Le Canada reste un leader mondial pour la production et la recherche sur les isotopes médicaux

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Canada | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie | Science de la matière : matériaux, physique, chimie, optique
27 août 2021

Les isotopes médicaux occupent une place centrale dans de nombreux domaines de la santé, que ce soit pour diagnostiquer ou traiter des maladies, stériliser les dispositifs médicaux ou contribuer à la recherche biomédicale. Le Canada est depuis longtemps un pays leader dans ce domaine et reste encore aujourd’hui l’un des premiers producteurs mondiaux d’isotopes médicaux.

L’utilisation médicale des rayonnements atomiques remonte au début du 20è siècle, suite à la découverte de la radioactivité naturelle de l’Uranium par le physicien français Henri Becquerel, puis aux expériences menées sur le Radium par Marie Curie. Depuis l’utilisation des rayons X en radiologie dès 1896, la découverte des propriétés antimicrobiennes des radiations au début des années 1900 puis les premières utilisations de la radiothérapie au Cobalt-60 par des médecins Canadiens pour lutter contre le cancer en 1951, les isotopes radioactifs sont aujourd’hui des outils essentiels en santé utilisés pour la stérilisation, la recherche biomédicale ou encore le diagnostic et le traitement de nombreuses affections. Ces applications reposent sur la capacité des isotopes naturels ou artificiels à émettre des rayonnements qui, soit sont détectables par un instrument de mesure et ont des applications diagnostiques, morphologiques ou d’études fonctionnelles, soit induisent des dommages cellulaires ou tissulaires et ont des applications thérapeutiques (radiothérapie anti-tumorale notamment) ou de stérilisation.

Les isotopes radioactifs, qu’ils soient diagnostiques ou thérapeutiques, peuvent interagir par eux-mêmes avec un tissu de l’organisme (ex. iode et thyroïde, thallium et cœur,…) ou doivent être préalablement conjugués à une molécule dite « traceuse » pour atteindre l’organe cible. Les propriétés du radio-isotope (type de rayonnement) déterminent son utilisation, diagnostique (radio-traceurs à émission gamma ou émission de positrons, peu toxiques) ou thérapeutique (isotopes thérapeutiques, à émission alpha ou bêta, très fortement ionisants et toxiques pour les cellules et tissus).

La mise à disposition de ces radio-pharmaceutiques, dont la demande mondiale est considérable, nécessite une infrastructure complexe qui repose sur l’existence de sites de production, une collaboration étroite entre les fournisseurs d’isotopes et l’industrie pharmaceutique et un réseau de distribution et d’administration répondant à des contraintes spécifiques.

La recherche scientifique et médicale porte actuellement sur l’optimisation de la production et la mise au point de nouveaux isotopes et radio-pharmaceutiques, l’amélioration technique des détecteurs (afin de diminuer les doses administrées aux patients à visée diagnostique), les approches théranostiques et les avancées de l’intelligence artificielle pour améliorer l’interprétation des images et guider la décision médicale.

1- Ecosystème de la filière des isotopes médicaux au Canada :
La filière est organisée autour du Canadian Nuclear Isotope Council, organisme indépendant regroupant de très nombreux acteurs du secteur (chercheurs, producteurs et distributeurs d’isotopes médicaux, radiopharmaciens, médecins,…) qui s’est donné pour mission de maintenir le leadership mondial du Canada sur la production et le développement des isotopes médicaux, notamment en informant les pouvoirs politiques sur les enjeux du secteur.

Le Canada est en effet un des leaders mondiaux pour la recherche, le développement, la production et la fourniture d’isotopes médicaux aux pays tiers. A partir de 2018, il lui a fallu réorganiser ses capacités de production suite à l’arrêt d’exploitation du réacteur nucléaire canadien de recherche (National Research Universal reactor (NRU)) de Chalk River, ON, qui produisait divers isotopes médicaux et assurait notamment 40% de la production mondiale de Mo-99, précurseur du Technetium-99 (Tc-99) qui est utilisé dans près de 80% des injections de radio-pharmaceutiques à des fins diagnostiques (imagerie cardiaque, scintigraphies osseuses,..), soit environ 40 millions d’actes par an.
Une difficulté à laquelle sont confrontés tous les pays est en effet celle de la possibilité technique de produire les isotopes, certains n’étant actuellement produits que par irradiation de sources dans des réacteurs nucléaires, d’autres nécessitant des accélérateurs hautement puissants et polyvalents. A cet égard, de nouveaux modes de production du Tc-99, indépendants de la disponibilité de Mo-99, sont un challenge industriel et médical majeur. Grâce à sa longue implication dans ce domaine, à ses compétences reconnues dans la fabrication de réacteurs et accélérateurs, le Canada est aujourd’hui en mesure d’assurer la majeure partie de ses besoins domestiques et reste le principal fournisseur mondial de Co-60, de Pd-103 et d’I-125.

