Un référentiel de bonnes pratiques pour les Aires Marines Protégées (AMP) : Outil majeur pour l’évaluation des engagements internationaux quantitatifs

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Canada | Science de la terre, de l’univers et de l’environnement : énergie, transports, espace, environnement
28 septembre 2021

Un groupe de chercheurs internationaux publie ce mois-ci dans la revue Science un référentiel qui fournit les bases d’une analyse qualitative des Aires Marines Protégées (AMP), complément indispensable aux critères quantitatifs portés par les instances internationales de protection de la biodiversité.

Le changement climatique et les diverses activités humaines (dégradation des habitats côtiers, pollution du sol et de l’eau, surexploitation des ressources,…) pèsent lourdement sur la santé des océans. La création d’aires marines protégées (AMP) et d’autres zones de conservation marine vise à assurer une gestion durable des ressources et un maintien des écosystèmes marins au bénéfice non seulement de l’écologie mais également des cultures locales, de l’économie et des collectivités côtières. Chaque aire de protection marine répond à des objectifs propres, adaptés à la problématique existant dans la région concernée, et doit être établie en partenariat avec les acteurs locaux (populations indigènes, industries, organisations de protection de l’environnement, scientifiques, gouvernements, communautés locales,…).

Les grandes instances internationales ont progressivement fixé des objectifs de couverture des aires protégées et conservées. Ceux déterminés lors de la COP-10 à Aichi au Japon en octobre 2010 visaient à protéger d’ici 2020 au moins 17 % des zones terrestres et eaux intérieures et 10 % des zones marines et côtières (Objectif d’Aichi-11 de la décennie 2011-2020 des nations Unies pour la Biodiversité). Depuis, la communauté internationale a effectivement fait d’importants progrès pour tenter d’atteindre cet objectif. A ce jour, 7,74 % d’eaux côtières et d’océans (28,1 millions de km2) de la planète se trouvent dans des zones protégées et conservées. Ces chiffres représentent une augmentation très importante (+18.8 millions de km2 depuis 2010) mais restent en deçà de l’objectif fixé. C’est ainsi que la Coalition de la Haute Ambition pour la Nature et les Peuples (High Ambition Coalition for Nature and People (HAC)), un regroupement d’Etats impliqués dans les négociations de la Convention des Nations Unies pour la biodiversité, est déterminée à soutenir, lors de la prochaine COP biodiversité (COP15) à Kunming en Chine en avril 2022, l’adoption d’un accord mondial en faveur de la nature et des populations dont l’objectif central est de protéger 30 % des terres et 30% des mers d’ici 2030 (objectif 30x30).

Si les objectifs quantitatifs sont louables, les critères qualitatifs sont dorénavant pointés du doigt car on observe une très grande disparité dans la réalité de la protection selon les zones et les pays. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) définit six catégories d’aires protégées répondant chacune à des critères définis, allant de l’exclusion de toute activité jusqu’à des stratégies de gestion durable de la biodiversité, incluant la prise en compte des équilibres justifiant le maintien d’activités humaines. Avec d’autres instances internationales, l’UICN intègre dorénavant la notion de « protection stricte » et instaure des labels de qualité comme la « green list » qui certifie que les zones protégées sont effectivement gérées efficacement, avec des impacts positifs à long terme sur les personnes et la nature.

On constate en effet que le terme AMP regroupe sous une même appellation des zones qui ont des réalités très différentes : AMP déclarées comme telles par différentes instances mais qui n’existent en fait que sur le papier, AMP effectivement implémentées et AMP activement gérées évaluées et adaptées en fonction des critères prévus. Cette disparité d’existence réelle, de niveaux de protection et de suivi effectif des AMP induit un biais à même de surestimer l’atteinte des objectifs de conservation puisque sont comptabilisées dans les statistiques des zones parfois peu ou pas opérationnelles.
Ainsi, afin de clarifier les termes et de situer les objectifs, moyens et mesures d’impact relatifs aux AMP, un consortium international vient de publier dans la revue Science, un référentiel qui pourra être utilisé, chacun à leur niveau, par les scientifiques, les organes de réglementation, les gestionnaires d’AMP et les communautés concernées. Ce référentiel se base sur 4 grands types de critères :

Le critère « statut » :
Il peut s’écouler plusieurs années entre la déclaration de création d’une AMP par une autorité donnée et la mise en œuvre concrète de la protection et des mesures d’évaluation. A l’opposé, certaines AMP sont d’emblées mises en œuvre et effectivement gérées au moment de leur création. Le guide proposé par les auteurs de la publication vise à regrouper ce large éventail de situations au sein de 4 statuts distincts.

