Yōkobo, le robjet récompensé par le prix « Kawaii Kansei Design Award »

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Japon

Brève
Japon | Sciences et technologies de l’information et de la communication : TIC, télécoms, micro-nanotechnologies, informatique
19 novembre 2021

Yōkobo, mot-valise entre « Yōkoso » (« bienvenue » en japonais) et « robot », est un petit « robjet » conçu et créé à l’issue d’une étude menée par l’équipe du laboratoire de Gentiane Venture, Professeur à Tokyo University of Agriculture and Technology , en collaboration avec la Société Orange, le Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes (LS2N) et l’Ecole de design Strate.

Alors que le Japon est confronté au vieillissement de sa population, l’équipe de Gentiane Venture s’est intéressée au changement qui intervient lors du passage de la vie active à la vie en retraite, afin d’étudier si la technologie peut faciliter cette transition parfois violente, notamment pour les couples. Ainsi une étude qualitative impliquant entretiens et observations a été effectuée auprès de jeunes retraités volontaires, en France et au Japon. Cette étude a permis de collecter des données qui ont ensuite été modélisées grâce à des méthodes d’ergonomie et de design afin de comprendre le comportement des personnes nouvellement retraitées et leurs activités dans leur habitat.

Après cette première étape d’observation, l’équipe a installé chez les participants à l’étude et pendant 48 heures un robot Pepper doté d’un programme personnalisé, dans le but d’étudier leur réaction face à la présence dans leur maison de ce robot familier, en particulier au Japon. Il s’agit pour les chercheurs de comprendre comment les participants se comportent face à un objet qui bouge, parle, émet des sons, à leur demande ou de façon autonome.

Pepper est un robot humanoïde, développé initialement par Aldebaran, acheté par la société SoftBank Robotics en 2012
Pepper est un robot humanoïde, développé initialement par Aldebaran, acheté par la société SoftBank Robotics en 2012- © AFP

 

Ce travail de terrain a permis d’obtenir des données sur les attentes des participants, leurs envies, ou leurs besoins par rapport à leur quotidien. Les résultats ont montré que les personnes ciblées par l’étude, en majorité des personnes actives, n’ont pas besoin d’un robot de compagnie, omniprésent, mais plutôt d’un robot qui intervienne à leur demande. Pepper, à l’origine un robot d’accueil pour les magasins, est trop encombrant pour leur maison et son apparence humanoïde est source d’irritations. Par exemple, son anthropomorphisme génère des attentes quant à une possibilité de communiquer de façon fluide, ce qu’il ne peut faire.

En France comme au Japon, l’équipe a remarqué une grande curiosité et une implication certaine de la part des personnes retraitées sollicitées, toutes volontaires bien sûr, ce qui crée évidemment un biais. Si une attitude plutôt positive envers les robots a été généralement observée, en revanche, le souhait de conserver le contrôle sur la machine a été exprimé, ainsi qu’une certaine méfiance par rapport aux activités d’un robot omniprésent et aux modalités d’interaction (caméra, microphones etc), les personnes ne souhaitant pas être éventuellement observées à leur insu. Finalement peu de différence a été observée entre les retraités des deux pays pour ce qui est des attentes quant aux besoins fonctionnels. Mais le panel de personnes impliquées est faible (20 personnes), ces résultats ne sont certainement pas généralisables.
Toutefois, après 6 mois d’analyse des données et de conception, Yōkobo est né. Les résultats de l’étude ont aidé l’équipe de recherche à faire des choix en termes de design mais aussi quant à son emplacement dans le logement. Yōkobo, inspiré des objets à comportement, des robots faibles et de la “slow technology”, est un « robjet », c’est-à-dire un objet du quotidien robotisé, la composante robotique apportant une dimension supplémentaire à la fonction initiale de l’objet. Yōkobo est un vide-poche conçu pour l’entrée du logement, qui, à travers sa présence et son comportement, accueille et donne des informations indirectes sur l’état de l’environnement, grâce à sa connexion avec la station météo d’Orange, et sur les aller-venues du partenaire.

Les interactions entre Yōkobo et les membres du foyer ont été conçues avant tout pour favoriser l’interaction entre les êtres humains. Le but de ce travail est finalement de mettre l’humain au centre, et de renforcer le sentiment de présence et de lien entre les membres du foyer. Le robot devient ainsi un médiateur et non un acteur à part entière, il s’efface devant la relation humaine. Sa position à l’entrée du logement se trouve entre la sphère interne, privée, et la sphère externe, publique, l’entrée étant une pièce de passage, neutre en comparaison du salon, de la cuisine ou de la chambre, plus intimes.
Enfin, si le prototype actuel de Yōkobo a été réalisé en matériau plastique pour des raisons pratiques, le robot a été conçu pour être fabriqué en céramique, ce qui a influencé sa forme ainsi que son procédé de fabrication, en partie manuel, le robjet pouvant même devenir une pièce d’artisanat.

Dessin de conception de Yokobo
Dessin de conception de Yokobo - © Gentiane Venture Lab

 

En 2021, Yōkobo a reçu le "Kawaii Kansei Design Award", prix créé par la Japan Society for Kansei Engineering (JSKE) pour récompenser des créations originales répondant au concept de "kawaii". Ce mot fréquemment utilisé au Japon signifie “mignon”, “adorable”. Ces dernières années, la valeur du concept de “kawaii” est reconnue non seulement au Japon mais aussi dans le monde entier, particulièrement en Asie du sud-est et jusqu’en France, avec parfois des effets économiques non négligeables.

Dans ce contexte, la JSKE a créé le prix "Kawaii Kansei Design Award" pour diffuser le concept de produits kawaii, et développer la recherche en ingénierie kansei, une méthode de conception créée en 1995 par Mitsuo Nagamachi (université de Hiroshima), qui cherche à corréler les impressions de l’utilisateur (émotions, ressenti, affectivité, etc…), appelées « kansei », avec les caractéristiques physiques du produit, dans le but d’améliorer la vie de la population japonaise.

Etabli en 2009 au sein de la Tokyo University of Agriculture and Technology (TUAT), le GVLab, dirigé par Prof. Gentiane Venture, est un groupe menant des recherches aussi bien théoriques qu’appliquées sur la dynamique du mouvement, la commande des robots et leur communication non-verbale. Ces recherches sont interdisciplinaires, le laboratoire collaborant avec des médecins, des psychologues, des sociologues, des philosophes, des ergonomes, des artistes et des designers.

Sources :
http://web.tuat.ac.jp/ gvlab/
http://kawaii-award.org/award2021/ (en japonais)
https://hellofuture.orange.com/fr/un-objet-a-comportement-dans-la-maison-preparer-le-terrain/
https://www.lsa-conso.fr/les-nouvelles-icones-du-kawaii,316526
https://www.techniques-ingenieur.fr/base-documentaire/genie-industriel-th6/outils-pour-la-conception-42663210/ingenierie-kansei-ou-comment-lier-affectivite-et-conception-ag2140/