La mesure de l’anxiété au Corona : un instrument de gouvernance ?

Partager
Israël

Actualité
Israël | Sciences Humaines et sociales
22 mai 2020

Des chercheurs en psychologie et en santé publique de l’Université Ben-Gourion du Néguev ont lancé une étude visant à mesurer l’impact de la communication autour de la pandémie et de sa prise en charge politique sur le niveau d’anxiété des populations. Les résultats serviront à aiguiller les décideurs dans l’élaboration de politiques publiques et la stratégie de communication sur le Covid.

D’après le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, l’irruption de la pandémie Covid-19 entraînerait des bouleversements psychologiques et anthropologiques durables dans nos sociétés, liés notamment à l’impossibilité de pratiquer les rituels du deuil et de la sépulture, à la solitude prolongée et à l’affaiblissement du lien social. Ces bouleversements, selon lui, se caractérisent non seulement comme des crises (événements extrêmes, après lesquels un retour à l’état initial est rendu possible par des processus de résilience), mais plus encore comme des « catastrophes », c’est à dire des ruptures du fonctionnement d’une société dont l’ampleur empêche un retour à l’état initial, impliquant la remise en question des connaissances acquises et du paradigme sociétal.

Dans ce contexte, des chercheurs israéliens de l’Université Ben-Gourion du Néguev (BGU) ont lancé une étude visant à mesurer l’impact de la communication autour de la pandémie et de sa prise en charge politique sur le niveau d’anxiété des populations. L’équipe de recherche s’est formée dans le cadre de la task force sur le Coronavirus mise en place à BGU pour organiser la ressource académique et booster la recherche sur les différents champs concernés par la pandémie. Sous la conduite du Pr. Golan Shahar, le projet mobilise les départements de Psychology and Stress, Self and Health, de Community Health et de Public Health, ainsi que le Soroka University Medical Center et le ministère israélien de la santé.

Illust: Pr. Golan Shahar, 44.7 ko, 791x473
Pr. Golan Shahar (Crédits : Université Ben-Gourion du Néguev)

L’approche consiste en une étude longitudinale sur un échantillon représentatif de 1000 Israéliens. Le sondage a été rendu possible grâce à l’apport en données du Midgam Online Panel. Les enquêtes ont débuté fin Février 2020, un jour avant que le premier cas de Covid a été diagnostiqué en Israël, alors que le seuil épidémique était déjà atteint dans plusieurs autres pays. Depuis, l’équipe sonde chaque semaine le même panel à travers une série de questions fixes ciblant le sentiment d’anxiété, la perception de la crise, l’attitude envers le ministère de la santé et le respect des instructions du gouvernement.

Sur la durée, les premiers relevés montrent « une augmentation linéaire et progressive, mais très modérée, de l’anxiété à la fois générale et spécifique au virus. [Alors qu’on] s’attendait à une augmentation de l’anxiété [proportionnelle] au risque sanitaire accru, cette augmentation modérée est cruciale : [elle indique l’absence] de panique, d’hystérie et de perte de contrôle », déclare l’équipe. En outre, l’étude confirme qu’il existe un lien direct entre les annonces du gouvernement et le niveau d’anxiété des populations. À ce jour, les conclusions montrent qu’une représentation « positive, bienveillante et de confiance du ministère de la santé […] se traduit par une diminution subséquente de l’anxiété au virus. […] Par conséquent, le ministère devrait s’efforcer de cultiver et de maintenir une telle image ».

Au total, l’étude sert autant à informer les décideurs politiques des réactions émotionnelles des administrés qu’à orienter la stratégie de communication du gouvernement. En attendant des analyses sur la longue durée, il est intéressant de noter à quel point le Covid a rendu indispensable le chainage entre recherche fondamentale et politiques publiques, non seulement en matière de virologie et de santé publique, mais aussi s’agissant de psychologie et de sciences sociales.

Sources :
Cyrulnik Boris, « Après chaque catastrophe il y a un changement de culture », in La Matinale France Inter, 25 Mars 2020. (Cf. https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-25-mars-2020)

Cyrulnik Boris, « On ne peut pas vivre sans les autres », in Actualités sociales hebdomadaires, 18 Avril 2020. (Cf. https://www.ash.tm.fr/racine/societe/boris-cyrulnik-on-ne-peut-pas-vivre-sans-les-autres-550949.php)
Tress Luke, « Israeli public increasingly anxious, but not panicking, researchers say », in Times of Israel, 31 Mars 2020. (Cf. https://www.timesofisrael.com/israeli-public-increasingly-anxious-but-not-panicking-researchers-say/)

En savoir plus :
https://in.bgu.ac.il/en/corona-challenge/Pages/Launch-Phase-Projects.aspx

Rédacteur : Jean-Lémon Koné, doctorant à l’Université Ben Gurion du Néguev.