Résistance aux antibiotiques : la région de Hong Kong mobilisée face aux difficultés.

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Hong Kong

Rapport
Hong Kong | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
18 mai 2016

Dans un contexte mondial de promotion d’une approche globale de la santé publique, Hong Kong s’engage depuis plusieurs années contre la menace toujours grandissante causée par le problème de la résistance microbienne aux antibiotiques. La région administrative spéciale oriente sa politique de santé publique vers la sensibilisation de sa population, un accompagnement des pratiques médicales et vétérinaires et le développement d’une recherche biomédicale active. Toutefois, au delà de ces bonnes intentions, la réalité de la situation comprend de nombreuses difficultés qui rendent le problème complexe.

Article rédigé le 11/05/2016

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a récemment remis en avant son combat contre la résistance aux antibiotiques. Le lancement en novembre 2015 de sa nouvelle campagne intitulée « Antibiotiques, à manipuler avec précaution » s’est accompagné de la publication des résultats d’une enquête montrant que l’opinion publique, même si de plus en plus concernée par le problème, saisit encore mal les menaces que fait peser l’antibiorésistance sur la santé publique. La hongkongaise Dr Margaret Chan, directrice générale de l’OMS, a une nouvelle fois voulu provoquer la prise de conscience : « L’augmentation de la résistance aux antibiotiques représente un immense danger pour la santé mondiale, et les gouvernements reconnaissent désormais qu’il s’agit de l’un des plus grands défis auxquels la santé publique est confrontée aujourd’hui. Elle atteint des niveaux dangereusement élevés dans toutes les parties du monde. [Elle] met en péril notre capacité à traiter les maladies infectieuses et compromet de nombreux progrès obtenus dans le domaine médical. »1 Le message n’est pas nouveau. Dès les années 2000, les éditoriaux rédigés par l’organisation avaient le même ton alarmiste : « Résistance aux antimicrobiens : une menace pour le monde »2. Après les énormes progrès que les antibiotiques ont apportés à la médecine du XXe siècle depuis la découverte de pénicilline G en 1928, leur utilisation massive en santé humaine et animale, parfois inadaptée ou détournée, a effectivement provoqué une amplification de l’apparition de bactéries résistantes, qui nous mènerait aujourd’hui vers une « apocalypse post-antibiotique »3 avec des situations d’impasse thérapeutique de plus en plus fréquentes. Si les chiffres alarmants avancés par l’OMS peuvent être discutés du point de vue de leur fiabilité en raison de la difficulté du recueil et du traitement de données à l’échelle mondiale, il n’en reste pas moins que la nature du message doit être retenue.

Les antibiotiques sont à l’origine des molécules naturellement synthétisées par des microorganismes pour lutter contre des bactéries concurrentes de leur environnement. Alexander Fleming découvrit qu’une espèce de champignon microscopique synthétisait et sécrétait une substance inhibant la croissance de ses cultures bactériennes de staphylocoques. Il lui donna le nom de pénicilline. Aujourd’hui, il existe en pharmacologie plusieurs familles d’antibiotiques constituées à la fois de molécules d’origine naturelle, mais aussi de molécules semi-synthétiques ou de synthèse, qui s’attaquent spécifiquement à une ou plusieurs espèces de bactéries ou un genre de bactéries, on parle de spectre d’activité antibactérienne. En se fixant sur des cibles spécifiques, les antibiotiques bloquent la croissance (effet bactériostatique) ou tuent (effet bactéricide) les bactéries selon plusieurs mécanismes : en inhibant la synthèse de leur paroi, de leur matériel génétique, de protéines essentielles à leur survie, ou encore en bloquant certaines voies de leur métabolisme4. Alors qu’il existe une résistance dite naturelle aux antibiotiques, l’action des antibiotiques génère en même temps une pression de sélection sur les bactéries, les poussant à s’adapter et à développer des dispositifs de survie. Pour cela, les bactéries utilisent trois grands mécanismes de résistance. Elles peuvent produire des enzymes pour inactiver l’antibiotique, devenir imperméables, ou des mutations génétiques peuvent dénaturer la protéine cible que reconnaît habituellement la molécule antibiotique. Ainsi, en plus de la résistance naturelle innée, il existe plusieurs niveaux de résistance qui peuvent aller jusqu’à la multi-résistance, l’ultra-résistance voire même la pan-résistance (résistance à tous les antibiotiques existant dans l’arsenal thérapeutique). Des bactéries qui étaient sensibles à un ou plusieurs médicaments antibiotiques sont capables de déjouer leur action, ce qui rend certains médicaments inefficaces. La corrélation entre l’utilisation des antibiotiques et la dissémination de la résistance dans les populations bactériennes a été montrée par de nombreuses études. L’usage inadéquat des antibiotiques, notamment dans l’élevage (utilisation comme facteurs de croissance) mais aussi en santé humaine (médicaments mal choisis ou mal dosés, surconsommation, mauvais usage et arrêt prématuré des traitements, défaillances dans la lutte contre la propagation…) ont conduit à accélérer l’émergence de l’antibiorésistance, avec pour conséquence une augmentation des échecs thérapeutiques et des cas d’infections nosocomiales dans les hôpitaux.

