L’avenir du tissu

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Taïwan

Rapport
Taïwan | Science de la matière : matériaux, physique, chimie, optique
14 janvier 2016

Taiwan n’avait pas d’équipe nationale en lice lors de la Coupe du monde de la FIFA 2014 au Brésil, mais cela ne l’a pas empêché d’être très présent sur les pelouses : sur les 32 équipes participant à ce tournoi, pas moins de 10 – dont l’équipe de France – portaient des maillots en textiles respectueux de l’environnement fabriqués par des entreprises taiwanaises ! Cette contribution peu ordinaire a d’ailleurs retenu l’attention du Figaro, le quotidien français estimant qu’elle avait en quelque sorte permis à Taiwan de remporter sa propre Coupe du monde.

Le rôle joué par l’industrie textile taiwanaise dans ce grand événement sportif met en lumière l’inventivité qui caractérise le secteur depuis plusieurs décennies. En fait, les tissus dans lesquels ont été façonnés les maillots de foot qui ont tant fait parler d’eux ont été réalisés avec des bouteilles en polytéréphtalate d’éthylène (PET). Ces tissus avaient déjà été choisis par neuf équipes nationales lors de la précédente coupe du monde, en Afrique du Sud, en 2010. « Aucun autre pays ne peut rivaliser avec Taiwan sur le plan de la capacité à créer des textiles fonctionnels », dit avec confiance Ho Kwen-lin [何昆麟], le vice-président de la division textile de Far Eastern New Century. Ce conglomérat taiwanais fait figure de leader dans le secteur des textiles « verts » après s’être, dès 1988, doté d’un groupe de travail chargé de trouver le moyen de transformer les bouteilles PET recyclées en fibres textiles. Une politique qui a porté ses fruits : les tissus produits par cette seule société ont été utilisés pour fabriquer les maillots de cinq des équipes nationales qui se sont affrontées à Rio en 2014, dont celle du Brésil.

« Le secteur textile est une importante source de devises pour Taiwan, et ce depuis plus de 30 ans, en grande partie du fait de la capacité des entreprises locales à innover et à s’adapter », analyse Wang Chen-fu [王振福], secrétaire en chef du bureau du Commerce extérieur au ministère de l’Economie. En 2013, Taiwan a exporté pour environ 11,7 milliards de dollars américains de textiles, ce qui représentait 77% du chiffre d’affaires total de ce secteur. Par ailleurs, un quart environ de l’excédent commercial de Taiwan pour 2013 avait été généré par l’industrie textile, relève Wang Chen-fu.

Changements structurels

Comme de nombreuses autres industries traditionnelles, celle du textile a été confrontée à Taiwan à de sérieux défis dans les années 80, du fait de l’augmentation des coûts de production. Face à ces réalités économiques, les délocalisations en Chine continentale et en Asie du Sud-Est ont été massives parmi les fabricants du bout de la chaîne de production. Mais plutôt que de suivre le mouvement, les entreprises en milieu de chaîne ou en amont – celles qui fabriquaient les produits tissés, le fil et la laine – ont préféré améliorer leurs procédés de fabrication. « Elles ont résisté en modernisant constamment leur outil de production et leurs technologies », explique Justin Huang [黃偉基], le secrétaire général de la Fédération du textile de Taiwan (TTF), une organisation fondée en 1975.

Le secteur textile a donc subi de profondes évolutions. La part du chiffre d’affaires issue des activités fortement consommatrices de main-d’œuvre est ainsi tombée de 31% en 1990 à 6% en 2013, tandis que les fabricants de tissus, de fil et de laine ont dans le même temps vu cette part passer de 42% à 63%, selon des données rassemblées par la TTF.

