Les engrais utilisés aujourd’hui pourraient polluer l’eau pendant des décennies

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22 mars 2016

Les engrais à base d’azotes utilisés dans les champs de culture contaminent les rivières et les lacs et s’infiltrent dans les puits d’eau potable depuis plus de 80 ans. Une nouvelle étude de l’Université de Waterloo, en Ontario, montre que l’engrais appliqué aujourd’hui continuera de polluer l’eau pendant des décennies parce qu’il s’accumule dans le sol.

L’étude, publiée cette semaine dans un numéro spécial du journal Environmental Research Letters par le Dr Nandita Basu, Professeur au sein de la Faculté des sciences et du génie de l’Université de Waterloo, et son étudiante doctorante Kim Van Meter, présente la première preuve directe de la présence d’azote à grande échelle dans le bassin de la rivière Mississippi aux États-Unis.

Ces résultats sont importants parce que les écoulements agricoles qui s’infiltrent dans les puits d’eau potables peuvent causer le développement du « syndrome du bébé bleu » chez les nouveaux nés, une pathologie potentiellement mortelle qui réduit le flux l’oxygène dans le sang. Il y a aussi des préoccupations environnementales graves, car l’excès d’azote s’écoulant dans les rivières et les océans crée des « zones mortes » pour les poissons et autres animaux marins.

« Une grande partie de l’azote épandu comme engrais est restée non recensée ces dernières décennies », a déclaré le Pr. Basu, « Le fait que l’azote soit stocké dans le sol signifie qu’il peut encore être une source de niveaux de nitrates élevés longtemps après que les engrais ne soient plus appliqués. »

Comme le phosphore, l’azote est un nutriment pour les plantes et lorsqu’il est appliqué comme engrais, il permet d’augmenter le rendement des cultures. Mais pour maximiser ces rendements, un excès d’engrais est souvent effectué, laissant de grandes quantités d’azote dans le sol.

Depuis les années 1970, les agriculteurs et les décideurs politiques ont travaillé dur pour réduire la quantité d’engrais s’infiltrant dans les eaux souterraines, les lacs et cours d’eau avoisinants. Pourtant, dans certaines zones rurales, les niveaux de nitrates dans les eaux souterraines sont plus de dix fois supérieurs à la norme de l’eau potable.

« Les sources d’eau potable publiques sont susceptibles de recevoir des niveaux de nitrate élevés », d’après le Dr. Basu, également membre de l’Institut de l’eau. « Mais le danger est encore plus grand pour les personnes vivant dans les zones rurales et utilisant des puits privés. »

Pour quantifier l’ampleur réelle du problème, de nombreux chercheurs ont tenté de rendre compte de tous les apports d’azote dans les champs et les écoulements correspondant dans les bassins versants à travers le monde. Ces études de bilan de masse, cependant, n’ont pas donné les résultats attendus. Bien que nous sachions que les niveaux de nitrate augmentent dans les cours d’eau, le sort d’une grande partie de l’azote utilisé dans la terre comme engrais reste un mystère.

De nombreux scientifiques ont suggéré que cet « azote manquant » devait quitter les bassins par dénitrification, une réaction facilitée par des micro-organismes qui transforment le nitrate en azote gazeux inoffensif, qui représente 78% de notre atmosphère.

Le Pr. Basu et son groupe, cependant, ont analysé le flux des concentrations de nitrates et ont trouvé la preuve que l’azote « manquant » pourrait être présent dans le paysage. Ils se sont donc posé la question la question suivante : « L’azote pourrait-il s’accumuler dans les sols ? »

Après une analyse des données à long terme de plus de deux mille échantillons de sol de tout le bassin de la rivière Mississippi, l’équipe a trouvé une accumulation systématique d’azote dans les sols agricoles. Dans de nombreuses régions, cette accumulation n’est pas apparente dans la partie supérieure de 25 cm, la couche dite arable. En effet, ces couches supérieures semblent être appauvries en azote.

Cependant, de 25 à 100 centimètres sous la surface du sol, ils ont constaté une accumulation significative, représentant jusqu’à 50% des apports d’azote net.

« Nous supposons que cette accumulation a eu lieu non seulement en raison de l’utilisation accrue d’engrais, mais aussi de l’augmentation de la culture du soja et des changements dans les pratiques de travail du sol au cours des 80 dernières années », explique la doctorante première auteur de l’étude, Kim Van Meter.

Leurs résultats de modélisation suggèrent que ce stock d’azote pourrait encore s’infiltrer dans les cours d’eau plus de trois décennies après l’arrêt de l’utilisation d’azote dans les champs agricoles.
La présence de cet azote signifie qu’il faudra encore plus de temps pour que les meilleures pratique de gestion présentent un avantage mesurable », selon le Pr Basu. « Si nous fixons des objectifs politiques, il est essentiel que nous quantifions ce stock d’azote et le décalage qu’il engendrera dans les paysages modifiés par l’homme ».

Le Pr. Basu et d’autres chercheurs de l’Université de Waterloo étudient actuellement les stocks d’azote dans le bassin de la rivière Grand, dans le sud de l’Ontario, dans toute l’Amérique du Nord ainsi qu’à l’échelle mondiale.

Pour en savoir plus :
Environmental Research Letters : “The nitrogen legacy : emerging evidence of nitrogen accumulation in anthropogenic landscapes
Environmental Research Letters, 15 Mar 2016 : Vol. 11, no. 3, doi : 10.1088/1748-9326/11/3/035014
http://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/11/3/035014

Source :
Nouvelles de l’université de Waterloo- 15 mars 2016
https://uwaterloo.ca/science/news/fertilizer-applied-fields-today-will-pollute-water-decades

Rédacteur :
Sophie DECAMPS – Chargée de Mission pour la Science et la Technologie à Toronto – sophie.decamps[a]diplomatie.gouv.fr