Le pastoralisme Sami face au changement global
Actualité
Suède
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Science de la terre, de l’univers et de l’environnement : énergie, transports, espace, environnement
18 juin 2019
Romain Courault est Attaché Temporaire à l’Enseignement et à la Recherche à Sorbonne Université, à l’UFR de Géographie. En février 2019, il s’est rendu au Parlement Saami de Kiruna afin d’y présenter certains résultats issus de son travail de thèse. À travers le constat que le renne constituait une ressource paysagère importante dans le nord de la Scandinavie (pour les populations autochtones d’éleveurs de rennes –les Saamis-, mais aussi pour le maintien des écosystèmes subarctiques), il a notamment cherché à évaluer les effets du changement global sur les paysages culturels de Scandinavie.
Le renne (Rangifer tarandus L.) est un ongulé arctique classé comme Vulnérable par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, avec des sous-populations sauvages en Norvège et semi-domestiques en Laponie scandinave. Cette vulnérabilité est notamment imputable aux effets directs et indirects du changement global, à savoir les pertes démographiques et les pertes en pâturages sous l’effet de la fragmentation paysagère et de l’élévation des températures.
À travers les terminologies linguistiques environnementales autour du pastoralisme Saami, cette recherche en géographie souhaitait également mettre l’accent sur l’utilité de la prise en compte des connaissances locales dans le diagnostic de vulnérabilité des effets du changement global à l’échelle d’un socio-écosystème (le nord de la Suède). La prise en compte des savoirs traditionnels (organisation annuelle des saisons pastorales et des trajectoires migratoires des rennes semi-domestiques) constituent ainsi des ressources-clés dans la compréhension des effets du changement global mais aussi leur restitution auprès des principaux concernés, les éleveurs et leurs représentants politiques.
Après avoir décrit les liens entre l’évolution climatique saisonnière récente et la démographie des cheptels de rennes semi-domestiques à l’échelle du Norbotten, l’étude décrit l’évolution spatiale et temporelle des paysages végétaux de la communauté montagnarde d’éleveurs de rennes Gabna (qui s’étend entre Svappavaara et Riksgränsen, comté du Norrbotten) via les séries temporelles d’imagerie satellite et des inventaires floristiques exhaustifs.
Une approche géo-anthropologique est appliquée au long de la thèse, et passe notamment par l’utilisation des terminologies écologiques en langue saamie (saisons pastorales, neige) ; la zonation des territoires d’élevage opérée par les éleveurs ; les contacts et visites régulières auprès des universitaires locaux (Université suédoise des Sciences Agricoles - SLU) et l’organisme politique principal représentant les éleveurs de rennes en Suède (Parlement saami de Kiruna - Sametinget).
Les résultats principaux rejoignent ceux de la littérature scientifique, appliqués aux espaces étudiés : régionalement, changement des climats et pertes significatives en pâturages ; localement, boréalisation des écosystèmes (remontée des essences forestières en latitude et en altitude) et embroussaillement des paysages migratoires imputable à l’élévation passée et présente des températures (hivernales, estivales).
L’intensification économique passée, en cours et future en Laponie suédoise (sylviculture, prospection et exploitation minière, tourismes d’hivers et d’été, hydro-électricité et énergie éolienne) sont à l’origine d’une perte nette en pâturages, mais aussi d’évitements par les cheptels de rennes. Ces facteurs constituent des menaces majeures à la résilience des systèmes pastoraux en réduisant la production, les aires de pâturages et la flexibilité des déplacements qui dans le passé permettaient aux éleveurs de s’adapter au climat et aux autres variations.
L’approche paysagère employée dans une problématique environnementale naturellement et culturellement complexe (revendication territoriale) a révélé l’importance du dialogue entre sciences et minorités pour une compréhension plus intime des effets interconnectés du changement global.
Rédacteur : Yves Ponçon, avec l’aide de Romain Courault
Contact : yves.poncon[at]diplomatie.gouv.fr