Taiwan fait partie, depuis une dizaine d’années déjà, des sept principaux producteurs mondiaux de tissus, de fil et de laine, indique également la TTF. L’île se distingue en particulier dans la production de fibres artificielles, dont elle fournit 3,6% de la production mondiale, ce qui lui permet d’obtenir le troisième rang juste derrière l’Inde (7,2%) dans un domaine toutefois massivement dominé par la Chine (68,1%). Les entreprises taiwanaises ont amélioré leur compétitivité en développant des textiles innovants. « Un textile qui n’a qu’une seule fonctionnalité n’a rien de très spécial, dit Ho Kwen-lin. Les Taiwanais, eux, savent donner plusieurs propriétés au même tissu, ce qui n’est pas du tout courant. »

Selon Justin Huang, les fabricants textiles taiwanais se sont lancés dans ce genre d’innovations dès la fin des années 90, principalement en réaction aux grands projets initiés au Japon et en Corée du Sud à la même époque, afin de relancer une industrie en déclin. En 2000, la TTF a pris une décision importante en créant une certification spécifique pour les textiles high-tech, à la demande des entreprises locales et avec l’assistance du bureau du Développement industriel, lequel dépend du ministère de l’Economie. Actuellement, ce système de certification permet d’évaluer vingt fonctionnalités, comme la protection contre les bactéries, la résistance au feu ou encore l’imperméabilité.

Avec le temps, les textiles fonctionnels made in Taiwan ont donc gagné leurs lettres de noblesse, si bien qu’aujourd’hui, environ 70% des vêtements de sport de plein air vendus dans le monde en incorporent, dit Wang Chen-fu. La proportion est même de 80% sur le marché américain.

La vitalité de l’industrie textile de Taiwan est confirmée par l’importance croissante de l’Exposition des applications des textiles innovants de Taiwan (TITAS), une foire commerciale lancée en 1997 et qui se tient tous les ans à l’automne à Taipei. En octobre dernier, durant les trois jours qu’a duré la TITAS, les exposants étaient au nombre de 367, et dix pays étrangers étaient représentés.

De grandes marques de vêtements comme The North Face ont déjà adopté le tissu anti-odeurs S.Café mis au point par Singtex Industrial.

La foire a permis aux fabricants taiwanais de présenter leurs dernières créations. Formosa Taffeta a par exemple exposé un tissu ultraléger qui ne pèse que 25 g au m2. Fabric King Textile a mis en valeur sa grande spécialité, les textiles intégrant des diodes électroluminescentes qui, outre leur caractère saisissant, ont aussi l’avantage d’améliorer la sécurité de ceux qui les portent en augmentant leur visibilité, par exemple pour un jogging nocturne. Une autre entreprise taiwanaise, ECLAT Textile, s’est fait remarquer avec des tissus élastiques de grande qualité qui lui ont permis de devenir le premier fournisseur de Lululemon Athletica, une société canadienne cotée au NASDAQ et connue pour sa ligne de tenues pour le yoga.

Comme l’a démontré leur contribution textile à la Coupe du monde, les entreprises taiwanaises sont aussi à la pointe en matière de produits et de procédés de fabrication respectueux de l’environnement. Beaucoup utilisent la TITAS pour mettre en avant le caractère non toxique et biodégradable de leurs produits, ainsi que leurs méthodes de production économes en eau et en énergie. Par exemple, en plus des produits en PET mentionnés plus haut, Far Eastern New Century a aussi présenté sa technologie révolutionnaire de teinture sèche.

Ce procédé de teinture non aqueuse appelé ColorDry a été proposé à la société en décembre 2013 par Nike dont elle est le principal fournisseur de textiles à Taiwan. Far Eastern New Century a collaboré avec la marque américaine à la construction d’une usine de teinture à Taoyuan, dans le nord de Taiwan, pour expérimenter cette nouvelle technologie qui utilise du dioxyde de carbone recyclé à la place de l’eau. La société taiwanaise a d’ailleurs exploité cette technologie pour teindre les tissus en PET recyclés qui ont été employés pour la production des maillots de foot portés par deux des équipes nationales en lice à la Coupe du monde de la FIFA en 2014.

Ho Kwen-lin note que Far Eastern New Century investit actuellement environ 3% de son chiffre d’affaires en recherche et développement, mais que cette part devrait monter à 5% dans un avenir proche, en partie afin de trouver le moyen d’optimiser cette nouvelle technologie de teinture. « Si l’on sait qu’il faut entre 100 et 150 l d’eau pour teindre un kilo de tissu, imaginez les économies d’eau que l’on pourrait réaliser en généralisant cette technologie », s’enthousiasme-t-il.