À Hong Kong, le problème de la résistance aux antibiotiques n’est pas sous-estimé, et la région administrative spéciale, confrontée de plein fouet elle aussi à l’augmentation de l’apparition de bactéries antibiorésistantes5, se mobilise pour relayer les indications de l’OMS. Le “Department of Health” (DH) du gouvernement de Hong Kong a mis en place en 2010 au sein du “Centre for Health Protection” (CHP) un groupe de travail, le “Health Protection Programme on Antimicrobial Resistance”, pour favoriser les échanges entre experts sur les stratégies de surveillance et de prévention à mettre en place dans la région6. Dans son dernier discours annuel de politique général, M. CY Leung, Chef de l’Exécutif du gouvernement de Hong Kong, a répété la volonté du gouvernement à continuer de s’attaquer à la menace de la résistance microbienne. Il déclare vouloir mettre en place un nouveau comité de pilotage chargé d’actualiser les stratégies d’action7. Avant cela, entre 1999 et 2012, le CHP, en collaboration avec la “Hospital Authority” (HA), la “University of Hong Kong” (HKU), et la “Chinese University of Hong Kong” (CUHK), a publié quatre versions d’un livret de référence pour les pratiques médicales concernant l’usage des antibiotiques : IMPACT8, “Interhospital Multi-disciplinary Programme on Antimicrobial ChemoTherapy”. Dans les hôpitaux, les programmes de bonne gestion des antibiotiques ont montré des résultats encourageants, avec notamment une baisse des cas d’infections par le staphylocoque doré résistant à la méticilline de 10 % entre 2007 et 20096. Par ailleurs, la législation est stricte, la vente des produits antibiotiques est réglementée et surveillée autant que possible, donnant lieu à des saisies et des poursuites judiciaires en cas de vente illégale9. Depuis 2012, le CHP poursuit également ses efforts de sensibilisation de l’opinion publique en organisant les « Antibiotic Awareness Days » et la campagne « I Pledge » à destination des professionnels de santé en 2014 (« I pledge to use antibiotics responsibly », « Je m’engage à prescrire les antibiotiques de façon responsable »). En novembre 2015, ces évènements ont été remplacés par la « World Antibiotic Awareness Week » (16-22 novembre) sous l’impulsion de l’OMS, à laquelle Hong Kong s’est associé en multipliant les messages de prévention10. Plus récemment, c’est l’Université Polytechnique de Hong Kong (PolyU) qui s’est engagée sur le front de la sensibilisation au problème de la résistance microbienne aux antibiotiques avec l’organisation le 1er février d’une conférence intitulée « Antimicrobial resistance : Global Challenges and Ways Forward » à laquelle a été invité le Dr Keiji Fukuda, représentant spécial du Directeur général de l’OMS pour la résistance aux antimicrobiens11. PolyU a ensuite accueilli le Global Food Safety & Technology Forum du 3 au 5 février 2016 auquel a également participé Dr Fukuda12. La sécurité alimentaire, c’est justement à ce niveau que Hong Kong fait régulièrement face à des difficultés dans le contrôle de l’utilisation des antibiotiques.

Malgré cette implication marquée en faveur d’une lutte contre l’émergence du danger relatif à l’antibiorésistance, Hong Kong doit régulièrement faire face à des alertes peu rassurantes sur l’utilisation massive d’antibiotiques dans l’industrie alimentaire, y compris des antibiotiques destinés au traitement des humains. En effet, Le Conseil des Consommateurs de Hong Kong, le “Consumer Council”, intervient régulièrement pour faire pression sur les chaînes de restauration notamment13, en les poussant à la transparence quant à l’alimentation des animaux utilisé pour la préparation de leurs plats. Le “Consumer Council” espère ainsi entraîner l’opinion vers un refus des viandes d’animaux nourris avec d’importants compléments en antibiotiques. Cependant, s’il existe une réglementation stricte sur l’utilisation des antibiotiques dans l’élevage à Hong Kong14, l’approvisionnement en viandes et poissons dépend en majeure partie des importations de pays dont les réglementations sont toutes différentes. Le contrôle est donc très difficile. Toutefois, même sur le territoire des abus ont lieu, et le Département de l’alimentation et de l’hygiène environnementale (Food and Environmental Hygiene Department) doit maintenir des actions de surveillance et procéder à des abattages lorsque l’usage d’antibiotiques interdits est confirmé dans les fermes d’élevage15.

