Déclarations de Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, à son arrivée à la réunion informelle du Conseil Affaires étrangères (Luxembourg, 20 octobre 2025)
Je suis ici à Luxembourg pour une réunion des ministres des Affaires étrangères européens. Nous allons aborder la situation en Ukraine où le régime de Vladimir Poutine est en échec militairement, politiquement et économiquement. Depuis mille jours, il n’a réussi à conquérir qu’1% de la surface du territoire ukrainien. Son économie est à l’agonie, asphyxiée par l’effort de guerre en Ukraine, par les frappes ukrainiennes qui ont éteint un cinquième de la capacité de raffinage russe, et puis par les sanctions auxquelles Vladimir Poutine continue d’exposer son propre peuple. Dans ce contexte, il est utile que les autorités américaines puissent poursuivre leurs échanges et discussions avec les autorités russes.
Mais soyons clairs, la présence de Vladimir Poutine sur le territoire de l’Union européenne n’a de sens que si elle permet d’acter un cessez-le-feu immédiat et sans condition. Et d’ailleurs, Vladimir Poutine a intérêt à accepter le principe d’un cessez-le-feu immédiat car le temps joue contre lui. En effet, nous allons, dans les prochaines semaines, donner à l’Ukraine les moyens de se défendre pendant au moins trois ans grâce à un prêt que la Commission européenne va consentir à l’Ukraine et qui sera remboursé le moment venu grâce aux réparations que la Russie versera à l’Ukraine. Un prêt qui permettra à l’Ukraine de se doter d’armes pour se défendre et notamment, bien évidemment, d’armes européennes. Et puis en parallèle, nous allons poursuivre notre politique de pression sur le régime de Vladimir Poutine avec un 19e paquet de sanctions qui sera adopté dans les prochains jours, je l’espère, qui vise notamment les infrastructures énergétiques russes et les principaux acteurs du raffinage, je pense en particulier à Rosneft ou à Gazprom Neft.
Et puis je proposerai aujourd’hui que nous puissions engager le travail sur un 20e paquet de sanctions qui ciblera quant à lui les acteurs, les États qui continuent directement ou indirectement à soutenir l’effort de guerre russe. D’ici là, nous allons continuer à mettre la pression sur ce que l’on appelle la flotte fantôme de la Russie, c’est-à-dire ses navires qui permettent à la Russie de continuer à exporter son pétrole en dépit des sanctions et des restrictions que nous avons décidées conjointement avec nos partenaires du G7, nous allons entraver la circulation de ces navires après les avoir sanctionnés en partenariat avec les pays membres de la Coalition des volontaires que le président de la République, le Premier ministre britannique et le chancelier allemand continuent d’animer.
Nous aborderons aujourd’hui également la question de Gaza et du Proche-Orient, un mois jour pour jour après la réunion à New York présidée par la France et l’Arabie saoudite qui a ouvert la voie au plan de paix présenté par les États-Unis le 29 septembre dernier, plan de paix auquel la France entend bien prendre toute sa part. Je déplore les violations récentes du cessez-le-feu avec les frappes israéliennes à Gaza qui faisaient suite à des attaques contre les soldats. Toutes les parties doivent respecter strictement les engagements qu’elles ont pris au terme de l’accord signé la semaine dernière à Charm el-Cheikh. Le Hamas quant à lui doit cesser les violences exercées contre les civils et restituer l’ensemble des dépouilles des derniers otages qui étaient détenus à Gaza. Dans l’immédiat, nous devons nous concentrer sur l’accès massif de l’aide humanitaire à Gaza et sur la sécurité. Sur l’accès massif de l’aide humanitaire à Gaza, tous les points de passage doivent désormais être ouverts. L’Europe se tient prête d’ailleurs à les sécuriser puisqu’elle est déjà présente au travers de sa mission EUBAM Rafah sur l’un de ces points de passage. Je proposerai que nous puissions renforcer cette mission pour qu’elle puisse prendre toute sa part non seulement à la sécurisation des passages des personnes mais aussi des biens qui doivent arriver en masse à Gaza pour soulager les souffrances des populations palestiniennes. Et puis sur la sécurité, il est essentiel que le comité d’administration prévu par le plan de paix du président Trump puisse être installé à Gaza de manière à ce que la police palestinienne puisse se déployer. Là encore, je proposerai que la mission EUPOL COPPS qui, aujourd’hui, contribue en Cisjordanie à la formation des policiers palestiniens, puisse se déployer à Gaza et dans les pays environnants pour pouvoir former les policiers palestiniens, pour pouvoir soutenir les réformes que nous attendons de l’Autorité palestinienne et pour pouvoir préparer le processus indispensable de désarmement du Hamas.
Je veux, par ailleurs, me féliciter de deux avancées majeures, sous l’impulsion française, qui concourent à l’autonomie stratégique de l’Europe, à notre indépendance, avec d’abord l’accord trouvé sur le programme dit EDIP, de développement de l’industrie de défense européenne. C’est un programme majeur qui va permettre de concevoir, de produire et d’acheter des armes européennes en sacralisant le principe de préférence européenne auquel nous sommes très attachés. Et je veux saluer le travail des parlementaires français, Nathalie Loiseau, Raphaël Glucksmann, François-Xavier Bellamy qui ont joué un rôle très important pour que cet accord puisse être trouvé il y a quelques jours.
