistique de l’Iran soulève des risques significatifs pour la sécurité du territoire national, pour la sécurité de l’Europe.
Nous avons dénoncé le soutien de l’Iran à des groupes terroristes qui ont contribué ces dernières années à déstabiliser le Proche-Orient et nous avons dénoncé avec beaucoup de force la détention arbitraire par l’Iran de nos compatriotes, et je veux avoir ce matin une pensée pour Jacques Paris et Cécile Kohler, otages depuis trois ans, détenus dans des conditions indignes, assimilables à de la torture.
Mais s’agissant du programme nucléaire, nous avons dit avec beaucoup de force également qu’il n’y a pas de solution durable à ce problème par la voie militaire, et que seule la négociation permettra durablement d’encadrer strictement le programme nucléaire iranien et d’apporter des réponses durables à ces questions, à ces problématiques existentielles pour Israël, pour la région et pour l’Europe.
Nous le disons parce que nous en avons la conviction, instruits par les efforts engagés il y a dix ans par les Européens, qui ont abouti, et c’est le seul exemple dont nous disposons, à un retour en arrière substantiel du programme nucléaire iranien. C’est l’Europe, à l’époque, qui avait mené ces efforts, efforts que les Etats-Unis ont rejoints, avant, quelques années plus tard, de sortir de l’accord sur le nucléaire iranien.
Aujourd’hui, l’Europe peut apporter son expérience, sa compétence, sa connaissance fine de ces questions, pour ouvrir un espace de négociation conduisant à un encadrement de ces activités déstabilisatrices de l’Iran. C’est ce que nous avons démontré vendredi dernier à Genève avec l’Allemagne et le Royaume-Uni, où nous avons ouvert un dialogue avec les autorités iraniennes, dialogue dont nous souhaitons qu’il puisse se poursuivre pour aboutir à un règlement définitif de ces questions et à une résolution par la négociation de ces problèmes qui touchent à notre propre sécurité.
De la même manière, nous rejetons toute tentative d’organiser un changement de régime par la force. Nous croyons dans le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et nous faisons confiance au peuple iranien, qui a résisté héroïquement contre le régime, dont nous avons dénoncé les agissements, pour disposer de son propre avenir, pour choisir par lui-même du moment et des circonstances de changer de régime. Il serait illusoire et dangereux de penser que, par la force et par les bombes, on peut provoquer un tel changement.
Je veux enfin, s’agissant de la situation en Iran, rappeler que la priorité du Président de la République, celle du Gouvernement, c’est la sécurité de nos ressortissants et de nos agents. J’ai accueilli hier soir 160 ressortissants français qui étaient en Israël et que nous avons ramenés en France par un vol affrété. Un deuxième suivra aujourd’hui, un troisième mardi.
En parallèle, avec le ministre des armées, nous avons mobilisé des avions militaires dont le premier pourra, je l’espère, se poser dès aujourd’hui en Israël, pour contribuer à permettre à nos ressortissants les plus fragiles, en situation de vulnérabilité, de regagner le territoire national. Nous allons poursuivre ces efforts en explorant toutes les possibilités, de manière à pouvoir permettre à chacune et à chacun d’avoir une solution adaptée à ses moyens et à ses capacités.
Rien de tout cela ne nous fait oublier la situation à Gaza, où nous appelons à un cessez-le-feu immédiat, à la libération de tous les otages du Hamas, à l’entrée sans entrave, immédiate, de l’aide humanitaire.
Aujourd’hui, nous discuterons du rapport publié par la Haute représentante de l’Union européenne sur le respect par Israël de l’accord d’association qui le lie avec l’Union européenne. Ce constat établit clairement qu’Israël a violé l’article 2 de cet accord, qui touche au respect des droits de l’Homme. Nous allons avoir une discussion sur ce rapport, sur ce constat, dont il faudra tirer les conséquences lors du prochain Conseil des affaires étrangères au mois de juillet.
Dans ce contexte, nous restons déterminés à reconnaître l’Etat de Palestine dans un mouvement collectif impliquant l’ensemble des parties prenantes et visant à crédibiliser, à rendre possible la solution politique au conflit israélo-palestinien, une solution à deux Etats reposant sur des garanties données aux deux peuples, et en particulier des garanties de sécurité données par l’ensemble des acteurs à Israël, et la possibilité donnée au peuple palestinien de disposer de l’Etat auquel il aspire légitimement.
C’est dans ce contexte que nous préparons activement la conférence des Nations unies, coprésidée par la France et par l’Arabie saoudite, que nous avons dû reporter pour des raisons sécuritaires et logistiques.
Evidemment, rien de tout cela ne nous fait oublier la situation en Ukraine, où la Russie, la nuit dernière, a encore fait la démonstration de sa cruauté sans limite en visant délibérément des cibles civiles avec des attaques meurtrières de missiles et de drones.
