La forteresse des bactéries

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Israël

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Israël | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
21 décembre 2018

Une récente étude d’une équipe de chercheurs de l’Institut Weizmann présente une nouvelle stratégie dans la lutte contre la résistance bactérienne. Les bactéries produisent un biofilm, comparable au béton, qui fait office de rempart et protège les bactéries contre les traitements à base d’antibiotiques. Cette découverte intéresse les chercheurs pour de multiples applications, en particulier la lutte antibactérienne.

Imaginons qu’une colonie de bactéries représente une forteresse. Une forteresse est généralement entourée de remparts, qui permettent de protéger tout ce qui se trouve à l’intérieur d’une éventuelle attaque provenant de l’extérieur. Cela peut paraître très imaginatif, mais c’est pourtant ce que montre une nouvelle étude publiée dans le journal npj Biofilms and Microbiomes, dirigée par le Dr. Alona Keren-Paz de l’Institut Weizmann, avec le Dr. Vlad Brumfeld (Département en recherche chimique) et le Dr. Oppenheimer Yaara Shaanan, un ancien post-doctorant du laboratoire d’Ilana Kolodkin-Gal (Institut Weizmann).

Dans une étude effectuée précédemment, le Dr. Kolodkin-Gal avait mis en évidence la production par les bactéries d’un biofilm faisant office de bouclier et se composant de carbonate de calcium cristallin, un minéral dur qui, dans la nature, est le principal composant des perles et est utilisé dans l’industrie pour produire du béton dans la construction.

L’étude de l’équipe du Dr. Alona Keren-Paz se concentre sur la compréhension de la structure et de la mise en place de ce rempart, afin de trouver un moyen de le contourner ou tout simplement le percer. Cela permettrait de diminuer la résistance bactérienne face à un traitement à base d’antibiotiques.
Afin d’étudier cette structure, les chercheurs ont adapté une méthode de tomographie aux rayons X à haute résolution. La tomographie est une technique d’imagerie, très utilisée dans l’imagerie médicale ainsi qu’en géophysique, en astrophysique et en mécanique des matériaux. Cette technique permet de reconstruire le volume d’un objet à partir d’une série de mesures effectuées par tranche depuis l’extérieur de cet objet.
Il s’avère que l’image de la muraille n’est pas exagérée, puisque les bactéries sécrètent le carbonate de calcium qui s’organise comme un dôme recouvrant la totalité de la colonie, sa structure cristalline lui conférant ainsi une parfaite étanchéité.

Pour prouver que cette structure favorise la résistance contre les antibiotiques, les chercheurs ont exposé les colonies à des molécules fluorescentes simulant une exposition à un traitement antibactérien. Cette expérience a montré qu’aucune molécule fluorescente ne pouvait passer le biofilm des colonies.
Ainsi, ce biofilm serait une des raisons majeures de la résistance des bactéries. Cette hypothèse a été confortée lorsque les chercheurs ont comparé la résistance d’une bactérie seule par rapport à celle d’une bactérie protégée par ce rempart : ils ont montré que les colonies protégées par ce biofilm étaient 100 fois plus résistantes.

L’étude dresse également une comparaison entre ce biofilm et le squelette humain. En effet, nos os correspondent à environ 20% de notre masse corporelle. Or, on retrouve la même proportion lorsque l’on calcule la masse du biofilm. Ce dernier peut être comparé à un exosquelette mais protégeant toute une colonie de bactéries.
Pour que ce biofilm puisse être mis en place, les bactéries ont besoin d’une enzyme appelée uréase qui permet de rendre l’environnement des bactéries moins acide, ce qui favorise la formation de ce bouclier. En utilisant un inhibiteur de cette enzyme, les scientifiques ont réussi à augmenter l’impact d’un traitement antibiotique.
Cette étude caractérise ainsi l’un des mécanismes de résistance aux antibiotiques des bactéries et peut permettre de mettre en place de nouveaux diagnostics afin d’adapter les traitements face aux infections.

Cependant, pourquoi se concentrer seulement sur la destruction de ce type de structure, qui est le fruit d’une adaptation de la nature ?
Comprendre comment le carbonate de calcium est créé dans les biofilms bactériens peut également aider à atteindre l’objectif opposé : plutôt que de détruire les biofilms, cela pourrait permettre aux scientifiques de trouver des moyens d’en construire à la demande, par exemple pour concevoir du béton auto-cicatrisant. Dr. Kolodkin-Gal, Dr. Keren-Paz et des scientifiques du Royaume-Uni (l’architecte Martyn Dade-Robertson de l’Université de Newcastle et le biologiste Dr. Meng Zhang de l’Université de Northumbria) ont ainsi récemment exploré la faisabilité de ce scénario théorique dans la biotechnologie microbienne.
Selon les scientifiques, associer du béton avec des bactéries pourrait permettre de réparer les fissures ou d’autres formes de dommages résultant de l’érosion ou du mouvement de la Terre. Les fissures seraient remplies de carbonate de calcium généré par les biofilms bactériens. Un avantage supplémentaire : le procédé utiliserait du dioxyde de carbone, ce qui pourrait permettre de compenser l’accumulation de ce gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

Source : https://wis-wander.weizmann.ac.il/life-sciences/storming-fortress-cracking-concrete-surrounding-bacterial-biofilms

Rédacteur : Henri-Baptiste Marjault (henri.margault chez mail.huji.ac.il), doctorant à l’Université hébraïque de Jérusalem