Des scientifiques implantent un gène humain cérébral chez des singes

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Chine | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
25 avril 2019

Le 27 mars dernier, une étude publiée dans le National Science Review, un journal scientifique chinois, annonçait la naissance de plusieurs macaques rhésus génétiquement modifiés.

Le 27 mars dernier, une étude publiée dans le National Science Review, un journal scientifique chinois, annonçait la naissance de plusieurs macaques rhésus génétiquement modifiés. Des scientifiques de l’Institut de Zoologie de Kunming (province du Yunnan) et de l’Académie des sciences ont ajouté à leur génome le gène humain MCPH1 ou microcéphaline, célèbre pour son rôle dans le développement cérébral humain. Selon ces chercheurs, cette expérimentation est la première à poser la question des origines génétiques de l’évolution humaine.

Plusieurs copies du gène ont été introduites en utilisant un virus dont le matériel génétique avait été remplacé par la séquence codante de MCPH1 ainsi que d’une séquence annexe codant pour des facteurs de transcription. Un séquençage a, par la suite, démontré que 2 à 9 copies avaient été insérées aléatoirement dans des zones inter-génétiques ou non codantes du génome des primates.

Une fois les singes nés, plusieurs études comparatives avec des macaques normaux ont permis de mesurer l’impact de la modification génétique. Les techniques d’imagerie cérébrale (MRI) utilisées pour estimer le volume des cerveaux n’ont démontré aucune de différence de taille entre les individus modifiés et les singes normaux. En revanche, l’analyse des tissus cérébraux a révélé une modification des mécanismes de différenciation neuronale, notamment dans la formation de la gaine de myéline. Les singes ont également été soumis à des tests de mémoire consistant à reconnaitre des formes et des couleurs sur un écran. D’après les résultats présentés dans l’article, les singes génétiquement modifiés auraient fait preuve d’une meilleur mémoire court terme et d’un temps de réaction inférieur à celui des singes normaux.

Cette expérimentation a soulevé de nombreuses critiques de la part de la communauté scientifique internationale. Certains, dont Jacqueline Glover, bio-éthicienne à l’Université du Colorado, ont alerté l’opinion publique en comparant l’expérience aux prémices de La Planète des Singes, célèbre œuvre de science-fiction. Larry BAUM, chercheur du Centre des Sciences Génomiques de Hong-Kong a nuancé ces propos en déclarant que : « Le génome des macaques rhésus diffère du nôtre de seulement quelques pourcents, ce qui correspond à une différence d’environ un million de paires de base. Cette étude a seulement modifié un de ces 20 000 gènes. » Toujours d’après Larry BAUM, le retardement de la maturité cérébrale observé chez les sujets modifiés soutiendrai la théorie qu’une maturation plus lente du système cérébral serait un premier pas vers le développement de l’intelligence humaine.

James SIKELA, de l’université du Colorado, qui a reconnu avoir participé aux études comparatives, a également qualifié l’expérience d’irresponsable. En 2010, le Pr. Sikela et trois de ses collègues avaient rédigé un article titré « Réflexion éthique sur l’utilisation de primates transgéniques non-humains pour étudier ce qui nous rend humain » dans lequel il concluait que des gènes cérébraux humains ne devraient jamais être ajoutés chez certains primates tels que les chimpanzés du fait de leur trop grande similarité génétique avec l’espèce humaine. Dans un email, le Pr. Bing Su, responsable de l’étude, reconnaissait être d’accord avec cette affirmation mais argumentait que les macaques et les humains ayant partagé un ancêtre commun il y a 25 millions d’années, leur génome bien que proche du nôtre recèle plusieurs dizaines de millions de différences avec le nôtre.

Martin Styner de l’université de Caroline du Nord, spécialiste de l’informatique et dans l’utilisation de MRI, dont le nom apparait dans l’article a reporté que son rôle s’était limité à former les étudiants à extraire les données des images MRI. Il a affirmé que certains points de l’étude auraient été irréalisables aux Etats-Unis. « Cela soulève des questions sur le type de recherche et sur le soin apporté aux animaux. », a-t-il ajouté.

Suite à ces réflexions, l’Institut de Kunming a déclaré au journal China Daily que les expérimentations avaient reçus une approbation éthique préalable en 2010 et qu’elles avaient été menées dans le respect des réglementations internationales sur le traitement des animaux. L’Institut a mis en avant son accréditation délivrée par l’Association for Assessment and Accreditation of Laboratory Animal Care (AAALAC). Les laboratoires de recherche AAALAC sont tenus de respecter les normes de traitement des animaux tels que décrites dans le Guide pour le soin et l’utilisation des animaux de laboratoire (Guide for the Care and Use of Laboratory Animals), rédigé par le Conseil National de Recherche de l’Académie des Sciences Américaine. La délivrance de l’accréditation AAALAC est également fondée sur le respect de la Convention européenne sur la protection des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques.

Un rapport du comité éthique de Kunming Biomed International (également certifié AAALAC) aurait certifié que les animaux avaient été humainement traités en accord avec les régulations nationales et locales en 2015. En 2017, le comité d’examen bioéthique de l’Institut aurait à nouveau évalué et approuvé les expériences avant de solliciter des fonds de la Fondation Nationale des Sciences Naturelles de Chine (NFSC).

Cette nouvelle expérimentation s’inscrit dans la lignée des études chinoises centrées sur l’édition génétique : clonages de singes OGM, naissances des deux premiers humains génétiquement modifiés… L’édition génétique d’êtres vivants aussi complexes que les primates nécessite une approche réfléchie puisqu’irréversible et équivalente à un saut dans l’inconnu. La recherche chinoise dans ce domaine est cependant loin de prendre fin car d’après le Pr. Bing Su, une autre étude, centrée cette fois sur le gène SRGAP2C considéré par certains comme « le bouton ON de l’humanité », serait en cours. Il est cependant trop tôt pour en tirer des conclusions.

Sources :
http://www.chinadaily.com.cn/global/2019-04/18/content_37459686.htm
https://academic.oup.com/nsr/advance-article/doi/10.1093/nsr/nwz043/5420749
https://www.scmp.com/news/china/science/article/3005772/chinese-scientists-add-human-genes-monkey-brains-latest-ethics
https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/biologie-cellulaire/en-chine-des-scientifiques-implantent-a-des-singes-un-gene-du-cerveau-humain_132931
https://www.technologyreview.com/s/613277/chinese-scientists-have-put-human-brain-genes-in-monkeysand-yes-they-may-be-smarter/
http://www.xinhuanet.com/english/2019-04/02/c_137943286.htm

Rédaction : Sarah Maesen, adjointe à l’attaché pour la science et la technologie au consulat de Shanghai, sarah.maesen[at]diplomatie.gouv.fr