Intervention de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères à l’occasion de la 49e session du Conseil des droits de l’Homme (28 février 2022)

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Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Les droits humains sont l’expression de notre commune humanité. Ils constituent aussi l’un des piliers de l’ordre multilatéral que nous avons construit pour tirer les leçons des tragédies du XXe siècle et prévenir leur retour.
Les violer ne revient donc pas seulement à renier les engagements que nous avons pris ensemble.
En nier la portée universelle ne relève pas seulement d’un relativisme qui fait le lit des pires dérives.
C’est toujours, en même temps, menacer la stabilité internationale et notre capacité d’action collective.

C’est pourquoi ce Conseil porte, au fond, une double responsabilité : en agissant pour faire respecter les droits fondamentaux des enfants, des femmes et des hommes du monde entier, nous travaillons très concrètement à contrer la très grave dynamique de brutalisation qui est aujourd’hui à l’œuvre dans la vie internationale. Ce qui est essentiel pour notre avenir à tous.

Je veux donc, cette année encore, vous le dire sans équivoque : ce Conseil peut compter sur l’engagement total de la France.

Engagement, à vos côtés, face aux risques d’exactions et de régressions qui naissent toujours des crises.

Je pense, bien sûr, à l’attaque militaire massive que Vladimir Poutine a choisi de lancer contre l’Ukraine. Aujourd’hui nous savons tous que la population ukrainienne est en grave danger et face à cela, nous devons faire preuve de la plus grande vigilance et de la plus grande fermeté.
En outre, alors que la guerre a fait son retour en Europe par le choix prémédité de la Russie, nous aurons à assumer collectivement les conséquences humanitaires de cette situation. Nous devons le faire de manière solidaire, de manière responsable, et de manière humaine. L’Union européenne, et la présidence française du Conseil de l’Union européenne, joueront leur rôle à cet égard.

Je pense à la crise que vit la population d’Afghanistan, depuis le coup de force commis par les Talibans en août dernier.
La question du respect des droits humains – en particulier les droits des femmes et des filles – est au cœur des exigences de la communauté internationale à l’égard du régime de fait qui s’est installé à Kaboul. Elle fait partie des préalables à toute normalisation de nos relations avec l’Afghanistan.
Et chacun peut malheureusement constater que nous sommes aujourd’hui encore loin du compte.

Je pense au calvaire que subit toujours le peuple syrien, après une décennie d’horreur.
A une situation humanitaire proprement catastrophique, s’ajoutent les bombardements qui se poursuivent à Idlib contre la population civile. Le scandale des crimes effroyables et pourtant toujours impunis, en particulier les attaques chimiques qui délibérément, froidement et méthodiquement ont pris pour cibles des civils. Les détentions arbitraires, qui restent monnaie courante. La terrible incertitude qui entoure le sort d’innombrables personnes disparues.
Si les réfugiés ne rentrent pas, c’est qu’ils savent que le régime ne fait aucun geste et que rien, dans ses actes, ne permet d’envisager un retour volontaire et digne.

Je pense à la sale guerre qui déchire le Yémen.
Au prix de violations du droit international humanitaire et des droits de l’Homme, que subissent les Yéménites depuis sept ans.
Et au prix d’une profonde déstabilisation de la région, à travers les attaques indiscriminées conduites sur les territoires émirien et saoudien.

Je pense à l’Éthiopie, où un engagement déterminé de toutes les parties est nécessaire pour mettre fin à l’emploi révoltant de violences sexuelles comme arme de guerre et lutter contre les discours de haine.

Je pense également au coup d’État inacceptable commis l’an dernier en Birmanie, où la junte a annihilé les espoirs exprimés lors d’élections libres et crédibles et a muselé l’opposition.

Je pense enfin aux coups d’État ou tentatives de coup d’État en Afrique de l’Ouest, qui nous préoccupent tous. Au Mali, nous souhaitons que la Haute-Commissaire aux droits de l’Homme suive avec attention la situation des civils, qui sont aujourd’hui exposés à une triple menace.

La menace des groupes armés terroristes.
La menace que représente pour tous les Maliens la dérive dictatoriale de la junte.
Et la menace constituée par la société militaire privée Wagner, que la junte a fait venir sur le sol malien, et dont nous ne connaissons que trop les exactions et les violations des droits de l’Homme sur d’autres théâtres.

Ce Conseil peut aussi compter sur l’engagement de la France pour mettre les exigences des droits humains au centre des réponses collectives que nous devons apporter aux immenses défis du XXIe siècle.

Les défis écologiques du dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité, face auxquels ce Conseil a su accorder une reconnaissance politique au droit à un environnement sain. Notre action dans ce domaine doit se poursuivre.

Le défi de l’égalité entre les femmes et les hommes. Qu’il s’agisse d’éducation, de santé, de travail, nous devons maintenant mettre en œuvre les projets actés lors du Forum Génération Égalité de l’été dernier.

Les multiples défis de la sphère numérique et informationnelle, qui appellent de nouvelles régulations et de nouvelles coopérations au service de nos libertés individuelles, de la liberté de la presse et de la liberté d’expression.

Et enfin les défis sociaux et humains de la mondialisation. Nous devons faire aboutir les travaux lancés ici-même, en 2014, pour mettre au point un instrument international juridiquement contraignant en matière de devoir de vigilance. Comme l’a fait la France au niveau national et comme nous travaillons à le faire au niveau européen avec nos partenaires des 27 et les institutions européennes.

Enfin, soyez certains de notre engagement pour travailler avec vous à briser la chape de secret et de déni dont s’entourent partout les plus graves violations des droits humains, les pratiques arbitraires et les remises en cause de l’État de droit.

Avec vous, nous demandons donc de nouveau l’accès en toute indépendance et sans entrave de la Haute-Commissaire aux droits de l’Homme à la région autonome ouïghoure du Xinjiang, ainsi que la publication d’un rapport crédible et indépendant sur la situation des Ouïghours et des autres minorités ethniques de la région.

Avec vous, nous voulons que toute la lumière soit faite sur les atteintes à l’espace civique qui se multiplient à travers le monde.
Comme l’acharnement judiciaire arbitraire des autorités russes à l’encontre d’Alexei Navalny, dont nous appelons à la libération immédiate, ou leur décision très préoccupante de dissoudre l’ONG Mémorial.
Ou comme les persécutions politiques commises par le régime d’Alexandre Loukachenko – et je tiens à redire que nous n’oublions pas les mille détenus politiques qui se trouvent, aujourd’hui encore, enfermés dans les geôles de ce dictateur.

Enfin, nous exigeons que les États qui n’ont pas encore aboli la peine de mort communiquent, de manière transparente, le nombre des condamnations prononcées et le nombre d’exécutions perpétrées chaque année.
La peine capitale est un châtiment contraire à la dignité de la personne humaine. Elle va à l’encontre des droits humains fondamentaux que sont le droit à la vie et le droit de n’être pas soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.
C’est pourquoi, dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union européenne et avec l’ensemble de ses partenaires européens, la France s’emploie aujourd’hui à relancer le combat urgent et nécessaire pour l’abolition universelle de la peine de mort, en tous lieux et en toutes circonstances. Et notre détermination, là non plus, ne faiblira pas.
Je vous remercie.

Mise à jour : mars 2022