L’identification de composés odorants et du récepteur provoquant des réactions de survie chez la souris ouvre la voie à la médecine sensorielle

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Japon

Brève
Japon | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
26 mai 2021

Des chercheurs japonais ont créé des composés odorants provoquant chez la souris un état d’hibernation artificiel augmentant leur durée de vie en milieu peu oxygéné, et ont identifié TRPA-1 comme le récepteur déclenchant cette réponse.

De nombreuses études ont montré que la peur dite « innée » est une émotion qui peut favoriser la survie par le déclenchement de réponses physiologiques et comportementales protectrices en situation de crise. L’équipe du Dr Kobayakawa de l’université médicale du Kansai cherche à identifier la nature de ces mécanismes de protection et les stimuli qui les induisent.

Les chercheurs ont créé en laboratoire des composés odorants artificiels provoquant une peur innée chez la souris à partir de composés aromatiques de la famille des thiazoles. Cette « odeur de la peur », qui se rapproche d’une odeur d’haricots grillés, a été nommée par l’équipe « thiazoline-related innate fear-eliciting compounds » (tFOs).

  • L’exposition à de fortes concentrations de tFOs décuple la durée de vie de souris en conditions hypoxiques. Les souris ont été placées dans un environnement pauvre en oxygène (4% contre 21% pour l’atmosphère terrestre) puis ont été exposées à plusieurs molécules odorantes, dont les tFOs. Alors que la durée de vie estimée dans ce milieu hypoxique était inférieure à 15 minutes, les souris ont survécu entre 2 et 6 heures. L’exposition aux tFOs s’est également avérée bénéfique dans des modèles d’ischémie/reperfusion en réduisant nettement la sévérité des dommages.
  • Les souris traitées par tFOs entrent dans un état d’hibernation artificiel caractérisé par une hypothermie, un hypométabolisme et une résistance à l’hypoxie. Cependant, à la différence de l’hibernation naturelle qui permet de survivre dans un environnement aux ressources limitées, la dépense énergétique observée après exposition aux tFOs n’est pas réduite à son minimum. En outre des données préliminaires ont mis en évidence une augmentation du nombre de cellules immunitaires chez les souris traitées aux tFOS quand il décroit chez des animaux en hibernation. Les chercheurs suggèrent donc que l’exposition aux tFOs pourrait induire une résistance aux agents pathogènes. Cependant cette observation doit faire l’objet de recherches complémentaires.
  • La protéine TRPA-1 joue le rôle de récepteur de signaux de danger et régule en partie les réponses physiologiques induites par les tFOs. Le récepteur TRPA-1 est un canal ionique situé au niveau des nerfs trijumeau et vague, dont les fonctions sont, entre autres, de percevoir la douleur et de transmettre des informations sensitives et sensorielles. Ce récepteur est déjà connu pour son rôle de régulateur des comportements liés à la peur et à la douleur, donnant lieu à des réactions de protection comme la production de larmes ou le déclenchement de la toux. Les chercheurs ont mis en évidence l’activation de TRPA-1 par plusieurs voies - olfactive, vagale et trigéminale – dont les rôles respectifs restent à préciser.

TRPA-1 et les voies sensorielles qu’il active étant conservés chez l’homme, l’identification de composés odorants capables d’activer ce récepteur et de déclencher des réponses physiologiques similaires à celles observées chez la souris pourrait ouvrir la voie à la thérapie sensorielle en milieu peu oxygéné.

Ces études ont été publiées dans les revues internationales Nature Communications [1] et Communications Biology [2].

A Infrared dorsal view images taken 1–8 min after odorant presentation. B–D Temporal analyses (left panels) and the mean values (right panels) for cutaneous temperatures (B ; n = 8 for control, n = 18 for Anis (FS+), and n = 8 for 2MT), core body temperatures [C ; n = 6 for control, n = 8 for Anis (FS+), and n = 8 for 2MT], and heart rates (D ; n = 6 for control, n = 8 for Anis (FS+), and n = 8 for 2MT) in response to a conditioned odor (anisole) paired with foot shock [Anis (FS+) ; orange] and 2MT (blue). Red vertical lines indicate the onset of odor presentation. E Temporal analyses of core body temperature in response to long exposure to 2MT and no-odor control (n = 6 each). Filter paper scented with 2MT or saline was introduced into the test cage with a lid at 10 min. Core body temperature decreased by >10°C after 5 h of the odor presentation (red arrow) and reached near-ambient temperature ( 2 °C above ambient temperature) after 12 h. Decreasing body temperature to 2–3 °C above ambient temperature is observed in torpor26. F Filter paper scented with 2MT or saline was introduced into the cage, which was then covered by a plastic wrap for 6 h. After 1 week of recovery, mice were transferred into a new cage and locomotor activities were analyzed (n = 4 each). Track plots of the movement (left) and the mean distance traveled (right) are shown. G, H The mean change in core body temperature (G) and heart rate (H) in response to intraperitoneal (IP) injection of saline or LiCl (gray) and those induced by a conditioned odorant (anisole) paired with IP injection of saline or LiCl [Anis (Saline+) or Anis (LiCl+) ; orange (n = 6 each)]. I, J The mean change in core body temperature (I) and heart rate (J) in response to 5 min of restraint (yellow) and control condition (n = 6 each). Data are means ± SEM. One-way ANOVA followed by Dunnett’s multiple comparison or Student’s t test was performed. *P < 0.05 ; ***p < 0.01 ; ***p < 0.001 ; n.s. not significant. [2]

Sources :

[1] Matsuo, T., Isosaka, T., Hayashi, Y. et al. Thiazoline-related innate fear stimuli orchestrate hypothermia and anti-hypoxia via sensory TRPA1 activation. Nat Commun 12, 2074 (2021). https://doi.org/10.1038/s41467-021-22205-0

[2] Matsuo, T., Isosaka, T., Tang, L. et al. Artificial hibernation/life-protective state induced by thiazoline-related innate fear odors. Commun Biol 4, 101 (2021). https://doi.org/10.1038/s42003-020-01629-2

[3] The Asahi Shimbun, Scientists created ‘smell of fear’ in a lab. Mice exposed to it lived longer, http://www.asahi.com/ajw/articles/14335641

Rédactrice : Hélène Le Brun, chargée de mission du pôle Santé, Environnement et Vie au sein du Service pour la Science et la Technologie de l’Ambassade de France au Japon.
helene.le-brun -at- diplomatie.gouv.fr