La filière Canadienne de production et de distribution d’isotopes médicaux repose sur : un réacteur de recherche puissant et flexible à l’Université MacMaster, un parc de réacteurs nucléaires dédiés à la production d’isotopes médicaux gérés par Bruce Power et Ontario Power Generation, des accélérateurs de particules de haute puissance comme ceux opérés par TRIUMF, MacMaster, le Fedoruk Centre (cyclotrons) et Canadian Isotope Innovation (accélérateur linéaire), des accélérateurs opérés par des structures commerciales (prestation de service ou fabrication de radiopharmaceutiques), un réseau de structures permettant la fabrication des radiopharmaceutiques selon les normes de Bonne Pratiques de Fabrication et enfin diverses entreprises de commercialisation des produits https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/png/carte_canada_cle08f88e-1.png

La dispensation aux patients est assurée par des structures localisées près des centres hospitaliers qui sont en charge de la préparation finale des produits injectés aux patients. Certains isotopes peuvent également être produits localement, soit à l’aide de générateurs (TC-99 à partir de Mo-99) soit grâce à des cyclotrons dédiés (indispensables notamment pour la production de F-18 dont la demi-vie est très courte).

La Canadian Nuclear Safety Commission a validé la fabrication de plus de 250 isotopes (toutes applications confondues, y compris hors secteur médical). Il y a actuellement 45 radio-pharmaceutiques autorisés, synthétisés à partir de 23 isotopes. En 2018, ils contribuaient à la réalisation de 1,5 Millions d’examens diagnostiques et à l’administration de 15000 doses de traitements par an. Le marché Canadien des isotopes médicaux (chiffres 2018) s’élève à $CAD 640 millions et devrait atteindre $CAD 1,17 Billions en 2032 (source : Canadian Nuclear Isotope Council). Les universités bénéficient de revenus très importants, soit par leur activité de fournisseur d’isotopes, soit par les activités support qu’elles proposent en lien avec la technologie. Elles bénéficient par ailleurs d’investissements importants. A ce titre, l’Université de Colombie Britannique (UBC) a reçu en 2018 un financement fédéral de $CAD 10,23 millions pour l’implantation de l’Institute for Advanced Medical Isotopes (IAMI) au sein de TRIUMF (venant en complément des $CAD 12,25 millions de la province, $CAD 5,35 millions de TRIUMF et $CAD 2 millions de la part de BC Cancer et de UBC).

Table : Principaux sites production d’isotopes et/ou de radio-pharmaceutiques à des fins d’usage médical au Canada
Nom du site (*Centres universitaires)Isotopes et/ou radio-pharmaceutiques produits Particularités et domaines de R&D dans le domaine médical
*McMaster Nuclear Reactor (MNR), McMaster University, Hamilton, ON Unique réacteur nucléaire (source de neutrons) dédié à la recherche au Canada
°Production de très nombreux isotopes thérapeutiques (I-125, Lu-177, Rh-186,…), radio-traceurs (F-18,…)
°Production de radio-pharmaceutiques en lien avec le CPDC (voir ci-dessous).
°Production d’isotopes par cyclotron (Zr-89, Ga-67, F-18)
Activités polyvalentes (environnement, santé, énergie, matériaux,…)
° Production de divers isotopes à des fins de recherche (en réacteur et cyclotrons)
°Biologie des radiations
°Analyse de composition corporelle en divers éléments pour études physiologiques, contaminations, toxiques environnementaux.
*TRIUMF, Canada’s particle accelerator Centre, University of British Columbia, Vancouver, BC L’Institute for Advanced Medical Isotopes (IAMI) dispose d’un cyclotron de très haute énergie (le plus élevé au monde), plusieurs cyclotrons et accélérateurs linéaires.
°Production de nombreux radio-traceurs (Tc-99, F-18, Zr-89, Cu-64, Ga-68, Sc-44,…) et isotopes thérapeutiques (Ac-225, Bi-213, Pb-212,…)
°Optimiser la production intra-hospitalière des isotopes médicaux
°Développement d’isotopes (C-11, N-13…) pour recherche de nouvelles signatures moléculaires à des fins diagnostiques (maladies neuro-dégénératives et cancer)
°Développement de détecteurs et d’instruments d’analyse
° Développement de nouveaux isotopes (Hg-197, Sb-119)
*Fedoruk Canadian Centre for Nuclear Innovation (CCNI), Saskatoon, SK Structure d’interface entre la recherche académique (University of Saskatchewan) et l’industrie pour diverses applications. Cyclotron de moyenne énergie. Sources solide, gazeuses et liquides.
°Supervision du centre de production d’isotopes (Saskatchewan Centre for Cyclotron Sciences)
°Production de radio-traceurs (F-18) et de radio-pharmaceutiques (Zr-89, Cu-64)
°Développement de nouveaux isotopes et radio-pharmaceutiques
°Développement de détecteurs ultrasensibles
°Formation et recherche sur l’impact sociétal des sciences nucléaires

