Réglementation sur les graisses de cuissons à Hong Kong.

Partager
Hong Kong

Rapport
Hong Kong | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
11 août 2015

Hong Kong, est une ville où il fait bon manger : les “street food”, les “dim sum”, les nouilles sautées… tous ces aliments obtiennent leurs saveurs grâce aux bains d’huiles de friture, qui confèrent également à la ville son odeur si particulière.

Les hongkongais étant particulièrement attentifs à leur santé, les récents problèmes relatifs aux huiles de cuissons à Taiwan ont conduit le gouvernement de Hong Kong à mettre en place une régulation de ces huiles et de leur recyclage.

Dangers pour la santé des huiles de cuisson :

La cuisson, et surtout les cuissons successives, des matières grasses alimentaires présentent plusieurs risques pour la santé.

Tout d’abord, lorsque l’huile est chauffée à des températures élevées de la fumée s’en dégage. La température dite de “fumée” d’une huile varie selon l’origine de la matière grasse mais, quelque soit son origine, plus une huile est cuite, plus sa température de “fumée” est basse. En réutilisant une huile, on augmente donc les dégagement de fumées. Or, l’inhalation de ces fumées est hautement cancérigène. En effet, les fumées d’huiles contiennent des acides gras saturés et de l’acroléine[1], un aldéhyde extrêmement toxique par inhalation et ingestion, fortement irritant pour la peau et les muqueuses (oculaires et nasales) et hautement lacrymogène. L’acroléine est également un des agents responsable du cancer du poumon [2]. En France, les normes de qualité de l’air intérieur dressées par l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) indiquent des valeurs seuils à respecter pour protéger des effets survenant après une exposition de courte durée (6,9 µg/m3 d’air pour une exposition de 1 heure) et des effets à long terme (0,8 µg/m3 d’air pour une durée d’exposition supérieure à un an) [3] [4].

Par ailleurs, lors de la cuisson des huiles végétales se créent des graisses saturées et “trans”. Ces graisses font augmenter le taux de lipoprotéines à basse densité (LDL) dans le sang et favorisent les maladies cardiaques [5]. Les graisses “trans” ont de plus la particularité d’abaisser le taux de lipoprotéines à haute densité (HDL, aussi appelé "bon cholestérol") dans le sang, accroissant d’autant plus le risque de maladies vasculaires [6]. La consommation de graisses saturées et “trans” augmente donc les risques de cancers et de maladies cardio-vasculaires. L’organisation Mondiale de Santé (OMS) conseille une consommation des ces graisses inférieure à 1% du poids des apports quotidiens totaux [7]. Or, la production de ces mauvaises graisses est accentué par les cuissons à répétition.

En outre, lorsque des aliments riches en acides aminés et en amidon (tel que nouilles, pâtes de riz, etc…) sont cuits à de hautes températures, il y a production d’acrylamide [8]. L’acrylamide est classée comme « cancérogène probable (classe 2A) » par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) de Lyon [9], et il est connu que cette molécule augmente significativement le risque de cancer du gros intestin, de la vessie et des reins [10].

Mise en place d’une loi de régulation à Hong Kong

En France, depuis 1992, une loi impose aux restaurants de recycler leurs huiles alimentaires. Et depuis 2002, il est interdit de déposer en décharge des huiles mélangées avec des déchets ménagers. Malgré ces mesures, sur les supposées 70 000 tonnes d’huiles alimentaires utilisées chaque année en France, seules 26 000 tonnes sont collectées et recyclées [11].

A Taiwan, à l’automne dernier, un scandale alimentaire relatif à la réutilisation abusive d’huiles alimentaires a éclaté, mettant en avant le manque de réglementation concernant les huiles de cuisson. En effet, les risques auxquels les restaurateurs exposaient leurs clients en réutilisant des huiles usagées, alimentaire ou non, comme huile de cuisson ont été pointés du doigt. Suite à cet évènement, le gouvernement de Hong Kong a décidé de mettre en place des normes sur l’utilisation et le recyclage de ces huiles [12].

