Une équipe de chimistes de la University of Hong Kong améliore la synthèse de molécules anti-cancéreuses prometteuses.

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Hong Kong

Rapport
Hong Kong | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
23 décembre 2015

Article publié le 23/12/2015

Les molécules de cortistatine (à ne pas confondre avec le neuropeptide du même nom) ont été isolées en 2006, et elles ont révélé depuis d’intéressantes propriétés antiprolifératives. De ce fait, elles intéressent beaucoup les scientifiques développant de nouvelles stratégies thérapeutiques dans la lutte contre le cancer, mais aussi contre l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Cependant, il est difficile de recueillir la cortistatine à partir de source naturelle. La synthèse chimique de cette molécule organique complexe est donc devenue un objet de recherche à fort enjeu. Récemment, une contribution significative dans ce domaine a été apportée par une équipe de chimistes de l’Université de Hong Kong (HKU) dirigée par le professeur Pauline Chiu. Les chercheurs du département de chimie ont réussi à mettre au point une méthode de synthèse complète de deux molécules de cortistatine, les cortistatine A et J. Ces molécules pourraient constituer un nouvel outil pharmacologique pour réduire la croissance tumorale.

En 2006 et 2007, l’équipe du Dr. Motomasa Kobayashi de l’université d’Osaka isolait une nouvelle famille d’alcaloïdes stéroïdiens à partir d’une éponge de mer, Corticium simplex. Cette découverte a été faite alors qu’ils sélectionnaient des substances capables d’inhiber la prolifération des cellules endothéliales de la veine ombilicale chez l’homme (HUVECs). Les molécules isolées ont été appelées cortistatines (onze au total, cortistatines A à H et J à L, à ne pas confondre avec le neuropeptide cortistatine), les cortistatines A et J présentant la plus forte activité anti-proliférative contre les HUVECs [1-2]. C’est cette propriété anti-angiogénique (qui inhibe la formation de nouveaux vaisseaux sanguins) qui se révèle intéressante sur le plan thérapeutique.

Le potentiel thérapeutique de l’activité anti-angiogénique des cortistatines concerne d’abord la lutte contre le cancer. Lorsqu’une tumeur acquiert un diamètre qui dépasse 2 millimètres, les cellules tumorales ne peuvent plus s’alimenter uniquement à partir des vaisseaux sanguins situés autour, elles ont besoin de leur propre irrigation sanguine pour continuer à se développer. Elles sont alors capables de déclencher la formation de nouveaux vaisseaux pour assurer leur vascularisation mais également diffuser des métastases vers d’autres tissus. C’est le processus d’angiogenèse [3]. En inhibant la vascularisation des tumeurs, il est en théorie possible de freiner leur croissance. Le développement de médicaments anti-angiogéniques a donc constitué une avancée importante en oncologie pour le traitement de certaines tumeurs, en s’ajoutant aux traitements de chimiothérapie et de radiothérapie considérés comme peu spécifiques. Plusieurs de ces médicaments ont été mis sur le marché : le bevacizumab (Avastin®), le sunitinib (Sutent®) et le sorafénib (Nexavar®) [4]. Les cortistatines constitueraient donc, de par leur propriété anti-angiogénique, une piste à étudier pour élargir l’arsenal thérapeutique anticancéreux.

La famille des cortistatines a également fait parler d’elle dans la recherche thérapeutique contre l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Les patients infectés par le VIH suivant une thérapie antirétrovirale (ART) restent sous traitement pour toute leur vie car le virus est capable de survivre dans des cellules dormantes infectées, invisibles pour les défenses immunitaires. Si le traitement est interrompu, ces réservoirs provoquent un rebond viral et une progression clinique du Sida (syndrome d’immunodéficience acquise). Des chercheurs du Scripps Research Institute, un centre de recherche biomédicale américain, ont synthétisé en 2008 une molécule dérivée de la cortistatine A, la didéhydro-cortistatine A, qui a été brevetée en 2012. En juillet 2015, ils ont montré que cette molécule possède une activité antivirale efficace contre les cellules infectées par le VIH. La didéhydro-cortistatine A inhibe la réplication du matériel génétique viral dans les cellules infectées, et permet ainsi de maintenir l’infection dans un état latence quasi-permanent en diminuant la réactivation du virus à partir de ses « réservoirs » de cellules dormantes infectées [5].