Cependant, l’économie russe souffre de plus en plus de cette campagne coloniale menée depuis trois ans par Vladimir Poutine, qui épuise les ressources de l’économie russe, ressources qui vont encore être dégradées par le paquet de sanctions dont nous allons discuter aujourd’hui, le plus important sans doute depuis 2022 et qui va accroître considérablement la pression sur Vladimir Poutine pour qu’il accepte de cesser le feu et de s’ouvrir à des négociations conduisant à une paix juste et durable en Ukraine.
Le peuple russe doit savoir que, dans cette aventure impérialiste dans laquelle Vladimir Poutine continue de précipiter son pays, il est en train d’asphyxier considérablement son économie et d’appauvrir la Russie, alors qu’il pourrait, en s’engageant dans des négociations de bonne foi, en acceptant le principe d’une paix juste et durable, qui respecte l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine, offrir à son peuple un avenir meilleur.
Q - (Inaudible).
R - La France n’a ni participé à ces frappes, ni à leur planification.
Q - (Inaudible).
R - Nous appelons toutes les parties à la retenue. Et ce que j’ai dit, je le répète, si nous voulons durablement, pour les années, pour les décennies qui viennent, obtenir un encadrement très strict du programme nucléaire iranien, la seule manière d’y parvenir, c’est par la négociation. Pourquoi ? Parce que si les frappes israéliennes et les frappes américaines ont conduit à retarder - sans doute considérablement, les analyses nous le diront - la capacité de l’Iran à se doter d’un programme nucléaire, rien n’empêchera à l’avenir l’Iran de le faire si nous n’y parvenons pas par la négociation. Tout le monde le sait, pour les années, les décennies à venir, si nous voulons régler ce problème existentiel pour Israël, pour la région et pour nous-mêmes, il faudra, d’une manière ou d’une autre, passer par la négociation. Et dans ce cadre, l’Europe a un rôle majeur à jouer, puisqu’il y a dix ans, c’est l’Europe qui a trouvé la solution et la bonne formule pour obtenir de l’Iran un retour en arrière considérable et robuste sur son programme nucléaire. De la même manière, aujourd’hui, c’est encore l’Europe qui peut apporter une contribution décisive à ces négociations conduisant à un retour en arrière considérable et robuste du programme nucléaire iranien, de son programme balistique et de son soutien aux activités de déstabilisation dans la région, qui ont posé des problématiques majeures ces dernières années et qui ont entraîné la région dans le gouffre.
Q - Mais est-ce que vous pensez franchement que maintenant il y a une possibilité de négociation avec l’Iran ?
R - Je vous le redis. Quel est l’objectif recherché ? L’objectif recherché, ça n’est pas seulement de retarder temporairement l’accès de l’Iran à l’arme nucléaire. Pour nous, Européens, il s’agit de le retarder durablement. Il s’agit de faire en sorte que l’Iran ne puisse jamais accéder à l’arme nucléaire. La seule manière d’y parvenir, à moins, bien sûr, d’engager une guerre éternelle contre l’Iran, la seule manière de parvenir à un retour en arrière durable, robuste, vérifiable, pour les années et les décennies à venir, c’est par la négociation, c’est par un accord contraignant comme celui que nous avons obtenu il y a dix ans. Si quelqu’un a une autre idée, je l’invite à se signaler.
Q - La France soutient maintenant le zéro nucléaire pour l’enrichissement iranien, c’est un changement de position ? Pourquoi ?
R - La France a soutenu depuis des mois maintenant l’idée d’un accord robuste qui traite à la fois du programme nucléaire, des questions balistiques, c’est-à-dire de la question des missiles, mais aussi de la question des activités de déstabilisation dans la région. C’est la seule manière de pouvoir adresser, de pouvoir traiter toutes les problématiques de sécurité, celles qui concernent la sécurité d’Israël, la sécurité de la région et la sécurité européenne.
Q - Vous avez été informé à l’avance des frappes américaines sur l’Iran ?
R - Je vous ai répondu, chère madame.
Q - (Inaudible)
R - Mais c’est très clair, nous avons, par l’accord que nous avons trouvé il y a dix ans, je le disais, obtenu un retour en arrière très substantiel du programme nucléaire iranien. Cet accord arrive à expiration dans quelques mois. Soit nous parvenons collectivement à un accord contraignant le programme nucléaire iranien et, je le disais, sa dimension balistique, mais aussi les activités de déstabilisation régionale de l’Iran et alors, il y a une possibilité de ne pas réappliquer les sanctions qui avaient été levées il y a dix ans. Soit nous n’y parvenons pas, et alors nous n’aurons d’autre choix que de réappliquer toutes les sanctions que nous avions levées il y a dix ans.