De la "smart city" à la "smart society"

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Japon

Actualité
Japon
2 avril 2020

Le 4 février 2020, le gouvernement Japonais a soumis à la Diète un proposition d’amendement de la loi sur les “zones spéciales stratégiques nationales”. Cet amendement vise à faciliter la mise en œuvre de réformes réglementaires nécessaires à la réalisation du concept de “Super City”.

Contexte

L’ambition de construire une "Super City" a été annoncée par le gouvernement fin 2018. Le concept a été développé durant l’année 2019 et les travaux législatifs en cours doivent lui permettre de voir le jour dans les années à venir.
En phase préliminaire, le gouvernement japonais a analysé plusieurs modèles de “smart cities” existants (Barcelone, Songdo City (Corée du Sud), Hangzou (China), Toronto, Dubai, Singapour, New York) et s’en est inspiré pour concevoir son propre modèle de “Super City”.

Le concept de “Super City” correspond à l’environnement urbain tel qu’imaginé après la 4ème révolution industrielle, dans la “Society 5.0” (idéal initialement présenté en 2016 par le gouvernement japonais dans son 5ème plan cadre pour la science et la technologie). De la même manière que la “Society 5.0” est considérée comme une “super-smart society”, la “Super City” peut-être vue comme une extension du concept de “smart city” en “super-smart city”.

Figure 1 - La Société 5.0 ("super-smart society"), l’idéal de développement Japonais

Concrètement, il s’agit d’une ville qui doit révolutionner la manière dont la société fonctionne, en exploitant au mieux et de manière intégrée les technologies de pointe (au premier rang desquelles l’IA et le big data). Avec la création de la “Super City”, le gouvernement japonais souhaite établir un précédent pour développer cet idéal qui est attendu comme la norme de vie urbaine à horizon 2030. L’ambition affichée est de faire du concept de “Super City” développé au Japon un modèle d’environnement urbain du futur, repris à travers le monde.
Le concept de Super City

Depuis le début des années 2010, et notamment à travers le programme“Next-Generation Energy and Social System Demonstration Areas” du METI (Ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie), de nombreuses initiatives ont été lancées au Japon autour de démonstrateurs de “smart cities”. Jusqu’ici, l’objectif de ces projets était d’expérimenter et de prouver la faisabilité des services développés. Ceux-ci étaient limités dans le temps (dépendants de l’apport de financement public), dans l’espace (limités à un quartier voire un bâtiment) et souvent restreints à un domaine précis (ex : énergie, transports…).

Présentation du concept

La “Super City” est un projet de dimension différente. Il dépasse l’échelle de démonstrateur en poussant plus loin le concept de “smart city”, en fournissant des services de pointe à une ville entière, de manière intégrée, et en s’inscrivant dans la durée.

1. Les services fournis par une “Super City” devront concerner plusieurs aspects de la vie en communauté, et être intégrés les uns aux autres :

Pour être considérée “Super City”, un projet doit associer au moins 5 des services listés ci-dessous :

  • Paiement : Dématérialisation des transactions financières (“cashless”) dans toute la ville ; identification de l’acheteur grâce à la technologie de reconnaissance faciale.
  • Éducation : Accès à l’éducation à distance (en ligne) pour tous.
  • Soins médicaux et infirmiers : Accès à la médecine à distance (en ligne) pour tous ; médecine basée sur l’analyse des données.
  • Mobilité : Services de conduite autonome, assurant les déplacements personnels, en toute liberté ; services de gestion du trafic, du stationnement, du transport multimodal
  • Logistique : Services d’automatisation des transports logistiques, assurant une livraison des besoins en temps souhaité (“what you need, when you need”) ; livraison par drones.
  • Administratif : Unification de l’enregistrement et de l’accès aux services administratifs.
  • Gestion des ressources : Gestion optimisée des ressources communautaires (énergie, eau potable, eaux usées, déchets, recyclage…)
  • Sécurité : Services de surveillance assistés par la robotique

A travers cette liste de services potentiels, le gouvernement définit l’orientation à donner aux projets de développement de “Super City”. Il reviendra ensuite aux acteurs portant les projets retenus de définir concrètement les cas d’usages retenus et leurs modalités de mise en œuvre.

A terme, les services proposés par une Super City doivent couvrir tous les aspects de la vie en société.

Figure 2- Le concept de “Super City” et ses principaux services (source : site web National Strategic Special Zones)

2. Les services d’une “Super City” doivent être mis en œuvre dans une volonté d’utilisation réelle, massive et pérenne :

Le gouvernement japonais souhaite capitaliser sur les multiples projets de démonstrations menés à travers le pays depuis 2010. L’initiative “Super City” ambitionne d’aller plus loin que ces expérimentations en s’affranchissant des différentes limitations (de temps, d’échelle ou de périmètre fonctionnel) pour offrir aux habitants des futures “Super City” des services prêt à l’usage.

  • Utilisation réelle : les services proposés, complets et fonctionnels, vont au-delà de simples projets de démonstration.
  • Utilisation massive : les services sont mis à disposition de tous les habitants de la “Super City” (le gouvernement évoque à titre d’exemple l’échelle d’une ville de 60 000 habitants.).
  • Utilisation pérenne : Les services sont conçus pour être utilisés sur le long-terme. A terme, le fonctionnement récurrent de la “Super City” ne dépend pas des subventions de l’Etat.

