Actualité des études africaines en Israël : l’université Ben-Gourion du Néguev, un acteur montant de la recherche mondiale

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Israël | Sciences Humaines et sociales
10 janvier 2020

Depuis le premier XXème siècle, dans les universités à travers le monde, l’étude des sociétés africaines s’est progressivement structurée en champ disciplinaire autonome, d’abord à des fins d’administration coloniale (Sibeud, 2004), puis, après les indépendances des années 1960, dans la perspective, entre autres, de « décolonisation des savoirs » et d’intégration des penseurs africains à la recherche mondiale (Histoire générale de l’Afrique, UNESCO, 1964-1999). Si, en France, l’intérêt scientifique pour l’Afrique est ancien et évident, du fait de l’histoire commune et de la forte proximité culturelle, en Israël, une dynamique étonnante a émergé au milieu des années 1960, ciblant la diplomatie postcoloniale, l’aide au développement et la coopération technique. Loin de se limiter aux régions historiquement et démographiquement liées au pays (Maghreb et Éthiopie), l’intérêt des universitaires israéliens s’est aussi porté sur des régions variées d’Afrique subsaharienne. D’où vient l’intérêt scientifique d’Israël pour l’Afrique ? Où en est la recherche en études africaines aujourd’hui dans ce pays ? Comment, dans la dernière décennie, l’Université Ben-Gourion du Néguev (BGU), est-elle devenue un hub de renouvellement des dynamiques universitaires ?

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Administration du Tamar Golan Africa Center à l’Université Ben-Gourion du Néguev, Israël. Octobre 2019 (crédits : Africa Center)

Une brève histoire de l’africanisme israélien

Diplomatiquement, dès le milieu des années 1950, Israël connaît un engouement postcolonial pour l’Afrique subsaharienne. Il y a une affinité, une communauté de sort entre l’esprit israélien post-indépendance (1948) et la lutte des leaders africains pour sortir de la situation coloniale (Gruzd, 2017). Cela se concrétise très tôt par l’établissement de relations diplomatiques (Ghana 1956, Côte d’Ivoire 1962 etc.) et la mise en œuvre de nombreux projets de coopération en ingénierie militaire et en agriculture en milieu aride. Durant la décennie suivant la guerre du Kippour (1973), les relations diplomatiques officielles Afrique-Israël s’interrompent (à l’exception du Malawi, du Lesotho et du Swaziland), sous l’influence du Président égyptien El-Sadate, qui en appelle à la solidarité des États africains face à Israël. Ce premier temps fort des relations avec le continent des décennies 1950 à 1970 se prolonge jusque dans les universités israéliennes, par la création de plusieurs instituts articulant recherche fondamentale et analyse géostratégique, tels que le Truman Research Institute for the Advancement of Peace à Jérusalem. De grands noms de l’africanisme mondial proviennent de ces institutions et les ont façonnées : Nehemia Letzvion, spécialiste de l’Afrique musulmane, Naomi Chazan, politologue spécialiste de l’État, Michel Abitbol, historien du Maghreb etc.

Au milieu des années 1980, à la reprise des relations diplomatiques, tout est à reconstruire. Les liens d’entente doivent être réaffirmés. Et dans les universités d’Israël, il faut juguler le déclin progressif des études africaines, lié à la perte d’intérêt géopolitique pour le continent et au non-renouvellement des chaires après que la première génération d’africanistes (Cf. supra) a accédé à d’autres responsabilités académiques. Une figure de proue de ce chantier de la fin des années 1980 aux années 2000 est la journaliste, diplomate et universitaire Tamar Golan. D’abord reporter pour BBC Africa et Maariv, puis ambassadrice en Angola jusqu’au début des années 2000, à son retour en Israël, elle enseigne à BGU et s’engage activement pour la revitalisation des études africaines moribondes.

La polarisation des dynamiques universitaires autour de BGU depuis 2009

En 2009, à travers l’engagement d’une poignée d’enseignants-chercheurs de BGU, deux actes majeurs ont redynamisé les études africaines en Israël : la fondation du Tamar Golan Africa Center et l’ouverture de l’Interuniversity Program for African Studies. Le premier fut fondé grâce au mécénat d’Eytan Stibbe et de la Fondation Guy de Rotschild, avec l’objectif de faire parler d’Afrique à l’Université. L’ADN profond du centre est caractérisé par la pratique du volontariat sur le continent. Son identité disciplinaire s’est structurée autour d’un noyau dur histoire/sciences politiques, avant de s’élargir aux autres sciences sociales et aux Global Health Studies.
Quant à l’African Studies Program, il fut initié par les Pr. Lynn Schler (Sciences politiques) et Ruth Ginio (Histoire) pour fédérer les forces vives autour d’une licence cohabilitée. Ce programme pluridisciplinaire réunit les universités de Beer-Sheva, de Tel Aviv, et l’Université ouverte d’Israël, drainant une moyenne de 70 étudiants chaque année.
Les deux institutions, très imbriquées, fonctionnent avec une équipe restreinte, mais jeune et polyvalente (pôle administratif composé à 60% d’étudiants de la licence au doctorat). Cela permet une grande ouverture aux initiatives individuelles et un programme d’activités dense : voyages académiques annuels sur le continent, colloques internationaux en présence d’universitaires africains, forums de recherche, événements culturels etc.

Globalement, cette communauté de recherche apporte un souffle nouveau au champ mondial des études africaines, parce qu’elle s’affranchit des pesanteurs de l’historiographie coloniale, parce qu’elle est fortement connectée aux enjeux contemporains de développement, et parce qu’elle pose des questions inédites au continent, très liées aux problématiques chères à la tradition intellectuelle israélienne. Par exemple, dès les années 2000, la Pr. Ruth Ginio était l’une des premières à questionner l’impact socio-politique du régime de Vichy en Afrique-Occidentale française (Ginio, 2006).

Ouverture à l’international et perspectives d’avenir

Il semblerait que l’Africa Center et l’Interuniversity Program poursuivent désormais trois objectifs structurants pour les années à venir : ouvrir une filière de formation d’excellence à destination d’étudiants africains, à travers le projet de Master transdisciplinaire « M.A in African Sustainable Communities » prévu à l’horizon 2020/2021, pérenniser l’engagement des fondatrices en transmettant la responsabilité administrative et scientifique à la jeune génération montante d’enseignants-chercheurs au sein du réseau, et dynamiser les relations avec l’Afrique francophone et les communautés de recherche sur l’Afrique francophone à l’international. Autant de dynamiques prometteuses à surveiller de près !

Sources :

Rédacteur : Jean-Lémon Koné, doctorant à l’Université Ben-Gourion du Néguev.