Des mini-intestins créés par des chercheurs portugais afin d’aider les malades touchés par la fibrose kystique

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Portugal | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie | Médecine individualisée
11 juillet 2017

A l’aide d’une partie minuscule de l’intestin, prélevée au travers d’une biopsie, les chercheurs sont capables de créer des milliers de mini-intestins en laboratoire. Ces tissus, appelés dès lors « organoïdes » servent ensuite de cobayes pour tester la réponse d’un malade face à un médicament. Ce test permet de savoir au préalable si le traitement sera efficace, et évite ainsi que le malade soit exposé à une thérapie qui, pouvant être très chère, peut également ne pas avoir de résultat.

A l’Institut de Biosystèmes de Sciences Intégratives (BioISI) de la faculté de sciences de l’Université de Lisbonne, quatre équipes uniques au monde utilisent cette technique pour les malades touchés par la fibrose kystique, et préparent actuellement les essais cliniques au Portugal et en Espagne, qui valideront, à terme, ce processus.

Les organes créés en laboratoire représentent l’un des fronts principaux de recherche en médecine régénérative. L’objectif de cette discipline est, dans un futur proche, de reproduire des organes de taille réelle fonctionnels, afin de corriger ou réparer les défaillances de notre organisme.

La complexité du développement et du fonctionnement d’un organe humain rend difficile cette tâche ambitieuse. Néanmoins, les scientifiques sont en progrès constant, puisqu’ils sont désormais capables de créer des reins, de même que des foies, intestins, ou encore également des cerveaux, tous miniatures. La question de savoir à quoi servent, à l’heure actuelle, ces organes miniatures trouve sa réponse dans la possibilité de tester l’efficacité, ainsi que la dangerosité potentielle d’un médicament, et ce de manière rapide, peu chère et peu invasive, pour tout patient.

Au Portugal, l’équipe BioISI est donc spécialisée dans la Conception de mini-intestins afin de tester la réponse des patients aux nouveaux médicaments développés pour traiter la fibrose kystique, une maladie rare qui affecte environ 85 000 personnes dans le monde.

L’équipe travaille ainsi à partir de tissu récolté lors d’une biopsie rectale, en isolant les cellules souches afin de les cultiver en laboratoire par la suite et les faire croître pour former des organoïdes intestinaux, comme l’expliquait la chercheuse Margarida Amaral, gérant l’équipe BioISI. Ces deux dernières années, cette technique a été appliquée à 15 personnes, et compte tenu du nombre limité de centres dans le monde (4) dédiés à ce domaine spécifique, le centre portugais a également reçu des patients du Brésil, d’Allemagne, ou encore des Etats-Unis.

La fibrose kystique ou mucoviscidose est une maladie qui rend le liquide des poumons visqueux, entrainant une respiration difficile, et provoquant des infections. Les poumons sont les plus touchés, toutefois, d’autres organes en pâtissent également, notamment les intestins.

Il y a encore peu de temps, il n’existait qu’un traitement symptomatique pour ces malades dont l’espérance de vie était d’environ 30 ans. Les malades recourraient donc à des antibiotiques pour traiter les infections respiratoires ou mucolytiques afin de dissoudre les muqueuses épaisses qui s’accumulaient dans les poumons et les voies respiratoires.

La cause de la maladie réside dans la mutation du gène appelé CFTR. C’est une maladie génétique et héréditaire, et se manifeste lorsque la personne hérite de ce gène du côté du père et de la mère. L’hydratation des voies respiratoires dépend de l’action de cette protéine CFTR et lorsqu’elle ne fonctionne pas correctement, cela engendre des conséquences problématiques. Aujourd’hui, on ne dénombre pas moins de 2000 mutations différentes possibles de cette protéine.

Il est question ici d’une protéine qui sert de canal de transport pour les ions de chlorure, circulant vers l’intérieur et l’extérieur des cellules. Dans le cas de la fibrose kystique, cette protéine ne fonctionne pas. Les malades montrent donc des pathologies respiratoires grave, comme des pneumonies successives et vont jusqu’à perdre leur fonction respiratoire, nécessitant une greffe de poumon qui parfois survient dès l’adolescence.