3. La conception de “Super City” doit refléter les opinions des personnes qui y vivent :

Afin d’être acceptée par la population, la réflexion sur le développement de la “Super City” doit intégrer le point de vue de ses habitants. Ce développement ne doit pas être guidé uniquement par le point de vue des développeurs de technologies ou les fournisseurs de services, mais doit combiner l’expertise et la sagesse des différents acteurs : gouvernement, municipalités, acteurs privés et citoyens.
En ce sens, la “Super City” n’est pas qu’une innovation technologique mais aussi une avancée sociale. Elle définit un nouveau modèle de participation communautaire dans lequel les habitants jouent un rôle central. Cet élément est considéré comme un facteur clé de succès.

Conception technique

La construction d’une “Super City” repose sur la mise en place d’une plate-forme centralisant le stockage des données relatives à la ville. La terminologie utilisée ici est celle d’une “plate-forme de liaison des données” (“data linkage platform”, la couche en bleu sur le schéma ci-dessous).

Figure 3 - Schéma de la "plate-forme de liaison des données"

Les données (couche orange) de multiples sources (administrations, municipalités, données publiques, entreprises privées, données personnelles), concernant des secteurs divers, sont collectées, nettoyées, reliées et stockées sur la plate-forme qui héberge ainsi un grand volume et une grande variété de données. Le gouvernement japonais caractérise cette plate-forme comme le système d’exploitation de la “Super City”, sur lequel la gestion de la ville se base. S’appuyant sur cette plate-forme, des services applicatifs (couche rose) peuvent ensuite être développés et mis à disposition. Une condition nécessaire à l’utilisation de cette plate-forme est que les services applicatifs développés doivent pouvoir être réutilisés par d’autres (en mettant leur accès à disposition via des API (application programming interface) ouvertes). Les services ainsi développés doivent apporter une plus-value aux habitants, facilitant leur quotidien et améliorant leur bien-être.

En termes d’organisation, la “plate-forme de liaison des données” pourra être développée par des acteurs privés, et les acteurs locaux auront la main sur son opération (en particulier pour en assurer la sécurité). Les services applicatifs, eux, pourront être développés aussi bien par des acteurs privés que publics.
Cette infrastructure informatique devient ainsi une nouvelle couche d’infrastructure urbaine au même titre que celles existantes (voirie, bâtiment, transports, réseau, canalisations etc.) et s’intègre à elles.

Etapes de mise en œuvre

Le “Conseil pour les Zones Spéciales Stratégiques Nationales”, organe du Cabinet Office (dépendant du premier ministre japonais) a profité de l’organisation du sommet du G20 à Osaka en juin 2019 pour organiser le “Super City Smart City Forum 2019”, où 75 municipalités, une vingtaine d’instituts de recherche et plus de 200 entreprises (tous ces acteurs étant principalement Japonais), ont partagé les dernières tendances en termes de développement de villes du futur.

Ce même conseil a ouvert en août 2019 le “Super City Open Labo”, une plate-forme en ligne permettant aux entreprises de présenter leurs services et de les mettre en relation avec les municipalités intéressées. Plus de 85 entreprises, principalement japonaises, ont rejoint cette plate-forme à ce jour (mars 2020) :

Figure 4 - Acteurs ayant rejoint le Super City Open Labo

En septembre 2019, ce “Conseil pour les Zones Spéciales Stratégiques Nationales” a lancé à un appel à candidature auprès des municipalités ayant un intérêt pour accueillir une “Super City”. Fin février 2020, 53 propositions avaient été reçues. La plupart concerne des constructions ex nihilo sur des anciennes friches industrielles (brown field), quelques-unes concernent le développement de zones urbaines existantes (green field). La préfecture d’Aichi est celle qui a été la plus active, avec 8 candidatures déposées. On note également parmi les candidatures celle de Yumeshima (l’île artificielle au large d’Osaka qui accueillera l’exposition universelle en 2025). Le conseil a indiqué que seul un petit nombre de candidatures sera sélectionné.

Réforme réglementaire :

A l’heure actuelle, la “Super City” telle que décrite ci-dessus ne peut voir le jour au Japon. En effet, la loi actuelle sur les “zones spéciales stratégiques nationales”, qui permet la mise en place de réglementations spécifiques dans certaines zones a ses limites, et la réalisation d’innovations technologiques de rupture nécessaires à l’établissement d’une “Super City” ne peut se faire sans conflit avec la réglementation existante.

La création de “Super City” nécessite la définition d’un nouveau cadre juridique dans lequel les acteurs pourront innover avec plus de souplesse, sous le contrôle du gouvernement. C’est dans cette perspective que le gouvernement Japonais a soumis à la Diète, en février 2020, une proposition d’amendement de la loi sur les “zones spéciales stratégiques nationales”. C’est une nouvelle étape dans ce long processus de réformes réglementaires qui permettront à la “Super City” de voir le jour.