Tomasz Swoboda, chercheur et traducteur : Une passion pour la littérature française

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Pologne | Sciences Humaines et sociales
13 juillet 2022

Tomasz Swoboda est Professeur à la Faculté de lettres de l’Université de Gdansk et traducteur. Reconnu pour son travail dans ces deux domaines, il est Boursier du Gouvernement Français en 2020 et Lauréat du Programme Boy-Żeleński en 2022.
Il répond à nos questions avec passion, dans l’interview ci-dessous.

Tomasz Swoboda, vous êtes Professeur à la Faculté de lettres de l’Université de Gdansk. Vos domaines d’expertise sont nombreux : littérature française et francophone, anthropologie du spectacle, arts performatifs et traduction.

Entre novembre et décembre 2020, vous avez bénéficié de la Bourse du Gouvernement Français pour réaliser un séjour scientifique de haut niveau à l’Université de Bretagne Occidentale. Que retenez-vous de votre séjour de recherche en France ? Qu’avez-vous pu tirer de cette expérience ?

C’était une période très singulière : je suis parti en pleine pandémie, fin 2020, avec toutes les restrictions possibles mises en place. Je crois que, dans beaucoup d’autres domaines de recherche, un séjour scientifique n’aurait pas de sens. Cependant, dans celui des lettres, ce dont un chercheur a besoin, c’est l’accès à la bibliothèque. Or, étonnamment, alors que tous les cours sont passés en ligne et que quasiment toute l’université était fermée, l’Université de Bretagne Occidentale a laissé la bibliothèque universitaire ouverte, avec l’accès libre aux rayons. Après donc avoir traversé la ville de Brest déserte, j’entrais dans un paradis où je passais des heures et des heures pour ensuite travailler chez moi, après-midi. Paradoxalement donc, au moment où pratiquement tout le monde rencontrait des obstacles insurmontables, moi, j’ai trouvé des conditions idéales pour mon travail de recherche. Qui plus est, à la fin de mon séjour, j’ai pu partager les résultats de mon travail avec l’équipe du Centre d’étude des correspondances et journaux intimes, dirigé par Sophie Guermès, dont le soutien pendant tout mon séjour était inestimable. J’ai également participé, en tant que membre du jury, à une soutenance de thèse - en présentiel, en plus ! Bref, malgré les circonstances pandémiques - ou bien, du moins partiellement, grâce à celles-ci - j’ai passé à Brest un mois très fructueux et vraiment riche en expériences.

Pouvez-vous nous décrire la ou les coopération(s) scientifique(s) franco-polonaise(s) dans la(les)quelle(s) vous êtes impliqué en tant que chercheur ?

A présent, je poursuis la collaboration avec le Centre d’étude des correspondances et journaux intimes de l’UBO, et personnellement avec Sophie Guermès : nous travaillons ensemble, dans le cadre du projet européen "European University of the Seas", sur plusieurs sujets, entre autres les phares dans la littérature ou bien l’intime dans l’oeuvre de Charles Baudelaire. Avec Lydie Parisse de l’Université de Toulouse 2 Jean-Jaurès, où j’ai séjourné plusieurs fois en tant que professeur-visiteur, je réalise le projet intitulé "Processus créateur et voies négatives" : en mars dernier, nous avons organisé, à Toulouse, un grand colloque international, et actuellement, nous sommes en train de préparer trois livres issus de ce projet, qui vont paraître chez Classiques Garnier, dans la collection "Création et expérience". Enfin, depuis plusieurs années, je suis correspondant polonais de la Société et Revue d’histoire littéraire de la France, l’une des plus anciennes sociétés savantes littéraires, où je contribue à la préparation de la bibliographie de la littérature française.

En tant qu’expert de la littérature française et francophone, la coopération internationale semble primordiale dans votre domaine. Avez-vous la sensation que la mobilité internationale est accessible pour les chercheuses et les chercheurs ?