Désormais, les chercheurs se penchent plutôt sur la réparation de cette protéine. De nouveaux médicaments sont apparus il y a 3 ans environ, ayant pour cible non pas les symptômes, mais bien la protéine CFTR. Néanmoins, ces traitements coûtent à l’heure actuelle 250 000 euros par malade et par an, et doivent être suivis à vie. Avec la multitude de mutations possibles de la protéine, il est impossible de savoir si les médicaments approuvés pour certaines sont également efficaces pour d’autres.

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La protéine CFTR (en vert) dans les membranes cellulaires humaines d’un patient souffrant de fibrose kystique - Source : Público.pt

C’est justement là tout le travail de l’équipe BioISI, à savoir tenter d’éviter qu’un malade ne soit soumis à un traitement n’ayant aucun résultat. Par ailleurs, lorsqu’un organoïde réagit positivement à un traitement, et que la protéine est réparée, un autre problème se pose, celui de garantir l’accès à ce traitement onéreux aux malades.

En l’occurrence l’équipe de chercheurs a conçu deux nouveaux médicaments, approuvés spécifiquement pour des mutations déterminées. Le premier à avoir été approuvé (dont le principe actif est l’ivacaftor) fonctionne pour des mutations qui pour le moment ne sont connues que chez deux résidents du Portugal. L’un suit déjà le traitement, tandis que l’autre va commencer la thérapie d’ici peu.
Le deuxième médicament (dont les principes actifs sont l’ivacaftor et le lumacaftor) s’adresse aux malades faisant face à la mutation appelée F508del, une mutation bien plus fréquente que la première, que l’on retrouve chez 85% des malades souffrant de fibrose kystique dans le monde.

L’ Infarmed - Autorité nationale des médicaments et des produits de santé - affirme que certains de ces patients peuvent bénéficier d’un programme d’accès anticipé (PAP) aux traitements à base d’ivacaftor et de lumacaftor, qui a été approuvé le 19 décembre l’année dernière et s’est terminé le 30 Avril 2017. Le PAP doit assurer le traitement pour 20 patients au Portugal. La chercheuse Margarida Amaral signale notamment qu’actuellement trois patients prennent déjà ces médicaments. Et Infarmed, à son tour, ajoute que le traitement a été approuvé pour 18 patients, les deux autres étant encore en cours d’évaluation.

Mais au-delà des mutations génétiques les plus fréquentes que ces nouveaux médicaments ciblent, il en existe d’autres qui sont plus fréquentes dans certaines populations. Les patients atteints de fibrose kystique Portugal et en Espagne, par exemple, partagent une mutation appelée A561E, qui affecte 2% des malades. En outre, Margarida Amaral indique que des tests sont effectués pour les patients atteints de cette mutation spécifique et jusqu’ici l’ivacaftor et lumacaftor se sont montrés efficaces.

Sur la base des résultats des essais précliniques utilisant les organoïdes et les cellules de poumons (à partir d’organes transférés de patients atteints de mucoviscidose qui ont fini par subir une greffe), l’équipe BioISI prévoit de passer sous peu aux essais cliniques. Initialement, il était prévu que cette partie de la recherche ne concerne que les patients atteints de la mutation A561E, commune au Portugal et à l’Espagne, mais selon Margarida Amaral, les essais cliniques sont susceptibles d’être étendu aux patients avec une autre mutation (nommée R334W) que les chercheurs ont testé sur les organoïdes créés en laboratoire.

Le test est prévu à l’hôpital Santa Maria à Lisbonne, ainsi que l’hôpital universitaire Vall d’Hebron à Barcelone, en comptant sur la collaboration des hôpitaux portugais disposant de patients sujets à ces mutations. Mais avant cela, durant le mois de juillet 2017, les chercheurs portugais organisent un séminaire à Lisbonne pour « enseigner » aux scientifiques du monde entier comment fabriquer des mini-intestins dans l’optique d’aider les patients atteints de fibrose kystique.

Sources :
Cunha Freitas, Andrea, 2017, Mini-intestinos criados por portugueses ajudam doentes com fibrose quística, [en ligne]. Disponible : https://www.publico.pt/2017/06/13/ciencia/noticia/miniintestinos-criados-por-portugueses-ajudam-doentes-com-fibrose-quistica-1775426

Rédacteur : Amaury HOCQUET, Chargé de coopération scientifique à l’Institut Français du Portugal amaury.hocquet[at]ifp-lisboa.com