Transformer nos déchets alimentaires en fibres textiles biodégradables, c’est ce que proposent aujourd’hui des chercheurs honkongais.

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Hong Kong

Rapport
Hong Kong | Science de la matière : matériaux, physique, chimie, optique
5 août 2016

Des chercheurs de la « City University of Hong Kong (CityU) » en partenariat avec le « Hong Kong Research Institute of Textiles and Apparel Limited (HKRITA) » ont déposé un brevet sur une technologie permettant de transformer les déchets alimentaires en fibre textiles. Des avancées sont cependant encore nécessaires pour que ces fibres puissent définitivement être utilisées dans les procédés industriels de fabrication de vêtements.

Article rédigé le 29/07/2016

D’après « The Food and Agriculture Organisation of the United Nations », près de 1/3 de la nourriture produite, dans le monde, pour la consommation humaine est perdue chaque année [1]. Alors que Hong Kong connait, depuis plusieurs années, un problème majeur devenant critique pour l’entreposage des déchets en fin de vie, sa production annuelle de déchets s’élève à près de 6,4 millions de tonnes dont 3,2 tonnes de déchets alimentaires [2]. Les décharges publiques de Hong Kong devraient atteindre leurs pleines capacités d’ici la fin de l’année 2016, voir au plus tard début d’année 2017 [3]. Pour remédier à ce problème de nombreuses solutions sont proposées par le département de la protection de l’environnement du gouvernement local afin de réduire la production de déchets par habitant de 40 % d’ici 2022 par rapport à celle de 2013. Ces mesures se déclinent essentiellement en 5 points : La réduction des déchets à la source, une campagne d’éducation sur la réduction les déchets alimentaires, l’augmentation du recyclage, une meilleure utilisation des déchets alimentaires dans la génération d’énergie et une meilleure gestion des centres d’enfouissement (notamment en ce qui concerne l’odeur due à la dégradation des déchets organiques) [4].

Pour faire face à une partie du problème, des chercheurs de CityU dirigée par le Dr Carol Lin Sze-ki, professeur associé du département d’énergie et d’environnement, en partenariat avec le HKRITA travaillent donc depuis plus de 2 ans sur un procédé qui pourrait transformer les déchets alimentaires en fibres utilisables dans l’industrie textile. En mai 2016, une grande étape vient d’être franchie puisqu’un brevet vient d’être déposé protégeant un procédé de synthèse en 3 étapes permettant de passer de déchets alimentaires riches en sucre à des fibres polymères de PLA (Acide polylactique). Le PLA est un polymère thermoplastique biodégradable de plus en plus utilisé dans les emballages alimentaires, pour remplacer les sacs plastiques, et dans la fabrication de très nombreux objets injectés, extrudés ou thermoformés [5]. Le rendement de du procédé est aujourd’hui de l’ordre de 10 % en masse, l’équipe a, en effet, réussi à transformer 100 grammes de déchets alimentaires en 10 grammes de PLA en l’espace d’une semaine [6]. Malheureusement, les fibres produites à l’heure actuelle sont encore trop fragiles et friables pour être utilisées commercialement, problème qui sera résolu très certainement dans les 5 ans à venir selon le directeur HKRITA, Mr. Edwin Keh Yee-man.

Ce nouveau procédé a remporté, fin avril 2016, la médaille d’or du 44ème Salon International des Inventions de Genève (Suisse) [8].

Description du procédé [7] :

Le procédé de synthèse est composé de 3 étapes majeures :