La région administrative spéciale de Hong Kong semble bien impliquée dans la lutte contre le développement grandissant de la résistance aux antibiotiques dans un contexte désormais orienté vers une « santé globale », impliquant une interdépendance de la santé humaine, animale et environnementale. Cependant, beaucoup reste à faire dans une région, le Delta de la Rivière des Perles, largement touchée par la dissémination de nombreux antibiotiques dans les écosystèmes16.

Sources :

1. OMS, communiqué de presse. « Une enquête multipays de l’OMS révèle une large incompréhension de l’opinion publique à l’égard de la résistance aux antibiotiques », 16 novembre 2015.
http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2015/antibiotic-resistance/fr/
2. Médicaments Essentiels : le Point, Numéro double – N°28 & 29 (2000). http://apps.who.int/medicinedocs/pdf/s2249f/s2249f.pdf
3. Are you ready for a world without antibiotics ? The Guardian, 12 août 2010.
http://www.theguardian.com/society/2010/aug/12/the-end-of-antibiotics-health-infections
4. Résistance aux antibiotiques, Dossier Inserm réalisé en collaboration avec le Pr Laurent Gutmann, Service de microbiologie de l’Hôpital Européen Georges Pompidou, Unité 872 Inserm/UPMC/Université Paris Descartes - Mai 2013.
http://www.inserm.fr/thematiques/immunologie-inflammation-infectiologie-et-microbiologie/dossiers-d-information/resistance-aux-antibiotiques
5. Strategic measures for the control of surging antimicrobial resistance in Hong Kong and mainland of China, Cheng et al. Emerging Microbes & Infections (2015).
http://www.nature.com/emi/journal/v4/n2/abs/emi20158a.html
6. The HKSAR’s Public Health Response to Extensively Resistant Bacteria, A. Wong et T. Tsang, The Hong Kong Medical Diary, vol.16 n°4, avril 2011
http://www.fmshk.org/database/articles/03mb2_18.pdf
7. 2016 Policy Address, janvier 2016.
http://www.policyaddress.gov.hk/2016/eng/p229.html
8. 4ème édition du Interhospital Multi-disciplinary Programme on Antimicrobial ChemoTherapy, 2012.
http://www.chp.gov.hk/files/pdf/reducing_bacterial_resistance_with_impact.pdf
9. Retail shops raided for suspected illegal sale and possession of unregistered pharmaceutical products, communiqué de presse du gouvernement de Hong Kong, 11 septembre 2015.
http://www.info.gov.hk/gia/general/201509/11/P201509110683.htm
10. World Antibiotic Awareness Week 2015, page web du CHP.
http://chp.gov.hk/en/view_content/41992.html
11. Communiqué de presse de l’Université Polytechnique de Hong Kong du 3 février 2016.
http://www.polyu.edu.hk/web/en/media/media_releases/index_id_6190.html
12. Global Food Safety and Technology Forum (GFSTF) 2016
http://www.polyu.edu.hk/itdo/en/events.php?event=1361
13. Hong Kong should beef up vigilance and laws to combat excessive use of antibiotics on animals destined for dinner tables, South China Morning Post, 16 décembre 2015.
http://www.scmp.com/comment/insight-opinion/article/1892211/hong-kong-should-beef-vigilance-and-laws-combat-excessive
14. Harmful Substances in Food Regulations (Cap. 132AF).
15. Culling of local pigs sparks concern over antibiotic abuse, Hong Kong Free Press, 13 novembre 2015.
https://www.hongkongfp.com/2015/11/13/culling-of-local-pigs-sparks-concern-over-antibiotic-abuse/
16. Government needs to study concentrations of antibiotics in rivers, South China Morning Post, 3 mars 2016.
http://www.scmp.com/comment/letters/article/1920107/government-needs-study-concentrations-antibiotics-rivers

Rédacteur :

Gabriel BENET, Chargé de mission scientifique - Hong Kong