La Chine pourra bientôt vendre des thérapies cellulaires expérimentales

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Chine | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
31 mai 2019

D’après cette nouvelle proposition, les patients pourraient bientôt se procurer de nouvelles thérapies cellulaires sans solliciter d’autorisation réglementaire.

Les hôpitaux d’élites chinois pourront bientôt proposer à la vente des thérapies expérimentales développées à partir des propres cellules de leurs patients afin de traiter des maladies telles que le cancer – sans approbation préalable de l’organisme national de régulation des produits médicamenteux chinois. Cette proposition tombe trois ans après la condamnation par le gouvernement des ventes de thérapies cellulaires « sauvages » qui ont conduit à la mort d’un étudiant ayant suivi une de ces thérapies.

Ce projet a suscité des réactions mitigées. Certains scientifiques s’accordent à dire que cela permettra à la fois aux patients en phase terminale un accès plus rapide à des traitements potentiellement efficaces et une certaine protection contre les thérapies nocives. D’autres s’interrogent sur la capacité de cette nouvelle proposition à s’assurer que les soins proposés sont simultanément efficaces et sans danger avant d’être autorisés à la vente.

La plupart des pays, l’utilisation de thérapies cellulaires – traitements conçus à partir de cellules humaines, souvent celles appartenant au système immunitaire – requiert l’approbation des organismes de régulations produit médicamenteux, ce qui se traduit par la mise en place de longs essais cliniques, à la fois rigoureux et coûteux, pour démontrer la sureté et l’efficacité des traitements.
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Sous cette nouvelle régulation chinoise, présentée par le ministère de la Santé en mars dernier, quelques hôpitaux sélectionnés seront autorisés à vendre des thérapies sans les tester sur un large échantillon de population. La régulation est supposée prendre effet dans les prochains mois.

« Cette régulation permettra de promouvoir l’innovation et l’industrie de la thérapie cellulaire ce qui sera bénéfique pour les patients, » a déclaré Ma Jie, spécialiste de l’immunologie du cancer et directeur du centre de biothérapie de l’Hôpital de Pékin. Bruce Levine, chercheur en cancérologie à l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie a souligné que ces nouvelles régulations illustrent un premier pas dans la bonne direction, soulève des doutes sur la compétence des hôpitaux sélectionnés face aux risques de la thérapie cellulaire.

L’immunothérapie est la thérapie cellulaire la plus connue : les cellules immunitaires sont modifiées artificiellement afin de cibler les cellules cancéreuses qui échappent dans le cas contraire au système de défense du corps humain. Ces cellules modifiées sont issues des propres cellules du patient ou d’autres donneurs et leur utilisation a parfois permis la récupération surprenante de certains malades.

L’excitation généré par l’immunothérapie – deux chercheurs ont obtenu le prix Nobel pour leurs travaux pionniers sur cette thématique – a été tempérée à la suite d’effets secondaires développés au cours d’essais cliniques aux Etats-Unis par certains patients qui ont malheureusement finit par y succomber. Les différents organismes de réglementation ont, en conséquence, décidé de modérer l’approbation commerciale de ces traitements. Plusieurs centaines de ces essais cliniques sont encore en cours, mais l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux a seulement approuvé trois traitements d’immunothérapies et son équivalent chinois n’en a encore approuvé aucun.

Avant 2016, les régulations chinoises relatives à la commercialisation des thérapies cellulaires et imprécise ont permis à beaucoup d’hôpitaux, plus spécialement aux hôpitaux militaires, de commercialisé des traitements encore en attente d’approbation. Parmi les médecins chinois contactés par Nature, Ren Jun, oncologiste au centre de Cancérologie de l’Hôpital Shijitan de Pékin, a estimé qu’environ un million de personnes avait payé pour de tels soins, faisant de la Chine l’un des plus grands marchés pour l’immunothérapie contre le cancer.

Ce marché a fait cependant l’objet d’une surveillance accrue lorsqu’il a été révélé qu’un étudiant universitaire atteint d’une forme rare de cancer avait déboursé plus de 200,000 yuans (environ 26 000 euros) pour un traitement d’immunothérapie expérimental recommandé sur le site web de l’hôpital. Le traitement a toutefois échoué et l’étudiant est décédé. Le gouvernement a, en conséquence, fermé les hôpitaux proposant ce type de soins –seuls les essais cliniques proposés gratuitement aux patients ont été préservé.
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Dans le cadre de la nouvelle régulation, environ 1400 hôpitaux d’élites - capables d’assurer des soins spécialisés et de conduire des recherches médicales et connus sous le nom d’hôpitaux de rang 3A - seront autorisés à demander une licence pour la vente de thérapies cellulaires. Ces hôpitaux devront également prouver leur capacité à modifier puis utiliser des cellules immunitaires ainsi que leur aptitude à mettre en place des essais cliniques.

Une fois la licence obtenue, le comité d’examen de l’hôpital pourra superviser les recherches sur des thérapies expérimentales menées au sein de l’hôpital qui pourront être dispensées aux patients sans frais. Une fois que de suffisamment de preuves de l’innocuité et de l’efficacité de la thérapie auront été obtenues, celle-ci pourra être commercialisée. Les hôpitaux ou entreprises ne possédant pas cette licence spéciale dépendront toujours de l’approbation de l’Agence des produits alimentaires et médicamenteux chinoise pour valider leurs traitements expérimentaux et devront se soumettre à des essais cliniques contrôlés et expérimenté sur une large échelle de population.
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« Cette régulation suggère que les garantie offertes par une institution renommée, et disposant de financements importants ainsi que d’un personnel bien formé sont suffisantes pour autoriser la vente de ces traitements, » a déclaré Douglas Sipp, spécialiste des politiques de thérapies cellulaires au Centre de RIKEN dans le cadre de recherches sur la dynamique des biosystèmes à Kobe. « Mais ces qualités ne sont en rien le substitut adéquat des études cliniques construites afin de déterminer si un traitement est ou n’est pas efficace. »

« Ces régulations pourraient également dissuader les entreprises pharmaceutiques de conduire des études rigoureuses, » ajoute-t-il ; ces dernières n’auront aucun intérêt à mener des études complètes si elles sont mises en compétition avec des hôpitaux ayant « carte blanche pour offrir des thérapies de tous types ».

A l’opposé, le Pr. Ren Jun affirme que les entreprises travailleront main dans la main avec les hôpitaux afin de tester leurs traitements et que l’efficacité de ceux-ci sera mesurée sur la base d’une combinaison de critères objectifs – tels que le rétrécissement de la tumeur ou l’effet sur l’état du patient.

Wang Yuedan, immunologiste à l’Université de Pékin a affirmé que ce projet de régulation lui avait suffisamment redonné confiance pour qu’il reprenne la planification d’études cliniques. Il y a plus de 10 ans, il avait cessé de travailler sur l’immunothérapie cellulaire, car le manque de régulations en Chine empêchait d’identifier clairement les thérapies efficaces. Il a également exprimé ses inquiétudes sur la pénurie de médecins chinois ayant l’expérience nécessaire à la mise en place d’essais cliniques. Certains hôpitaux dépourvus d’experts qualifiés pourraient passer outre la régulation et le comité de supervision de l’hôpital pourrait approuver, par erreur, un traitement aux conséquences néfastes pour les malades. La situation reviendrait ainsi à son état initial.

Source : https://www.nature.com/articles/d41586-019-01161-2

Rédaction : Sarah Maesen, adjointe à l’attaché pour la science et la technologie au consulat de Shanghai, sarah.maesen[at]diplomatie.gouv.fr