De l’hôpital au champ : quand la médecine s’invite dans l’agriculture de demain
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Agronomie et alimentation
21 septembre 2018
Des chercheurs du Technion viennent de montrer que des technologies issues du monde médical peuvent se révéler utiles pour … l’agriculture ! Laissez tomber vos blouses et scalpels et enfiler vos bottes pour en apprendre plus sur cette découverte champêtre !
L’un des domaines médicaux les plus étudiés actuellement est l’administration de principes actifs. Le but est simple : une fois que l’on a découvert qu’un médicament pourrait soigner une maladie, il reste à trouver la voie d’administration permettant à la molécule (le principe actif) d’atteindre la zone ciblée. Aujourd’hui, de nombreux travaux sur les nanotechnologies tendent à créer des nanoparticules capables de transporter des médicaments à travers le corps vers une zone spécifique : un tissu, un organe ou certain(s) type(s) de cellules.
Une équipe du Technion à Haïfa, menée par le Dr. Avi Schroeder du département d’ingénierie chimique, s’est penchée sur le potentiel de telles technologies dans le domaine de l’agriculture, et plus précisément de la fertilisation. En effet, l’objectif reste le même : apporter une ou des molécules (bio-stimulant, engrais, produit phytosanitaire, etc.) aux plantes qui poussent dans un champ de façon ciblée (racine, feuille, tige, bourgeon, fruit, etc.). L’équipe d’Avi Schroeder a choisi la feuille comme porte d’entrée pour leurs nanoparticules. Facilement accessible, couvrant une grande surface, la feuille est en effet idéale pour ce genre d’applications ; elle est par exemple déjà la cible de l’étendage d’engrais liquide. Malheureusement, l’absorption de l’engrais à travers la feuille reste peu efficace et le mécanisme est peu compris scientifiquement. Face à cela, l’équipe du Dr. Schroeder propose une approche plus chirurgicale : au lieu d’épandre de l’engrais sur toute la feuille en espérant qu’une partie soit absorbée, ils ont utilisé des nanoparticules, appelées liposomes, qui vont encapsuler l’engrais, aider sa pénétration dans la feuille puis son transport dans la plante et enfin « distribuer » leur contenu directement aux cellules.
Pour tester cela, l’équipe de jeunes chercheurs a donc créé des nanoparticules à base de lipides, dits « amphiphiles », ce qui en grec signifie « qui aime les deux ». Ces lipides, tels que les phospholipides, ont en effet une composition bipolaire avec un pôle hydrophile (qui aime l’eau) et un pôle hydrophobe (qui n’aime pas l’eau) ou lipophile (qui aime les lipides / le gras). Ces molécules, qui constituent notamment la membrane de toutes les cellules vivantes et des différents organites ou compartiments à l’intérieur des cellules, ont la propriété de s’organiser en « formations » (voir Figure) stable, dont la taille et la conformation dépendent des conditions du milieu (concentration en lipides, température, pH, etc.).
Pourquoi cela ? Imaginez ces molécules comme étant une épingle dont la tête est hydrophile et la pointe hydrophobe. Comme la partie hydrophobe préfère d’autres parties hydrophobes à l’eau, les lipides, poussés par cette préférence physico-chimique, s’orientent de façon à avoir les pointes juxtaposées et où seules les têtes sont en contact avec l’eau. Ainsi, dans une solution aqueuse où l’eau entoure les lipides en trois dimensions, ces lipides s’organisent en conformation permettant d’avoir leur tête d’épingle en contact avec l’eau tout en permettant à leur pointe d’éviter tout contact avec l’eau : en bicouche lipidique (c’est ce qui forme la membrane des cellules), en micelles, mais aussi en liposomes, qui ressemblent à des petites sphères de bicouches lipidiques où le centre est hydrophile et contient donc de l’eau (voir Figure). Comme leur composition est similaire aux membranes cellulaires, les liposomes peuvent « fusionner » avec les membranes, délivrant leur contenu à l’intérieur des cellules.
Il n’est pas si aisé de fabriquer de tels liposomes, et encore moins de s’en servir, pour encapsuler des molécules hydrophiles comme les engrais… sauf si vous êtes un laboratoire de recherche médicale spécialisé dans l’encapsulation de médicaments !
Les chercheurs ont tout d’abord fabriqué de tels liposomes encapsulant une sonde fluorescente, afin d’en suivre le cheminement à travers la feuille puis la plante. Une fois la pénétration dans la feuille et le transport dans la plante confirmés, les chercheurs ont encapsulé un élément radioactif (non dangereux) avant de pulvériser la solution sur des feuilles et ce en quantité suffisante pour avoir un effet, afin de pouvoir suivre les nanoparticules et leur efficacité à délivrer leur cargaison dans la plante. Le résultat ? Les nanoparticules parviennent à délivrer suffisamment de molécules encapsulées pour pouvoir avoir un effet sur la santé et la croissance de la plante. Après cela, il ne reste donc que le test final : encapsuler une solution d’engrais et traiter des plantes en déficience pour prouver l’efficacité du traitement. Là encore, les nanocapsules d’environ 100 nanomètres réussissent à palier la déficience en nutriments, tels que le calcium ou le magnésium, et ce avec une meilleure efficacité comparée à la projection de solution d’engrais directement sur les feuilles.
S’il reste toujours à prouver l’efficacité d’une telle technique sur le terrain, celle-ci reste malgré tout coûteuse et, si elle permet de réduire la quantité d’engrais pulvérisée, l’utilisation de liposomes en agriculture n’est pas encore prévu dans un futur proche. Néanmoins, la technologie fonctionne et montre que la recherche dans un domaine finit toujours par bénéficier à d’autres !
Sources :
• http://www.israelscienceinfo.com/nanos/technion-israel-les-nanoparticules-contre-le-cancer-pourraient-guerir-les-plantes-malades/
• https://www.nature.com/articles/s41598-018-25197-y
En savoir plus :
• https://fr.wikipedia.org/wiki/Liposome
• https://www.schroederlab.com
Rédacteur : Arthur Robin, doctorant à l’Université de Tel Aviv