  • Le statut « proposée/engagée » : La nouvelle AMP est annoncée par l’organisme qui la porte (gouvernement, communauté, organisation de protection de la nature,…) au travers d’une déclaration publique. La zone couverte est précisée, ainsi que le rationnel et les objectifs.
  • Le statut « désignée » : L’AMP est officiellement reconnue par un organisme ayant un pouvoir légal ou réglementaire. La zone couverte est clairement délimitée, ainsi que les objectifs, les activités autorisées et les moyens de contrôle prévus. L’AMP est alors référencée dans les bases de données, et notamment la World Database on Protected Areas (WPDA).
    On observe que les AMP des 2 statuts ci-dessus, bien que comptabilisées à l’échelle mondiale, ne sont pas implémentées en pratique et ne produisent donc pas de résultats en termes de conservation.
  • Le statut « Implémentée » : Le plan de gestion est activé et ces AMP peuvent espérer produire les résultats escomptés. Les usagers sont informés des règles et les mécanismes de contrôle du respect des règles sont en place, en appui sur un plan de gestion.
  • Le statut « activement gérée » : L’AMP fait l’objet d’une gestion active incluant un plan de suivi, des bilans d’activité et la mise en œuvre des ajustements nécessaires à l’atteinte des objectifs, eux-mêmes effectivement mesurés. L’évaluation de ces AMP repose sur les outils mis à disposition par divers organismes, tels que la green list de l’UICN décrite plus haut qui prend en compte, au-delà des résultats mesurés, des critères de financement durable, de sensibilisation des acteurs et d’impact sociétal.

Le critère « niveau de protection » :
Le niveau de protection affecté à une AMP est fonction du risque que les activités qui y sont déployées (extraction de ressources énergétiques, dragage, déversement, ancrage, infrastructures, aquaculture, pêche, activités de loisir, activités de recherche,…) font courir sur la biodiversité. Selon l’impact de ces différentes activités (aucun, faible, moyen, élevé, très élevé, voire incompatible avec le respect de la biodiversité), celles-ci seront autorisées ou interdites et les AMP seront alors classées dans :

  • Le niveau « totalement protégées » : L’extraction des ressources (énergétiques, halieutiques) sont strictement interdites tandis que des activités culturelles ou de tourisme de faible impact peuvent rester autorisées, de même que la pêche ou l’aquaculture strictement destinées à couvrir les besoins des populations locales.
  • Le niveau « hautement protégées » : Seul un faible niveau d’extraction des ressources est autorisé, tous les autres impacts étant minimisés, y compris le tourisme et l’aquaculture. Les activités traditionnelles des peuples autochtones restent autorisées dans des conditions définies.
  • Le niveau « légèrement protégées » : C’est de loin le cas le plus fréquent pour les AMP actuelles. La préservation de la biodiversité est généralement ciblée (par exemple sur certaines espèces de poissons) et les activités d’extraction ou d’activités humaines restent autorisées en dehors de ces objectifs, sous réserve de rester dans des critères définis. Ces AMP tentent de trouver l’équilibre entre la protection de la biodiversité et les objectifs de développement social ou économique.
  • Le niveau « protection minimale » : La plupart des activités d’extraction sont autorisées mais leurs conséquences sont jugées acceptables en terme de maintien de la biodiversité en général. Par exemple, ces AMP interdisent la pêche industrielle mais autorisent l’ancrage, la construction d’infrastructures ou le tourisme.
    On pourra noter que la navigation (commerciale ou de loisirs) n’est pas prise en compte dans les critères sur lesquels sont basés les niveaux de protection. Ceci tient notamment au fait que les routes maritimes dépendent généralement d’accords internationaux, difficiles à adapter, et donc à interdire, sur une AMP donnée. Les conséquences de ces activités en termes de bruit, de perturbations électromagnétiques ou autres impacts sont néanmoins prises en compte pour définir le niveau de protection d’une AMP.