Vous savez, j’ai commencé ma carrière professionnelle il y a vingt ans, encore avant l’entrée de la Pologne dans l’UE. Ce sont des périodes incomparables : aujourd’hui, partir en France et y passer quelques jours voire quelques semaines est beaucoup plus facile, et la coopération avec des collègues à l’étranger est devenu quelque chose de naturel même si on ressent toujours fortement les différences dans ce que l’économie appelle le pouvoir d’achat ; bref, pour travailler sérieusement sur le plan international, pour voyager et faire des recherches, nous avons toujours besoin d’un appui financier, des bourses, etc. Et là, les possibilités restent toujours assez réduites, vu le nombre restreint de créneaux qui permettent de postuler de telles bourses et, sur un autre plan, le nombre de collègues qui n’arrivent pas à effectuer des mobilités internationales : moi-même, j’y réussis très rarement. Sans parler du sentiment que, dans les lettres et dans les sciences humaines, nous sommes défavorisés par rapport à nos collègues en sciences exactes mais cela est déjà devenu un lieu commun…

En plus de votre travail de chercheur, vous êtes traducteur. Vous comptez une vingtaine d’ouvrages intégraux traduits à votre actif, pour enfants et adultes. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le métier de traducteur ?

Une question difficile… Je crois que ce qui m’attire le plus, c’est ce sentiment d’être dans l’intimité d’une autre voix, d’entrer en contact très profond avec un texte. Je ne dis pas avec l’auteur mais il s’agit certainement aussi de cela bien que cet auteur soit un être complètement imaginaire, surtout si on traduit un écrivain déjà mort… Si on aime la littérature, si on aime lire, la traduction me paraît le mode de lecture le plus poussé, pour ainsi dire, à l’extrême, celui où l’on devient sensible à chaque aspect du texte, à la fois sémiotique, sonore et, pourquoi pas, spirituel. Dans le même temps, c’est un travail très concret, essentiellement matériel, une exploration du langage et de la langue, ou plutôt de deux langues, qui aboutit aussi à une meilleure connaissance de l’autre et de soi-même.

Comment traitez-vous les « obstacles » linguistiques ? Quand il n’existe pas d’équivalent du français au polonais par exemple.

Tout d’abord, je dirais que, philosophiquement parlant, il n’y a jamais d’équivalent… Je veux dire que chaque mot d’une langue a sa propre histoire, sa signification qui se compose de tous les usages, de tous les emplois de ce mot. Et puis, il y a le son, la mélodie : d’un mot, d’une phrase, d’un paragraphe… L’équivalence, telle qu’elle est comprise couramment, me semble plutôt une métaphore qu’un phénomène réel. Ensuite, je n’aime pas parler de la traduction en termes d’obstacles. L’écart entre deux langues c’est plutôt quelque chose qui rend la traduction - et la littérature en général - possible. J’adore ce que vous appelez "obstacles" car ils ouvrent tout un espace de création, de créativité, qui favorise la réflexion ainsi qu’une sorte d’intériorisation du langage. Sans cela, la traduction serait un travail presque mécanique, automatique et donc automatisable au sens propre, tout simplement effectué par des automates.

En 2022, l’Institut français de Pologne a choisi de soutenir la publication du livre « Songe à la douceur » de Clémentine Beauvais en polonais, aux éditions « Dwie Siostry ». Vous en êtes le traducteur.

Quelle était votre démarche lorsque vous avez traduit « Songe à la douceur » de Clémentine Beauvais ? Préférez-vous que la lectrice ou le lecteur polonais puisse s’identifier le plus possible quitte à modifier des éléments du texte ou votre objectif est de rester le plus fidèle possible au texte original ?


Ce texte est tellement complexe que sa traduction est devenue un vrai travail à quatre mains. En effet, je travaille actuellement avec un excellent rédacteur, Maciej Byliniak, qui essaie de "réparer" les écarts que je me suis permis par rapport au texte original. Ma vision de la traduction de ce texte était un peu plus libre que celle de l’éditeur : j’ai donné la priorité au rythme, et le ton était un peu plus léger, familier voire vulgaire. Mais M. Byliniak a d’excellentes idées qui permettent de trouver des solutions encore plus pertinentes et qui rendront, je l’espère, le texte final très attrayant. Car il s’agit d’un beau roman en vers, rimé, riche en allusions littéraires (l’auteure réécrit "Eugène Onéguine" de Pouchkine et l’agrémente de citations de plusieurs textes classiques), et écrit dans le rythme de la musique rap. Un vrai joyau.

Propos recueillis le 9 juin 2022 par Elisa Pospieszny pour l’Institut français de Pologne et l’Ambassade de France en Pologne

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