L’étude de micro-organismes dans les grands fonds marins de la fosse de Nankai au Japon permet de repousser les limites de la vie à 120°C

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Brève
Japon | Science de la terre, de l’univers et de l’environnement : énergie, transports, espace, environnement
15 décembre 2020

Les facteurs de développement et l’étendue de la biosphère des grands fonds marins font l’objet de recherches conjointes entre l’Agence japonaise pour les sciences et les technologies marines et terrestres (JAMSTEC) et le centre des sciences de l’environnement marin de l’université de Brême (MARUM). Les résultats ont permis de repousser à 120°C la température limite connue à laquelle des traces de vie microbienne ont été détectées dans le plancher océanique.

Alors que la pression et la température augmentent et que l’apport en énergie se raréfie en profondeur, des micro-organismes se développent au sein des couches sédimentaires jusqu’à plusieurs kilomètres de profondeur. Si près de la moitié du volume de ces sédiments présente une température supérieure à 40°C, pour des raisons d’accessibilité la grande majorité des études ne traite que des couches aux températures inférieures à 30°C. L’Agence japonaise pour les sciences et les technologies marines et terrestres (JAMSTEC) et le centre des sciences de l’environnement marin de l’université de Brême (MARUM) étudient les facteurs de développement et l’étendue de cette biosphère profonde. Des échantillons sous-marins prélevés lors d’une expédition de forage ont fait l’objet d’analyses par 29 instituts de 9 pays différents dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue scientifique Science.

Une des réussites de cette équipe a été d’identifier un site de forage dans la zone de subduction de la fosse de Nankai au large des côtes japonaises qui présente l’avantage de pouvoir échantillonner à une température de 120°C à seulement 1180 mètres de profondeur quand il faut en général atteindre 4000 mètres de profondeur. L’échantillonnage et l’analyse ont été effectués à la limite de la faisabilité technique : l’extraction, le transport – par hélicoptère vers des laboratoires de Kochi au Japon - et le traitement des échantillons ont nécessité le respect d’un protocole sanitaire rigoureux afin d’éviter toute contamination et d’assurer une détection fiable de la vie microbienne.

Cette étude a permis d’étayer les connaissances actuelles sur les conditions de vie dans les grands fonds marins et de repousser à 120°C la température limite connue à laquelle des traces de vie microbienne sont détectées hors d’un laboratoire et dans un environnement pauvre en énergie – les dernières études de terrain datant d’une vingtaine d’années indiquaient la présence de vie à 800 mètres de profondeur entre 80 et 90°C.

Il a été mis en évidence une alternance de couches au sein desquelles une présence microbienne est détectée, puis perdue. L’effondrement de la densité de population microbienne aux alentours de 45°C est suivi d’une augmentation significative de la concentration d’endospores – formes sous laquelle les bactéries sont extrêmement résistantes. Sous cette forme, les bactéries entrent dans un état de dormance réversible qui leur permet de résister à des conditions particulièrement défavorables et de se réactiver dans un environnement plus propice. Un pic de concentration microbienne a ainsi été détecté aux alentours de 85°C et ce jusqu’à 120°C.

Le Dr INAGAKI Fumio, chercheur de la JAMSTEC, a fait part de sa surprise face à ces résultats qui mettent pour la première fois en évidence – in natura – la coexistence d’états de survie et de dormance au-delà de la limite de température connue de la biosphère des grands fonds. Selon l’article publié, les résultats révèlent donc non seulement un lien entre la présence de vie microbienne dans les grands fonds et la température de l’environnement, mais également avec les processus géologiques de subduction présents dans la faille de Nankai. Ces dernières corrélations devront faire l’objet d’études complémentaires.

Au-delà de ces découvertes, qui ouvrent de nouvelles perspectives en matière de recherche dans le domaine des grands fonds, le travail et les résultats de ce consortium de chercheurs rappellent l’importance de la coopération internationale en matière de recherche scientifique.

Sources :
[1] Press release from JAMSTEC and MARUM, Temperature limits to deep subseafloor life in the Nankai trough subduction zone, https://www.jamstec.go.jp/e/about/press_release/20201204/

[2] IODP Expedition 370, T-Limit of the Deep Biosphere off Muroto, http://www.jamstec.go.jp/chikyu/e/exp370/crew.html

[3] Limites de température pour la vie sous-marine profonde dans la zone de subduction de la fosse de Nankai, Verena B. Heuer, Fumio Inagaki, Yuki Morono, Yusuke Kubo, et al., Science 2020. DOI : 10.1126/science.abd7934

Rédactrice :
Hélène Le Brun, chargée de mission du pôle Santé, Environnement et Vie au sein du Service pour la Science et la Technologie de l’Ambassade de France au Japon.
helene.le-brun -at- diplomatie.gouv.fr