Et puis, je veux me féliciter également de la proposition mise sur la table par Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission européenne, il y a quelques jours, pour protéger l’industrie sidérurgique européenne contre la concurrence déloyale avec des quotas, avec des droits de douane allant jusqu’à 50% à l’entrée de l’Union européenne pour faire en sorte que cette industrie qui est majeure et dont nous devons conserver la maîtrise puisse être préservée à l’avenir. Vous le voyez, l’Europe se réveille, elle prend en main son propre destin et grâce à ces réalisations majeures, elle s’approche de son autonomie stratégique.
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Q - Monsieur le Ministre, à Gaza, qu’est-ce que les Européens peuvent faire au-delà de payer pour la reconstruction comme on l’a déjà vu dans le passé ?
R - Sur la reconstruction et sur l’aide humanitaire, les Européens peuvent jouer un rôle important. La France co-organisera avec l’Égypte, avec les États-Unis et d’autres pays, une conférence dans les prochaines semaines dédiée à ce sujet. L’Europe est déjà présente sur le terrain avec deux missions, je les ai évoquées à l’instant. L’une qui a vocation à sécuriser les points de passage, un rôle essentiel au moment où nous appelons à l’entrée massive de l’aide humanitaire à Gaza ; l’autre qui a vocation à former les policiers palestiniens, elle aussi essentielle puisque pour la sécurité à Gaza, la sécurité des Gazaouis mais aussi la sécurité d’Israël, nous comptons sur le développement et le déploiement d’une police palestinienne qui sera quant à elle soutenue par une force internationale de stabilisation à laquelle un mandat sera donné par les Nations unies, mandat auquel nous travaillons avec nos partenaires britanniques et américains à l’heure où nous parlons à New York.
Q - Monsieur le Ministre, vous ne pensez pas que c’est une provocation en fait qu’Orbán veuille inviter Poutine en territoire européen ? C’est inacceptable.
R - Je vous l’ai dit, il est utile que les autorités américaines puissent échanger, poursuivre le dialogue avec les autorités russes. Mais cette présence annoncée de Vladimir Poutine sur le territoire de l’Union européenne n’a de sens que si elle permet d’acter un cessez-le-feu immédiat et sans conditions.
Q - Il y a une grande majorité qui veut les utiliser pour l’Ukraine mais malgré tout le dossier n’est toujours pas débloqué. Qu’est-ce qu’il faut pour débloquer ce dossier ?
R - Je crois que nous avançons. La Commission européenne a mis sur la table une proposition qui tient compte d’un certain nombre des paramètres auxquels les États membres étaient particulièrement attentifs. Et je le dis, si Vladimir Poutine a intérêt aujourd’hui à un cessez-le-feu, c’est parce que le temps joue contre lui. Et lorsque nous aurons adopté ce nouveau prêt que la Commission européenne va consentir à l’Ukraine et qui va lui permettre de résister pendant au moins trois ans, les conditions que nous voulons voir réunies pour que ce prêt puisse aboutir, c’est naturellement que les sommes consenties à l’Ukraine puissent lui permettre d’acquérir du matériel de défense et notamment du matériel européen. Je crois que nous avançons vers une solution qui va être une inflexion dans le conflit et qui va permettre à l’Ukraine de manière crédible de faire face à cette agression et se préparer à y mettre fin et à ce que nous connaissons par la suite, puisque nous y travaillons, c’est-à-dire un cessez-le-feu et un traité de paix qui sera garanti par la Coalition des volontaires que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne continuent d’animer.
=Traduit de l’anglais=
Q - Monsieur le Ministre, vous avez parlé de l’expansion de la mission des frontières. Est-ce que vous parlez juste d’avoir un nouveau rôle pour l’EUBAM Rafah ou est-ce que vous parlez de déployer l’UE à d’autres frontières aussi ?
R - Je pense que nous devons renforcer l’EUBAM Rafah et je pense que l’UE a la capacité de jouer un rôle important pour ces points d’entrée dans la bande de Gaza, pour assurer le passage des gens, mais aussi pour assurer le passage de l’aide humanitaire qui est très nécessaire maintenant à Gaza.
Q - Monsieur le Ministre, vous allez discuter de la Géorgie. Quelle est la position de votre pays et quelles initiatives avez-vous ?
R - Nous avons une discussion sur la Géorgie. Nous voulons permettre l’aspiration du peuple de Géorgie d’avancer vers le chemin européen.
Q - Monsieur le Ministre, le Financial Times affirme que Trump exhorte Zelensky à accepter les termes de Poutine ou l’Ukraine sera détruite par la Russie. Mais Trump a aussi parlé d’une opération spéciale militaire en utilisant la rhétorique de la Russie. Quelle est votre réaction ?
R - Encore une fois, comme je l’ai dit, la Russie, ou au moins le régime de Vladimir Poutine, est en échec militaire, politique et économique. Dans les derniers 1.000 jours, la Russie a pu acquérir seulement 1% du territoire ukrainien. Son économie se dégrade très rapidement sous la pression des ressources utilisées par la Russie pour alimenter la guerre en Ukraine, sous la pression des attaques ukrainiennes sur les infrastructures énergétiques qui ont déjà détruit près de 1,5% des raffineries russes et sous la pression des sanctions auxquelles Vladimir Poutine expose son propre peuple. Donc le temps joue contre la Russie.