Une proposition de loi, visant à augmenter la protection de la santé publique et de l’environnement, a été déposée le 7 juillet 2015 par le gouvernement et est ouverte pour consultation publique jusqu’au 6 octobre 2015 [13].
Sont concernées par ces mesures :
Les graisses végétales, exceptées celles de noix de coco et les émulsions de type margarine,
Les graisses animales, exceptés les dérivés des produits laitiers comme le beurre.

Les principaux points de la proposition portent sur la mise en place de normes de qualité et de traçabilité, de licences annuelles pour les acteurs de la filière ainsi que des valeurs seuils fixant les concentrations maximales de certains composants présents dans les huiles [14].

Les normes porteront également sur le recyclage de ces graisses en différenciant les huiles recyclables des non-recyclables ainsi que sur les installations adéquates et le mode opératoire définissant les règles de l’art du recyclage des huiles de cuisson.

Des licences annuelles devront être possédées par les différents acteurs de la filière. Ainsi, les producteurs, transporteurs, collecteurs, vendeurs et recycleurs d’huile alimentaire devront répondre à des critères - fixés par cette loi - afin de pouvoir continuer à exercer.
Aussi, les restaurateurs désirant stocker leurs huiles (dans des bacs à graisses, par exemple) devront posséder la licence appropriée. Des contrôles réguliers seront réalisés et un écart à la loi pourra entraîner - outre prison et amende - l’annulation de la licence pour une durée déterminée. De plus, il sera exigé que toutes les graisses et huiles comestibles fabriquées à Hong Kong soient systématiquement authentifiées par un certificat officiel.

Ces réformes permettront à Hong Kong, d’une part, d’homogénéiser la certification des huiles alimentaires et, d’autre part, de certifier les acteurs industriels tout au long de la filière, de la production au recyclage, en passant par l’import/export, et ainsi de garantir que toutes les huiles impropres à la consommation sont bien écartées de la filière alimentaire. Le gouvernement pourra retracer et empêcher une huile de cuisson usée de réintégrer le marché comme c’est souvent le cas aujourd’hui.

Le texte propose également de fixer des exigences légales quant à la concentration des substances nocives pouvant être contenues dans les graisses et huiles comestibles. Ces valeurs sont récapitulées dans le tableau ci-dessous (Tableau 1). Les valeurs seuils de concentration ainsi fixées par le gouvernement correspondent aux niveaux internationaux sauf pour le benzo(a)pyrène. En effet, pour ce composé, la limite a été fixée à 5 µg/kg de graisse ou huile comestible ; bien que deux fois plus faible que celle de Chine (10 µg/kg), elle reste 5 fois plus élevée que la recommandation européenne (2 µg/kg) .

PNG - 126.9 ko
TABLEAU 1 : “Exigences quant aux concentrations de substances nocives pouvant être contenues dans les graisses et huiles comestibles” [15]


La proposition aura assurément un impact positif sur la qualité des aliments frits comme les beignets, “dim sum”, etc., pour la cuisson desquels l’huile est souvent réutilisée à outrance. Néanmoins, aucune règle précise déterminant le moment où l’huile usagée doit être considérée comme malsaine pour une utilisation alimentaire n’est pour le moment énoncée [16] .

Le gouvernement prévoit une période d’adaptation afin de permettre aux commerçants et industriels impliqués de se mettre à jour, si nécessaire, afin de répondre aux nouvelles exigences. Cette période permettra également aux laboratoires de contrôle de développer matériels et protocoles nécessaires pour effectuer les tests [17] .

