Gestion des déchets électroniques en territoires palestiniens : ce que peuvent les universitaires

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Israël | Science de la terre, de l’univers et de l’environnement : énergie, transports, espace, environnement
13 mars 2020

Souvent, la question de la gestion des déchets rebute, car elle touche à ce que nos sociétés refoulent loin des regards. Pourtant les déchets font partie intégrante de l’économie. Leur traitement, leur démantèlement, leur recyclage sont des activités économiques à part entière, entraînant des circulations de capitaux, de main-d’œuvre, de techniques et des externalités, dont les pollutions. En général, le secteur du déchet connaît un essor en situation de crise et de forte précarité : hausse de l’emploi dans le démantèlement des déchets, développement de l’urban mining (récupération de ressources et matériaux précieux sur des produits usagés), développement du secteur informel (Moreno Sainz, 2007). C’est le cas pour les déchets électroniques en territoire palestinien près de Hébron, où la précarité de l’emploi est accentuée par la difficulté du contexte israélo-palestinien et la proximité d’avec la Green Line. 70 à 80 000 tonnes de déchets électroniques y sont acheminés chaque année pour être réutilisés après réparation ou démantelés, notamment par combustion, libérant des quantités industrielles de polluants (Vlahovic, 2020). Depuis 2010, Yaakov Garb, professeur à l’Université Ben-Gourion du Néguev (BGU) et John-Michael Davis, doctorant, ont initié une série de projets visant à décontaminer les sites, accompagner les recycleurs palestiniens dans la transition vers des pratiques “propres” et faciliter la défense des droits des riverains face aux activités industrielles polluantes. Cette initiative inédite articule recherche fondamentale, action de terrain et appui au développement. Nelly Leblond, postdoctorante française engagée à leurs côtés, nous a accordé un entretien dont cette brève fait la synthèse.

Approches classiques des sciences sur la gestion des déchets électroniques

L’intérêt des universitaires pour la gestion des déchets électroniques est récent et croissant. Depuis 2015, 300 articles académiques par an sont publiés en moyenne, avec une littérature thématique atteignant désormais plus de 3000 titres. D’après Nelly Leblond, la plupart des travaux en sciences sociales privilégient des approches par trop théoriques. Ces travaux alertent régulièrement sur des cas environnementaux, mais sans produire d’impact réel ni de solution durable sur le terrain. Au reste, toutes disciplines confondues, la recherche semble dominée par trois dynamiques distinctes :

  • l’approche environnementale et sanitaire, analysant in situ et sur les organismes humains les contaminants libérés par le démantèlement et la combustion.
  • l’approche par le recovery (i.e la récupération de matières précieuses — or, argent, terres rares etc. — dans les déchets) est adoptée par des économistes et des ingénieurs. Ils étudient les potentialités de l’urban mining tant comme modèle économique que comme champ d’expérimentation chimique, dans la perspective de faire des déchets un fonds de ressources mobilisables.
  • l’approche par les politiques publiques interroge les enjeux de gouvernance dans la gestion des déchets, les rapports de pouvoirs entre producteurs, consommateurs et société civile, ainsi que les voies d’implémentation du principe de responsabilité élargie au producteur, tel que préconisé par l’OCDE.

L’urgence du contexte cisjordanien

En territoire palestinien, le hub de démantèlement se situe dans le gouvernorat de Hébron. La région connaît une hyperconcentration de déchets électroniques : 70 à 80 000 tonnes par an sur 40 Km2. 90% de ces déchets sont importés depuis Israël dans le cadre d’une économie informelle ou semi-formelle. Ce phénomène est symptomatique d’une réalité globale complexe dans laquelle les biens de consommation usagés des pays développés sont importés par des acteurs privés des pays moins avancés, où les normes sanitaires insuffisantes et les équipements inadaptés engendrent de graves problèmes pour les populations qui vivent de leur démantèlement (Davis, 2017).
La situation est problématique et urgente car elle impacte le niveau de pollution et la qualité de vie des riverains. La pratique de brûlis pour extraire les métaux précieux provoque fumées, dépôt de suie et pluies acides contraignant l’accès à l’eau potable. Des études récentes montrent que le phénomène pourrait aussi avoir de lourdes conséquences sur la santé des recycleurs et des riverains : potentiellement des cas accrus de cancers (concentration de lymphomes sur les zones de brûlis) (Davis & Garb, 2019) et des dégâts génétiques chez les travailleurs (Khlaif & Qumsiyeh, 2017). D’après Leblond, malgré des conséquences lourdes et des alternatives possibles, la prise en charge du problème piétine “faute d’intervention des autorités publiques palestiniennes et israéliennes pour lever les verrous qui maintiennent le statu quo : faciliter le recyclage propre, pénaliser les activités polluantes, prendre en charge la collecte et l’enlèvement des déchets en tant que déchets industriels etc.”.

Chaînage recherche académique-développement : l’apport inédit des universitaires de BGU

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Prof Yaakov Garb sur un site de brûlis près de Jérusalem (Source : Leblond & Garb, Octobre 2019)

Les initiatives impulsées par Garb, Davis, Leblond en lien avec les acteurs locaux visent à apporter des solutions innovantes à ce problème. En réunissant un réseau fluide de chercheurs et d’acteurs de terrain, leur action permet de :

  • documenter le phénomène et produire du savoir scientifique sur les sites polluées pour sortir d’un statu quo lié en partie au manque d’informations exhaustives. Ayant déjà publié 10 articles en 5 ans, ils contribuent à développer un savoir crucial pour la recherche et la gestion des politiques publiques.
  • impulser des projets de développement. L’équipe de BGU est déjà partie prenante dans plusieurs programmes majeurs d’aide internationale au développement visant le règlement de la crise et la dépollution des sites, dont la coopération initiée en 2016 avec l’Agence suédoise de développement et de coopération internationale (Kalifa, 2019).
  • adopter une structure institutionnelle souple et transdisciplinaire afin de (1) décloisonner par la pratique les approches épistémologiques environnementale/sanitaire, sur le recovery et sur les politiques publiques, (2) dépasser les tensions politiques israélo-palestiniennes et intra-palestiniennes en instaurant un dialogue constant entre différents niveaux d’acteurs (universités, tissus associatif local, municipalités palestiniennes, ONG et organisations internationales), (3) combiner les attendus et les ressources matérielles et financières du monde universitaire (textes scientifiques normés) et du monde du développement (consulting et expertise de terrain).

Sources :

En savoir plus :

Rédacteur : Jean-Lémon Koné, doctorant à l’Université Ben Gurion du Néguev.