Une équipe de l’Université de Science et Technologie de Hong Kong montre le rôle bénéfique de l’Interleukine 33 sur les pathologies du type maladie d’Alzheimer

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Hong Kong

Rapport
Hong Kong | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
18 mai 2016

Dans un article publié dans Proceedings of the National Academy of Sciences USA (PNAS) [1] en mars 2016, l’équipe dirigée par le Prof Nancy Ip, doyenne de la faculté des Sciences, directrice du “State Key Laboratory of Molecular Neuroscience” [2] et professeur dans la Division Sciences de la vie de l’Université de Science et Technologie de Hong Kong (HKUST), dévoile les résultats prometteurs de leurs travaux sur le déclin cognitif. Les travaux de recherche menés à HKUST, en collaboration avec le Prof Eddy Liew de l’Université de Glasgow (Angleterre) et le Prof Baorong Zhang de la Zhejiang University (Chine), montrent que l’Interleukine 33 humaine (IL-33) améliore les pathologies du type maladie d’Alzheimer et freine le déclin cognitif chez un modèle murin.

Article rédigé le 11/05/2016

La démence est un terme général désignant un déclin des aptitudes mentales assez grave pour interférer avec la vie quotidienne. Les pertes de mémoire en sont un exemple. La maladie d’Alzheimer est la forme la plus commune de démence [3, 4]. Découverte en 1906 par Aloïs Alzheimer, la maladie d’Alzheimer est un type de démence qui provoque des troubles de la mémoire, de la pensée et du comportement. C’est une affection du cerveau dite « neuro-dégénérative », c’est-à-dire qu’elle entraîne une disparition progressive des neurones. Ces neurones, qui servent à programmer un certain nombre d’actions, en disparaissant entraînent une altération des facultés cognitives : mémoire, langage, raisonnement, etc. L’extension des lésions cérébrales cause d’autres troubles qui réduisent progressivement l’autonomie de la personne. Les symptômes apparaissent généralement lentement et s’aggravent au fil du temps, devenant assez graves et interférant avec les tâches quotidiennes. La maladie d’Alzheimer apparaît plus souvent chez les personnes âgées, mais elle n’est pas une conséquence normale du vieillissement.

Plus de 80 000 personnes souffrent de démence actuellement à Hong Kong, dont 1 personne sur 10 chez les personnes de plus de 65 ans et une personne sur 3 chez les plus de 80 ans, selon la Hong Kong Alzheimer’s Disease Association [5], qui a estimé à 3,2 milliards de dollars US les coûts engendrés par cette maladie spécifique. Ce coût devrait augmenter exponentiellement si on en croit les projections du “Census and Statistics Department” [6]. En effet, si actuellement 4,5 % - soit 326 000 personnes - de la population est âgée de plus de 80 ans, ce chiffre devrait presque doubler pour atteindre 696 700 d’ici 2035 et même atteindre les 11,3 % de la population d’ici 2041. Aussi, il est estimé que 3,59 % de la population de Hong Kong souffrira de démence en 2050 [7, 8].

Pour comparaison, en France, où 19 % de la population est âgée de plus de 65 ans - contre 17 % à Hong Kong, 900 000 personnes souffraient de la maladie d’Alzheimer en 2015 [9], et plus de 200 000 nouveaux cas d’Alzheimer ou d’une autre forme de démence sont actuellement diagnostiqués chaque année, soit un nouveau cas toutes les 3 minutes comme le souligne la Fondation pour la Recherche Médicale [10]. Selon les projections actuelles, la France comptera 1 275 000 personnes malades en 2020 - soit 1 français de plus de 65 ans sur 4 devrait être touché par la maladie d’Alzheimer - et 2 140 000 en 2040 [4]. Dans le monde, ce sont plus de 44 millions de personnes qui sont atteintes de démence, ce qui fait de cette maladie une crise sanitaire mondiale à laquelle il faut faire face.

Même si l’âge est un facteur de risque important - avec une prévalence qui double tous les 5 ans, à partir de 65 ans (exemple : le risque est de 10% à 65 ans et passe à 15% à 70 ans, 20% à 75 ans…) - le vieillissement de la société à lui seul ne peut expliquer une telle augmentation des cas de démence recensés et la cause de la plupart des cas d’Alzheimer est encore largement inconnue. Dans moins de 1% des cas, des formes familiales ou héréditaires ont été identifiées. Cette forme purement génétique se caractérise par une apparition très précoce des symptômes et par une transmission dite autosomique dominante (la moitié de chaque génération est atteinte). Par contre, dans le cas des formes sporadiques ou non familiales, qui représentent environ 90 % des malades et se développent généralement après 65 ans, bien qu’il n’existe pas un processus héréditaire, il semble y avoir une prédisposition génétique. Ainsi, l’apparition de la maladie d’Alzheimer provient de l’interaction entre un terrain génétique et des facteurs de l’environnement. Plusieurs études épidémiologiques et toxicologiques s’accordent pour pointer du doigt l’implication de facteurs toxiques de nature chimique ou physique : métaux (mercure, plomb, aluminium…), pesticides, ondes électromagnétiques… mais beaucoup reste à faire pour comprendre les causes de cette maladie.