Une méthode de détection des huiles impropres à la consommation développée par des chercheurs de l’université Poly U

Le laboratoire de “Food Safety and Technology Research Centre” appartenant au “Department of Applied Biology and Chemical Technology” de la “Hong Kong Polytechnic University” (PolyU) a mis au point une nouvelle méthode d’identification des huiles propres à la consommation, les différenciant des huiles usagées et des huiles illégalement recyclées et impropres à la consommation, dites “huiles de gouttière”.

L’approche analytique classique (pré-traitement de l’échantillon, séparation par chromatographie puis détection par spectrométrie de masse), utilisée habituellement pour identifier les huiles comestibles, en plus d’être énergivore, coûteuse et chronophage (plusieurs heures pour analyser l’échantillon), échoue à fournir une solution durable pour le dépistage des huiles de gouttière. Or, l’identification des huiles de gouttière consiste principalement à détecter certains marqueurs de résidus d’aliments et certains produits chimiques, toxiques et/ou cancérigènes dans l’échantillon. Toutefois, en raison de la grande diversité des huiles de gouttière, et le fait que certains composés nocifs peuvent échapper à la détection, aucun protocole universel de dépistage n’est encore disponible.

En mettant en place un protocole d’analyse simple et une bibliothèque spectrale des huiles comestibles, la nouvelle approche développée à Poly U est en mesure de déterminer si l’huile échantillonnée est comestible ou non en moins de cinq minutes.

Cette méthode simplifiée fait appel à la technique de MALDI-MS, une méthode spécifique de spectrométrie de masse par désorption-ionisation laser. Cette technique d’ionisation douce, sur matrice, permet d’analyser les biomolécules (les biopolymères, les protéines, les peptides et les sucres) et les grosses molécules organiques (comme les polymères, les dendrimères et autres macromolécules) qui tendent à devenir fragiles et à se fragmenter lorsqu’elles sont ionisées par des méthodes plus conventionnelles [18]. Cette nouvelle approche par MALDI-MS, nécessite une étape très simple de préparation des échantillons et une acquisition automatique des données, ainsi qu’une étape simplifiée de traitement de données. Cette méthode permet d’obtenir des résultats de haute précision en un temps record. En appliquant cette méthode, les chercheurs de Poly U ont pu établir une première base de données des spectres des huiles alimentaires disponibles sur le marché du territoire de Hong Kong.

Grâce à cette base de données, la comestibilité d’une huile peut être déterminée en moins de cinq minutes en comparant son spectre MALDI-MS avec ceux disponibles dans la bibliothèque. Les huiles étant censées toutes être étiquetées, lors des contrôles il suffit de valider la correspondance entre le spectre de l’huile échantillonnée, selon l’étiquetage donné, et son homologue dans la bibliothèque. Cela permet donc un dépistage rapide des huiles de gouttière et des étiquetages frauduleux.

Afin d’assurer une parfaite fiabilité à cette méthode d’identification, l’équipe de recherche va continuer à enrichir la base de données spectrales et établira une bibliothèque spectrale des diverses huiles comestibles la plus complète possible, dans les deux années à venir [19] [20].

Les possibilités d’utilisation des huiles recyclées à Hong Kong

Une étude du gouvernement estime que chaque année à Hong Kong sont générées environ 16 000 tonnes de bio-carburants grâce aux huiles de cuisson, dont 5 000 tonnes sont exportées. Les producteurs de bio-diesels locaux estiment la capacité annuelle de traitement à 160 000 tonnes, ce qui est bien au-delà de la quantité actuellement traitée [21].

Alors que la demande en bio-diesel, autant pour l’usage industriel que pour le transport, reste encore très faible, les collectes d’huiles usées sont souvent suspendues et les surplus vendus à l’export. Or, il a été montré que l’utilisation de certains mélanges de bio-carburants comme comburants de moteurs et de chaudières industriels permettent de réduire les émissions des polluants tel que, le dioxyde et le monoxyde de carbone, ainsi que des particules [22].