Singtex Industrial est un autre exemple d’entreprise taiwanaise parvenue à se tailler une niche dans le marché mondial grâce à des innovations technologiques et des produits « verts ». Il y a une dizaine d’années, cette société fondée en 1989 a commencé à expérimenter avec des fibres intégrant du moût de café afin d’en exploiter les qualités désodorisantes. En 2009, elle commercialisait un textile baptisé S.Café, un produit qui a fait d’elle un fournisseur de marques internationales comme Timberland et The North Face, et tout récemment de la marque de lingerie Victoria’s Secret.

Un potentiel insoupçonné

Malgré son poids dans l’économie locale et ses capacités d’innovation, l’industrie textile taiwanaise est loin de réaliser tout son potentiel, estime Wu Chia-yi [巫佳宜], chercheuse à l’Institut de recherche sur le textile de Taiwan, un organisme à but non lucratif. « Pour le moment, pratiquement tous les acheteurs de tissus high-tech taiwanais sont des marques de vêtements de sport, dans la mesure où le secteur de la mode ne s’intéresse qu’aux critères esthétiques. Pourtant, poursuit-elle, nous commençons à voir un changement dans l’ordre des priorités dans ces deux secteurs. Beaucoup de marques de vêtements de sport essaient de donner plus de style à leurs produits, alors que, de leur côté, les marques de mode cherchent à apporter davantage de fonctionnalités à leurs vêtements. »

Quoi qu’il en soit, les entreprises taiwanaises du secteur essaient de capitaliser sur leurs succès dans les tissus high-tech en créant leurs propres marques de prêt-à-porter. Lancé en 2006 par la TTF, le défilé de mode Taipei IN Style leur fournit la meilleure des bases pour attirer l’attention internationale. Au départ annuel, ce show est organisé deux fois par an depuis l’année dernière, les 9e et 10e éditions ayant eu lieu au Parc culturel et créatif de Songshan en avril et en novembre – l’occasion pour les professionnels et le public d’admirer les dernières collections de stylistes taiwanais et étrangers.

En mai 2011, la TTF a fondé deux organisations destinées à promouvoir le développement des marques de mode taiwanaises, l’Institut de la mode de Taipei (FIT) et l’Atelier du design. Le FIT fonctionne comme une plateforme où les stylistes peuvent exposer leur travail et rencontrer des clients potentiels, tandis que l’Atelier du design emploie des dessinateurs de mode et des couturiers qualifiés qui aident les jeunes créateurs à transformer leurs concepts en prototypes. « Ce n’est pas facile de trouver une usine à Taiwan pour produire des vêtements aujourd’hui, explique Justin Huang, surtout en petites quantités. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de nous impliquer dans cet aspect de la production. » Le FIT aide aussi des créateurs talentueux à signer des contrats avec des entreprises textiles cherchant à lancer leur propre marque. Par exemple, l’institut a récemment recommandé le jeune espoir de la mode Andre Kao [高勝忠] à Singtex qui l’a recruté pour travailler sur le développement de sa ligne de vêtements naissante, laquelle porte le nom de 99.8.
Des progrès considérables ont été réalisés ces dernières années grâce à des organisations comme le FIT, mais il faudra encore sans doute beaucoup de temps pour que les entreprises textiles taiwanaises parviennent à s’imposer dans le prêt-à-porter à l’échelle internationale. Dans l’intervalle, elles s’efforcent de s’ériger en fournisseurs ODM (Original Design Manufacturing) pour offrir aux marques internationales des solutions complètes – une tendance qui, selon Justin Huang de la TTF, commence à se généraliser. C’est selon lui la prochaine étape pour l’industrie textile taiwanaise dans son évolution. « Nous avons excellé dans la production de fibres textiles hautement durables et de tissus multifonctionnels. Maintenant, nous sommes aussi capables de créer toute une gamme de designs pour satisfaire aux besoins de clients différents », conclut-il.

Sources : http://taiwaninfo.nat.gov.tw/ct.asp?xItem=228201&ctNode=2254

Rédacteur : Joanne Antonetti (Bureau Français de Taipei)