L’université de Hong Kong a réalisé la première transplantation en Asie de cellules souches hématopoïétiques génétiquement modifiées sur une jeune patiente atteinte de leucodystrophie métachromatique.

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Hong Kong

Rapport
Hong Kong | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
28 juillet 2015

Article rédigé le 30/06/2015

La leucodystrophie métachromatique (MLD), la plus fréquente des leucodystrophies, est une maladie neurodégénérative. C’est une maladie lysosomale dévastatrice causée par une déficience de l’enzyme arylsulfatase A (ARSA). En l’absence de cette enzyme, les sulfatides (glycolipides sulfatés, particulièrement les sulfogalactosylcéramides ou sulfogalactocérébrosides) ne sont pas métabolisés et s’accumulent dans le système nerveux, mais aussi dans les reins. Il existe trois formes de la maladie : infantile tardive, juvénile et adulte. L’incidence est estimée de 1 à 2/100 000 (forme infantile tardive 60 %, forme juvénile 20 à 30 %, forme adulte 10 à 20 %). La prévalence est estimée à 1 cas sur 625 000. La forme infantile tardive est la plus fréquente. Elle débute à l’âge de la marche. L’enfant présente une hypotonie, des troubles de la marche, une atrophie optique, une régression motrice précédant l’atteinte intellectuelle. L’atteinte du système nerveux périphérique est constante (diminution de la vitesse de conduction nerveuse). La maladie évolue vers une décérébration en quelques années, le décès survenant dans les cinq ans après le début des symptômes [1-4].

A ce jour, il n’y a pas de traitement curatif spécifique pour cette maladie et la gestion de la plupart des patients atteints de MLD se limite à des soins de soutien [1-4]. Chez les individus atteints d’une forme infantile tardive ou d’une forme juvénile de la maladie asymptomatique, une greffe de moelle osseuse peut être envisagée pour stabiliser les fonctions neurocognitives, mais sans garantie d’efficacité. Plusieurs options de thérapie enzymatique substitutive sont à l’étude - au stade des essais cliniques ; cependant, la thérapie de remplacement enzymatique (ERT) avec de l’ARSA fonctionnelle est limitée par le fait que l’ARSA est une protéine de haut poids moléculaire qui ne peut pas pénétrer la barrière hémato-encéphalique (BHE). Une alternative est la transplantation de cellules souches hématopoïétiques (HSCT). Les cellules souches hématopoïétiques du donneur sont capables de traverser la BHE chez les patients MLD et se différencier en cellules microgliales capables de sécréter l’enzyme ARSA qui va être utilisée par les cellules neurales du patient MLD. Cependant, si la HSCT peut être bénéfique chez certains patients souffrant de maladies lysosomales, les résultats obtenus chez les patients MLD sont relativement décevants [5], soulignant la nécessité d’approches thérapeutiques innovantes dans ce domaine.

Selon le Dr Lian Qizhou, Professor du Department of Ophthalmology and Department of Medicine of the Li Ka Shing Faculty of Medicine, de la University of Hong Kong (HKU) [4, 6], le plus grand espoir de traitement de ce type de maladie génétique incurable est offert par la transplantation de cellules souches hématopoïétiques génétiquement modifiées.
L’idée est de faire surexprimer dans des cellules hématopoïétiques génétiquement modifiées le gène codant pour l’ARSA, dont le gène, localisé sur le chromosome 22 (22q) est muté chez les patients MLD ; l’ARSA surexprimée étant alors capable de réduire le stockage des sulfatides responsable de la maladie [2, 7].

L’équipe dirigée par le Dr Lian Qizhou, en étroite collaboration avec l’équipe du Professeur Zhuo Jiacai, Chef de la division d’hématologie du “Second People’s Hospital” de Shenzhen (premier hôpital universitaire de la Shenzhen University), et le National Taiwan University Hospital de Taiwan, a, pour la première fois en Asie, réalisé un essai clinique de cette approche thérapeutique et obtenu des résultats très encourageants.

Plusieurs mois ont été nécessaires pour la mise en place de la procédure, qui consiste en 3 étapes :

1 - Un lot de cellules souches hématopoïétiques (HSC) est collecté pour une utilisation “de sauvegarde”.

2 - Un second lot est collecté et les HSC sont transfectées par une lentivirus permettant l’expression du gène fonctionnel codant pour l’ARSA. Les HSC ainsi modifiées sont conservées par congélation pendant qu’un échantillon est testé pour leur niveau d’expression d’ARSA fonctionnelle et l’absence de contaminant. Cette étape de “test qualité” des cellules HSC génétiquement modifiées différencie le protocole hongkongais du protocole mis en place par une équipe italienne en 2013 [8]. Cette étape permet de vérifier des caractéristiques critiques des HSC modifiées et ainsi de réduire les risques d’échecs ou de complications suite à la transplantation. Notons que pour réaliser la modification génétique, l’équipe du Dr Qizhou a utilisé des lentivirus de dernière génération, dits auto-inactivés, permettant de réduire significativement le risque de mutagénèse ou de cancerogénèse associés à l’utilisation de vecteurs viraux s’intégrant au génome des cellules HSC.