Dans sa proposition de loi pour l’amélioration de la qualité de l’air, le gouvernement hongkongais propose que tous les véhicules diesel du gouvernement ainsi que les bus publics roulent au carburant B5, un mélange de gazoil “Euro 5 diesel” contenant 5 % de bio-carburant. De plus, le gouvernement de Hong Kong veut imposer un fonctionnement au mélange B5 (ou avec un bio-carburant comprenant un pourcentage supérieur d’huile) pour les chaudières des hôpitaux, des blanchisseries, des hôtels, et des générateurs d’énergie de secours dans les édifices gouvernementaux et commerciaux. Le gouvernement devrait également exiger des compagnies pétrolières de fournir le carburant B5 dans chaque station-service afin d’en faciliter l’accès et donc la consommation au secteur privé et aux particuliers.

En créant une telle demande, toutes les huiles de cuisson usées de Hong Kong pourraient être, une fois recyclées, réutilisées sur le territoire de Hong Kong, favorisant ainsi la santé publique, l’environnement et l’économie circulaire hongkongaise. [23]

Sources :

[1] www.cavemandoctor.com
[2]http://www.observer.ug/lifestyle/42-entertainment/37928-reused-oil-predisposes-you-to-cancer
[3]https://fr.wikipedia.org/wiki/Acrol%C3%A9ine
[4]https://www.anses.fr/fr/content/valeur-guide-de-qualit%C3%A9-d%E2%80%99air-int%C3%A9rieur-l%E2%80%99anses-propose-deux-valeurs-pour-l%E2%80%99acrol%C3%A9ine
[5]https://fr.wikipedia.org/wiki/Acide_gras_satur%C3%A9
[6]http://www.danger-sante.org/category/acide-gras-trans/
[7]http://www.who.int/dietphysicalactivity/publications/trs916/summary/fr/
[8]https://destinationsante.com/acrylamide-une-substance-chasser.html
[9]http://www.infogm.org/5750-etats-unis-frites-ogm-un-plus-pour-la-sante
[10]https://www.anses.fr/fr/system/files/RCCP2002sa0300.pdf
[11]http://www.consoglobe.com/bons-usages-huile-cuisson-usagee-2184-cg
[12]http://www.scmp.com/news/hong-kong/health-environment/article/1834872/call-hong-kong-plug-loophole-edible-oil
[13]http://www.epd.gov.hk/epd/sites/default/files/epd/english/environmentinhk/waste/pub_consult/files/oil_consultation_july2015_eng.pdf
[14]http://www.epd.gov.hk/epd/english/environmentinhk/waste/pub_consult/consult_oil.html
[15]http://www.cfs.gov.hk/english/whatsnew/whatsnew_fstr/files/Oil_Consultation_Leaflet_e.pdf
[16]
http://www.cfs.gov.hk/english/whatsnew/whatsnew_fstr/whatsnew_fstr_Regulation_of_Edible_Fats_and_Oils_and_Recycling_of_Waste_Cooking_Fats_and_Oils.html
[17]http://www.info.gov.hk/gia/general/201507/07/P201507070825.htm
[18]https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9sorption-ionisation_laser_assist%C3%A9e_par_matrice
[19]http://www.polyu.edu.hk/web/en/media/media_releases/index_id_6121.html
[20]The Hong Kong Polytechnic University. "New method for rapid authentication of edible oils and screening of gutter oils." ScienceDaily. ScienceDaily, 29 June 2015. <www.sciencedaily.com/releases/2015/...> .
[21]http://www.legco.gov.hk/yr13-14/english/panels/ea/papers/ea0328cb1-417-1-e.pdf
[22]http://www.epa.gov/region1/eco/diesel/pdfs/biodiesel-factsheet.pdf
[23]http://www.scmp.com/comment/insight-opinion/article/1840208/how-waste-cooking-oil-can-drive-hong-kongs-campaign-cleaner

Rédacteur :

Julie METTA, Chargée de mission scientifique - Hong Kong