Le critère « conditions » :
L’atteinte des objectifs de protection dépend strictement du respect des conditions dans lesquelles l’AMP est désignée, implémentée, gouvernée puis activement gérée. Un grand nombre de critères (conditions), de plus en plus appliqués et concrets, entrent en ligne de compte à chacune des étapes de la vie d’une AMP. Par exemple, les critères « objectifs à long-terme », « identification des risques et moyens de mitigation » et « coordination avec les organismes de tutelle » doivent être définis pour qu’une AMP obtienne le statut « proposée » ou « désignée » ; des critères tels que « financement et moyens mis en œuvre », « processus administratifs », ou « règles de fonctionnement » sont indispensables au stade « implémentée » ; enfin, « suivi », « évaluation », « gestion adaptive » ou « relations avec les populations locales ou autres acteurs impliqués » sont indispensables au stade « activement gérée ».
Le respect de ces conditions est le gage de la légitimité, de l’appropriation, du soutien reçu et, in fine, de l’efficacité en termes de conservation de l’AMP considérée, celle-ci ne pouvant être atteinte que par la coopération de tous les acteurs concernés.

Le critère « résultats » :
Il est attendu que le niveau de protection d’une AMP (et bien sûr le respect des conditions de mise en œuvre) ait un effet direct sur les objectifs écologiques fixés, même si ceux-ci se mesurent parfois sur le long-terme. Dans leur analyse de la littérature, les auteurs confirment que ce lien existe et que le niveau de protection améliore proportionnellement la biodiversité, la gestion des espèces exploitées, la qualité de l’eau et la résilience climatique. La mise en réseaux des AMP peut être nécessaire pour obtenir un effet sur les espèces très mobiles. De même, le risque qu’une AMP « déplace le problème » en dehors de sa zone ne doit pas être négligé.
Des bénéfices directs ou indirects sont également attendus en termes sociétaux (bien-être, santé, culture, loisirs, vie économique,…) et la littérature montre que les bénéfices l’emportent généralement sur les inconvénients, même si les critères de jugement peuvent être différents selon les acteurs. Ainsi, un impact positif sur les pêcheurs (meilleur rendement de pêche) peut côtoyer un impact négatif sur le tourisme (augmentation des coûts). Ces observations pointent l’importance majeure d’impliquer toutes les parties prenantes dans la constitution et la gestion d’une AMP, et donc dans la définition des « conditions » de leur mise en œuvre.

Si, comme on l’a souligné au début de cet article, l’atteinte d’objectifs chiffrés par la communauté internationale est louable, celle-ci doit reposer sur une connaissance la plus exacte possible des AMP, de leur nombre bien sûr mais aussi de leur gestion concrète et des résultats qu’elles produisent. Les auteurs de ce guide recommandent donc :

  • Que les critères « statut » et « niveau de protection » soient intégrés aux bases de données internationales recensant les AMP afin de suivre l’évolution quantitative mais aussi qualitative des AMP.
  • Que l’exploitation de ces bases de données soit faite sur la base de ces nouvelles classifications afin de mieux mesurer l’impact des différents types d’AMP.
  • Que les acteurs locaux, régionaux et nationaux s’approprient ce guide pour construire ensemble de nouveaux projets d’AMP ou améliorer l’efficacité des AMP déjà existantes.
  • Que ce guide stimule les agences et les acteurs de la société civile pour faire évoluer leur projet d’AMP vers un statut de plus en plus opérationnel, en adaptant ses objectifs (et donc le niveau de protection) aux contraintes et possibilités locales.
  • Que les impacts sociétaux des AMP soient mieux étudiés, ce qui implique de considérer et d’intégrer des critères adéquats dans les « conditions » de mise en œuvre d’une AMP.

En fournissant un outil de classification et d’évaluation commun à tous les acteurs, ce guide se veut un outil facilitant la mise à disposition des données scientifiques (recueil et évaluation) pour éclairer les prises de décision politiques et orienter les stratégies internationales de protection de la biodiversité. Nul doute qu’il fera l’objet de discussions lors du prochain (5ème) congrès de l’International Marine Protected Area Congress (IMPAC5) qui se tiendra à Vancouver en Juin 2022.

Référence : The MPA Guide : A framework to achieve global goals for the ocean. Science. 2021 Sep 10 ;373(6560) doi : 10.1126/science.abf0861.
Rédactrice : Chantal BARIN, Attachée de Coopération Scientifique et Universitaire, Vancouver.