Comment décrire la personnalité d’une souris ?
Actualité
Israël
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Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
10 janvier 2020
La question paraît singulière. Mais quand on pense que les souris sont souvent utilisées comme modèle dans des études comportementales ou de psychopathologie humaine, on comprend qu’une telle caractéristique aurait une influence majeure sur l’interprétation des résultats. Chez les humains la cohérence entre personnalité et comportement a été attentivement étudiée et catégorisée par les psychologues. Chez d’autres espèces, en revanche, la compréhension des différences individuelles et des processus biologiques qui les sous-tendent est entravée pas l’absence de bases conceptuelles solides derrière le processus d’établissement des personnalités et par l’absence de paradigmes de dépistage comportemental.
Afin de répondre à cette question, les équipes du Prof. Alon Chen à l’Institut Weizmann et à l’Institut Max-Planck de psychiatrie à Munich ont étudié le comportement de souris de laboratoire. Ils ont ainsi établi un cadre informatique permettant de capturer et de décrire l’espace d’expression comportementale individuelle.
Un trait de personnalité peut être conceptualisé par deux caractéristiques essentielles :
- Il décrit et représente un continuum de différences entre individus d’une même espèce. Par exemple, on trouve une multitude de degrés d’introversion au sein d’une espèce : de l’introversion totale à l’extraversion totale (absence complète d’introversion). Ainsi, il ne s’agit pas de catégories mais plutôt d’une échelle.
- Ces traits tendent à être stables pour un même individu à travers le temps.
Par conséquent, une représentation mathématique d’un trait de personnalité, considérant ces deux caractéristiques, seraient une fonction maximisant la variabilité comportementale entre individus tout en maintenant minimal la variabilité comportementale d’un même individu à travers le temps. Comme vu sur la figure 1, une telle fonction devrait minimiser la largeur des courbes bleue et orange (flèche « Within ») tout en maximisant la séparation entre les points les plus hauts de ces mêmes courbes (flèche « Between »).
Cette fonction a permis d’identifier des traits comportementaux appelés « identity domains » (IDs). Une telle fonction arrive à séparer dans la figure 1 les points orange des points bleus (imaginer une ligne séparant les points orange d’un côté et les points bleus de l’autre).
Concrètement, les mesures quantifient différents comportements et actions des souris (nombre de contacts entre individus, temps de ces contacts, temps à l’extérieur du nid, zone d’exploration, etc.). Au total 60 caractéristiques ont été mesurées durant 12H (temps d’activité) sur 4 jours. Les souris étaient placées par 4 dans un environnement (Figure 2) leur permettant d’interagir librement et de suivre automatiquement leurs déplacements ainsi que de catégoriser et mesurer leurs interactions. Au total 42 groupes de mâles ont été observés.
A partir de ces données, les chercheurs ont identifié 4 différents ID permettant de catégoriser les différents individus et représentant un sous-ensemble des personnalités différentes (Figure 3).
Ainsi on peut voir sur la figure 3 que les individus avec un score ID3 élevé sont plutôt solitaires (forte corrélation avec des activités solitaires, corrélation négative avec le fait de se faire approcher ou d’approcher d’autres individus).
En revanche les individus ayant un score ID1 élevé présentent des caractéristiques qu’on accorde à des individus alpha (tendance à approcher les autres, les autres individus ne l’approchent pas, explore son environnement sur de longues distances, chasse les autres individus mais ne se fait pas chasser). De plus si on représente le score de David (score de dominance, plus il est élevé, plus l’individu est dominant) en fonction du score ID1 on obtient une forte corrélation positive, indiquant que le score ID1 est caractéristique d’un individu alpha (Figure 4).
Après validation de la fiabilité des scores ID en changeant l’environnement, les individus et le nombre de mesures faites par les chercheurs ont montré que ces scores étaient stables à travers le temps, les différents stades de développement (juvénile/adulte) et un contexte social différent.
Que peut-on apprendre avec cette méthode d’évaluation des traits de personnalité ?
En comparant différents traits, il est possible de représenter « l’espace de personnalité ». Ce genre de comparaison produit un triangle (Figure 5) dans lequel chaque angle représente un archétype. Par exemple, hautement dominante mais non-commensale (souris de campagne) ou dominant mais non-commensale (souris de ville). Ce genre de représentation permet d’aborder l’interprétation des traits de comportement d’un point de vue évolutif et de voir leur changement comme une adaptation à un environnement.
Une analyse transcriptionnelle (mesure de l’activité génétique) a cartographié les niveaux d’expression génique dans le cerveau de ces souris. Ces analyses ont identifié un certain nombre de gènes associés à certains traits de personnalité lié au score ID.
Ce dernier résultat est particulièrement intéressant car il pourrait permettre d’identifier la génétique de la personnalité et la manière dont celle-ci est héritée. Cela permettrait de diagnostiquer et de traiter des problèmes lorsque ces gènes ne fonctionnent pas correctement ou même de développer une psychiatrie plus personnalisée, par exemple pour pouvoir prescrire les traitements appropriés contre la dépression. En outre, cette méthode peut être utilisée pour comparer la personnalité d’une espèce à l’autre et ainsi mieux comprendre les animaux qui partagent notre monde.
Source :
- Forkosh, O., Karamihalev, S., Roeh, S. et al. Identity domains capture individual differences from across the behavioral repertoire. Nat Neurosci 22, 2023–2028 (2019) doi:10.1038/s41593-019-0516-y.
Rédacteur : Lucas Krauss, doctorant à l’Institut Weizmann.