Les caractéristiques pathologiques de la maladie d’Alzheimer comprennent l’accumulation de plaques constituées de peptides bêta-amyloïde (Aß) dans le cerveau, aussi appelées plaques séniles autour des neurones, et/ou d’agrégats de protéines Tau hyperphosphorylées à l’intérieur des cellules neuronales. La présence des agrégats perturbe dans un premier temps la communication neuronale. Lorsque ces agrégats deviennent trop importants, ils induisent la mort des cellules. On constate alors une diminution dramatique du volume cérébral pouvant atteindre 40 % de la masse initiale. Les plaques et agrégats se propagent ensuite dans le cerveau et touchent les autres zones responsables des fonctions vitales : respiration, digestion, circulation sanguine… La motricité et l’autonomie des malades sont alors diminuées [10]. Une inflammation globale du cerveau contribue également à la pathologie de la maladie.

L’équipe de HKUST s’est concentrée sur le rôle de l’IL-33 dans le développement de la maladie d’Alzheimer en raison de sa fonction compromise chez les personnes ayant une déficience cognitive légère et présentant un risque élevé de développer la maladie.

L’Interleukine (IL)-33, encodée par le gène IL33 porté par le chromosome 9 humain, est un membre de la superfamille de cytokines de l’IL-1. Elle est exprimée principalement par les cellules du stroma, telles que les cellules epitheliales et endotheliales, et son expression est régulée à la hausse après une stimulation pro-inflammatoire. IL-33 peut fonctionner à la fois en tant que cytokine traditionnelle et en tant que facteur nucléaire de régulation de la transcription génique. Elle est supposée fonctionner comme une "alarmine" qui serait libérée à la suite d’une nécrose cellulaire pour alerter le système immunitaire suite à des lésions tissulaires ou à un stress [11]. IL-33 est donc capable de moduler les fonctions immunitaires.

Les chercheurs de HKUST ont constaté que l’injection d’IL-33 chez des souris transgéniques présentant des dépôts de plaques amyloïdes et développant des pathologies semblables à la maladie d’Alzheimer aboutit à la récupération remarquable et rapide des fonctions cognitives des souris. Ceci est lié à une amélioration de la plasticité synaptique naturellement détériorée chez ces souris transgéniques modèles.

En une semaine, la détérioration des communications neuronales et la perte de mémoire chez ces souris modèles s’étaient inversées. Aussi, de façon significative, l’équipe a constaté que l’injection d’IL-33 pendant 2 jours consécutifs était suffisante pour réduire les niveaux de peptide Aß et, à son tour, réduire les dépôts de plaque amyloïde dans le cerveau de ces souris. Il a été montré que l’injection d’IL-33 induit la mobilisation des cellules migrogliales immunitaires du cerveau, la microglie, et active leur activité de clairance du peptide Aß et des plaques amyloïdes. De plus, IL-33 déclenche des modifications de la microglie, conduisant à une réduction de l’inflammation globale dans le cerveau.

"Ces résultats passionnants nous permettent d’avancer vers une meilleure compréhension du processus pathologique de cette maladie complexe et multi-factorielle et d’ouvrir une nouvelle voie pour le développement de traitements de la maladie d’Alzheimer", a déclaré le Professeur Ip. "La prochaine étape consistera à transférer les résultats de cette étude de la souris à l’homme en mettant en place des traitements cliniques."

Sources :

[1] Amy K. Y. Fua,b,c,Kwok-Wang Hunga,b,c,Michael Y. F. Yuena,b,c,Xiaopu Zhoua,b,c,Deejay S. Y. Maka,b,c, Ivy C. W. Chana,b,c,Tom H. Cheunga,b,c,Baorong Zhangd Wing-Yu Fua,b,c,Foo Y. Liewe,f,1, and Nancy Y. Ipa,b,c, IL-33 ameliorates Alzheimer’s disease-like pathology and cognitive decline, http://www.pnas.org/content/early/2016/04/13/1604032113.abstract

[2] State Key Laboratory of Molecular Neuroscience de HKUST - http://skl-molneurosci.ust.hk/eng/people_research.html

[3] Alzheimer et la démence, ressources de Alz.org France -
http://www.alz.org/fr/demence-alzheimer-france.asp

[4] Fondation France Alzheimer et maladies apparentées -
http://www.francealzheimer.org/comprendre-maladie/maladie-d-alzheimer

[5] Hong Kong Alzheimer’s Disease Association -
http://www.hkada.org.hk/en/

[6] Hong Kong Population Projections 2015-2064 [25 Sep 2015] - http://www.censtatd.gov.hk/press_release/pressReleaseDetail.jsp?charsetID=1&pressRID=3799

[7] "Third of Hongkongers over 80 will have dementia by 2050 as experts warn city is completely unprepared" - http://www.scmp.com/news/hong-kong/health-environment/article/1860021/hong-kong-unprepared-dementia-time-bomb

[8] "Charles Kao Foundation for Alzheimer’s disease" - http://www.charleskaofoundation.org/en/alzheimer.aspx

[9] Association pour la recherche sur Alzheimer -
http://alzheimer-recherche.org/category/maladie-alzheimer/chiffres-et-prevalence/

[10] Fondation pour la Recherche Médicale - https://www.frm.org/alzheimer/ampleur-maladie.html

[11] Role of IL-33 in inflammation and disease
Ashley M Miller (2011) J Inflamm (Lond). ; 8 : 22.
Published online 2011 Aug 26. doi : 10.1186/1476-9255-8-22
http://www.ncbi.nlm.nih.gov

Rédactrice : Isabelle Saves, Attachée de mission scientifique à Hong Kong