3 - Le patient est préparé à la transplantation par un traitement au Busulfan, afin de réduire la quantité de cellules de moelle osseuse originales et générer de l’espace pour introduire les HSC modifiées. Compte tenu du risque potentiel d’une telle chimiothérapie, qui peut induire de nombreuses lésions du système nerveux, un titrage très précis du traitement est nécessaire et doit être adapté au patient. Les HSC génétiquement modifiées peuvent alors être introduites chez le patient MLD.

La première patiente traitée selon ce protocole est une jeune fille adolescente chinoise de Taiwan, agée de 18 ans, souffrant de somnolence et présentant, depuis l’âge de 13 ans (depuis 2010), un déclin de la mémoire, de la mobilité, de l’écriture et de la parole. Diagnostiquée tardivement, celle-ci a tout d’abord été traitée - jusqu’à octobre 2012 - pour des troubles de l’attention ; la MLD de cette patiente a été confirmée par des dosage de l’activité ARSA, qui s’est révélée très basse, et par confirmation de mutations du gène codant pour l’ARSA, ainsi que par l’imagerie IRM, en adéquation avec les signes cliniques. les traitements de support reçus par la jeune fille se sont révélés inefficaces et avant la transplantation, la jeune patiente n’était plus capable de monter des escaliers, de s’occuper de son hygiène personnelle souffrant de façon chronique de constipation sévère ou d’incontinence, notamment.

La transplantation de HSC modifiées a été pratiquée chez cette patiente en septembre 2014. Par un dosage fin du traitement préliminaire au Busulfan, celui-ci a été bien supporté et la patiente a pu se rétablir rapidement après la transplantation, sans subir d’effet indésirable. Un haut niveau d’activité ARSA a été détecté dans le sang de la patiente suite à la transplantation. A ce jour, soit 8 mois après la transplantation, la patiente est dans des conditions stables - c’est à dire sans progression de la maladie - et de nombreux progrès ont pu être enregistrés en terme de mobilité et d’équilibre, ses problèmes de constipation et ses problèmes urinaires ont disparus, et elle est même de nouveau capable d’écrire.

En conclusion, les premiers résultats positifs obtenus par le Dr Lian Qizhou sur cette jeune patiente taiwanaise, jusqu’alors incurable, sont évidents : l’évolution de la maladie a été stoppée et ses fonctions de mobilité nettement améliorées. Lors du traitement par transplantation de HSC génétiquement modifiées, les HSC représentent une source plus sure d’ARSA fonctionnelle en comparaison à des HSC de donneur. Les HSC transplantées sont capables de se diriger vers le cerveau et sécréter l’ARSA fonctionnelle nécessaire aux cellules déficientes. Par ailleurs, la transplantation autologue permet d’éviter les problèmes de rejet immun et donc de réduire de façon très significative les risques de mortalité liés à la transplantation.

Faisant suite aux premiers essais menés en Italie sur des cas de MLD infantiles tardives à symptômes précoces, l’opération réalisée à HKU est la première réussite de traitement d’un cas tardif de MLD juvénile dont la maladie est déjà avancée. Cette première médicale, qui a “redonné vie” à cette jeune patiente, ouvre de très prometteuses perspectives de traitements des MLD.

Sources :

[1] Orphanet, le portail des maladies rares et des médicaments orphelins
http://www.orpha.net/consor/cgi-bin/OC_Exp.php?Lng=FR&Expert=512
[2]Arvan L Fluharty, Arylsulfatase A Deficiency, GeneReviews® [Internet]. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK1130/

[3] van Rappard DF, Boelens JJ, Wolf NI (2015) Metachromatic leukodystrophy : Disease spectrum and approaches for treatment.Best Pract Res Clin Endocrinol Metab. 29(2):261-273.

[4] Press release HKU, 20 Mai 2015 : http://www.hku.hk/press/news_detail_12780.html

[5] Musolino PL, Lund TC, Pan J, Escolar ML, Paker AM, Duncan CN, Eichler FS (2014) Hematopoietic stem cell transplantation in the leukodystrophies : a systematic review of the literature. Neuropediatrics. 45(3):169-74.

[6] HKU scholars Hub http://hub.hku.hk/cris/rp/rp00267
[7] Doerr J, Böckenhoff A, Ewald B, Ladewig J, Eckhardt M, Gieselmann V, Matzner U, Brüstle O, Koch P. (2015) Arylsulfatase A overexpressing human iPSC-derived neural cells reduce CNS sulfatide storage in a mouse model of metachromatic leukodystrophy. Mol Ther.sous presse

[8] Biffi A, Montini E, Lorioli L, Cesani M, Fumagalli F, Plati T, Baldoli C, Martino S, Calabria A, Canale S, Benedicenti F, Vallanti G, Biasco L, Leo S, Kabbara N, Zanetti G, Rizzo WB, Mehta NA, Cicalese MP, Casiraghi M, Boelens JJ, Del Carro U, Dow DJ, Schmidt M, Assanelli A, Neduva V, Di Serio C, Stupka E, Gardner J, von Kalle C, Bordignon C, Ciceri F, Rovelli A, Roncarolo MG, Aiuti A, Sessa M, Naldini L. (2013). Lentiviral hematopoietic stem cell gene therapy benefits metachromatic leukodystrophy. Science.341(6148):1233158.

Rédacteur :

Isabelle SAVES, Attachée de mission scientifique - Hong Kong
email : isabelle.saves[a]diplomatie.gouv.fr