I) La fermentation en acide lactique

Afin d’utiliser la nourriture comme matière première pour la fermentation, deux espèces de champignons filamenteux, de type moisissure, Aspergillus awamori et Aspergillus oryzae, sont ajoutés en tout début de manipulation. Des enzymes alors sécrétées in situ par ces champignons permettent de générer la réaction de fermentation. La solution mixée est ensuite soumise à une réaction d’hydrolyse dans une bioréacteur qui permet la transformation de la nourriture en une solution riche en nutriments ; solution dans laquelle les bactéries et enzymes pourront synthétiser, pendant la réaction de fermentation, l’acide lactique recherché. Afin d’obtenir de l’acide lactique pur, il est nécessaire d’extraire les autres composants (comme les cellules issues de la biomasse) par un procédé de centrifugation et de filtration (sur charbon actif) durant une trentaine de minutes. La solution est ensuite concentrée par évaporation sous vide (2h à 60°C) puis elle subit une extraction dans de l’éthyle acétate (mixée par un homogénéisateurs à ultrasons pendant 20 min). Le résultat est séparé par une extraction liquide-liquide utilisant à un solvant organique puis dans la phase aqueuse, l’éthyle d’acétate est séparé de l’acide lactique par évaporation sous vide pendant 30 min à 40 °C.

II) La polymérisation de l’acide lactique

Le but de cette étape est de transformer de l’acide lactique obtenu en PLA par une réaction de polymérisation avec ouverture du cycle aromatique. Pour cela un nouveau type de catalyse est utilisé : des nanoparticules d’oxyde de zinc sont mises en dispersion dans la solution à traiter. A la suite des réactions de déshydratation, d’oligomérisation et de dépolymérisation, la solution de lactide (diester cyclique de l’acide lactique) obtenue est purifiée par un procédé de cristallisation dans de l’éthyle acétate à 4°C pendant 24h. La solution obtenue est filtrée sous vide puis séchée en étuve pendant 24h. La réaction d’ouverture du cycle aromatique est réalisée en portant à reflux la solution à 200°C pendant 25 min sous atmosphère inerte (azote) La solution est finalement précipitée dans de l’éthanol froid et filtrée puis séchée pendant 24h à 40°C. Un PLA de haut poids moléculaire et de haute pureté est alors obtenu.

III) La fabrication finale des fibres est obtenue par un procédé de « trempage sur roue »

La trempe sur roue (melt spinning en anglais) est une technique de refroidissement rapide de liquides. Le dispositif utilisé est composé dans son principe d’un réservoir de liquide chaud, duquel coule un filet qui entre en contact lors de sa chute avec un cylindre en métal bon conducteur thermique. Cette roue tourne à grande vitesse et est elle-même refroidie, généralement par contact avec un autre fluide froid, azote liquide ou eau, ce qui lui permet de rester froide.

Selon Dr Carol Lin Sze-ki, le procédé est viable économiquement puisque la matière première est gratuite et les équipements très peu coûteux. Encore faut-il developper une filière efficace de collecte, de trie et de stockage des déchets organiques, problème récurrent à Hong Kong depuis plusieurs années [9] Des centres de traitement de déchets en Chine continentale se seraient d’ailleurs déjà montrés intéressés [10]. Financée par le fond de l’Innovation and Technology Commission de Hong Kong pour ces travaux, l’équipe travaille aussi actuellement sur deux autres sujets du même domaine : la fabrication d’acide succinique, pouvant servir à synthétiser de nombreuses molécules d’intérêt médical ou commercial et sur le recyclage de textiles usagés pour la fabrication de nouveaux vêtements. Cela pourrait contribuer à réduire significativement les 217 tonnes de textiles mis en décharges chaque jour à Hong Kong (comptant pour 1,6 % de la masse total de déchets) [11].

Sources :

[1] http://www.fao.org/save-food/resources/keyfindings/en/
[2] http://www.scmp.com/news/hong-kong/health-environment/article/1950513/if-you-cant-eat-it-wear-it-hong-kong-researchers
[3] https://en.wikipedia.org/wiki/Waste_management_in_Hong_Kong
[4] http://www.epd.gov.hk/epd/english/environmentinhk/waste/waste_maincontent.html
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Acide_polylactique
[6 ; 10 ; 11] http://wikisites.cityu.edu.hk/sites/newscentre/en/pages/201605271730.aspx
[7] http://www.hkrita.com/html/projectvideos.php
[8] http://www.inventions-geneva.ch/en/
[9] https://hongkong.consulfrance.org/Focus-Energie-Environnement-La-8457

Rédacteur :

Monier Justin, Chargé de mission scientifique - Hong Kong