Cependant, pour pouvoir évaluer expérimentalement le potentiel thérapeutique des cortistatines à grande échelle, un problème se pose : obtenir des quantités significatives de la molécule à étudier. Or, il existe peu de sources naturelles de cortistatines. Pour cette raison, le développement de la synthèse chimique en laboratoire de cette molécule prometteuse a pris de l’ampleur depuis quelques années. Jusque là, plusieurs laboratoires sont déjà parvenus à synthétiser des molécules de cortistatines, et à partir de ces travaux, une équipe de chimistes de l’Université de Hong Kong (HKU) a publié récemment une nouvelle méthode remarquablement performante de synthèse totale des cortistatines A et J dans le journal Chemistry – A European Journal (Volume 21, numéro 41, 5 octobre 2015) [6].

Selon le professeur Pauline Chiu et ses collaborateurs du Department of Chemistry, leur synthèse atteint le rendement le plus élevé obtenu jusque là. « Trouver de nouvelles réactions chimiques constitue un champ de recherche extrêmement important, car toute nouvelle réaction peut devenir un outil utile, ouvrant la porte à la synthèse de nombreuses molécules intéressantes. Dans notre cas, la réaction de cyclo-addition que nous avons développée fut la réaction clé du rendement efficace de notre synthèse de cortistatine A » a rapporté Pr. Pauline Chiu [7]. Cette réaction chimique pourrait donc également servir à la synthèse d’autres composés biologiquement actifs, ce que le laboratoire va continuer à étudier.

Le haut rendement de la nouvelle voie de synthèse de cortistatines développée par les chimistes de HKU est une avancée pour les futures études pharmacologiques du potentiel thérapeutique de ces molécules dans la lutte contre le cancer et l’infection par le VIH. Le comité de lecture du Chemistry – A European Journal qui a publié les travaux de Pr. Pauline Chiu et son équipe a d’ailleurs répertorié la publication comme « hot paper ».

Sources :

[1] Aoki S, Watanabe Y, Sanagawa M, Setiawan A, Kotoku N, Kobayashi M. (2006). Cortistatins A, B, C, and D, Anti-angiogenic Steroidal Alkaloids, from the Marine Sponge Corticium simplex. J. Am. Chem. Soc., 128 (10):3148–3149
[2] Aoki S, Watanabe Y, Tanabe D, Setiawan A, Arai M, Kobayashi M. (2007). Cortistatins J, K, L, novel abeo-9(10-19)-androstane-type steroidal alkaloids with isoquinoline unit, from marine sponge Corticium simplex. Tetrahedron Lett 48(26):4485-4488
[3] Médecine expérimentale, cours de Pierre Corvol (Collège de France, Chaire de Médecine expérimentale 1989-2012).
http://www.college-de-france.fr/media/pierre-corvol/UPL17128_pcorvolcours0506.pdf
[4] Utilisation des médicaments anti-angiogéniques en oncologie, http://www.soc-nephrologie.org/esociete/groupes/angiogeniques/antiangio2.htm
[5] News Release : Scripps Research Institute-Designed Drug Candidate Significantly Reduces HIV Reactivation Rate, http://www.scripps.edu/news/press/2015/20150708valente.html
[6] Kuang L, Liu LL, Chiu P. (2015). Formal Total Synthesis of (+)-Cortistatins A and J. Chem. Eur. J. 21 :14287-14291
[7] Press Release : HKU chemists develop new strategy to synthesize molecule that could help mitigate cancer tumour development,
http://www.hku.hk/press/news_detail_13679.html

Rédacteur :
Gabriel BENET, Chargé de mission scientifique