(°Spécificité en biologie, hors domaine médical : Biologie des sols et des plantes)
Ontario Power Generation (réacteurs nucléaires CANDU- Canada Deuterium Uranium), Toronto, Pickering, Darlington, ON °Production de Co-60 à usage de stérilisation
°Production de radio-traceurs (Mo-99) pour générateurs de Tc-99
Réacteurs à visée principalement de fourniture énergétique (clean energy)
°Activité de production d’isotopes médicaux mais pas de recherche dans ce domaine
Bruce Power, Ottawa, ON °Production de Co-60 à usage de stérilisation (40% des besoins mondiaux) et à usage médical
°Production de Lu-177 pour la fabrication de radio-pharmaceutiques
Réacteurs à visée principalement de fourniture énergétique (clean energy)
°Pas d’activités de recherche propre (partenariats avec compagnies pharmaceutiques)
Nordion, , Ottawa, ON °Production de Co-60 à usage de stérilisation et à usage médical (3ème producteur mondial)
Canadian Isotope Innovation, Saskatoon, SK Accélérateur linéaire privé.
°Production de radio-traceurs (Mo-99, Cu-67)
Canadian Nuclear Laboratories, Chalk River, ON °Production de Co-60 à usage de stérilisation
°Production de divers radio-traceurs
Activités polyvalentes (environnement, santé, énergie,..)
°Recherche de nouveaux isotopes (Lu-177) et radio-pharmaceutiques (notamment les thérapies alpha-ciblées à l’Ac-225)
° Nouveaux marquages moléculaires
° Applications biologiques (imagerie moléculaire)
° Effets du rayonnement à faible dose sur les propriétés fonctionnelles des cellules souches ou les thérapies ciblées anticancéreuses
° Recherches en biodosimétrie
Centre for probe Development and Commercialization (CPDC), Hamilton, Toronto, Ottawa, ON et sa filiale commerciale Fusion pharmaceuticals (Hamilton) °Structure d’interface entre la recherche académique (MacMaster University) et l’industrie pour la production de radio-pharmaceutiques (R&D)
°Supervision des centres de production d’isotopes partenaires (MNR)
°Développement de nouveaux radio-pharmaceutiques à partir d’isotopes fournis par les partenaires (Lu-177)
BWXT-medical, Ottawa-Kanata, ON, Vancouver, BC °Production de radio-pharmaceutiques à partir d’isotopes produits sur place (cyclotron) sur le site de TRIUMF (In-111, I-123, Sr-82) ou fournis par OPG (Mo-99)
°Production de sources implantables (TheraSphere)
° Développement de générateurs de Tc-99

2- Recherche et développement d’isotopes et de radio-pharmaceutiques
Des activités de recherche, centrées notamment sur la production de radionucléides et radio-pharmaceutiques, sont également développées dans certains de ces centres cités plus haut (Tableau). Elles se subdivisent en plusieurs grands axes (non exhaustif) :

- Optimisation technologique pour produire de nouveaux isotopes
Certains des organismes Canadiens cités ci-dessus disposent d’équipements de pointe et de chercheurs de haut niveau qui leur confèrent des capacités d’innovation de niveau mondial.

  • Mise au point de nouvelles méthodes de production du Tc-99, soit directement en cyclotron, soit par l’intermédiaire de générateurs,
  • Production de nouveaux isotopes dont certains nécessitent des technologies sophistiquées d’irradiation en réacteur (Luthenium-177 (Lu-177) pour des usages en cancérologie, Actinium-225 (Ac-225) pour le développement de thérapies alpha-ciblées en cancérologie),
  • Montée en puissance des accélérateurs linéaires pour produire de nouveaux isotopes (Cu-67),
  • Mise au point de générateurs de Gallium-68 pour contrer la pénurie,
  • Optimisation des réacteurs pour produire simultanément plusieurs isotopes et répondre ainsi à la demande mondiale.

- Développement de radio-traceurs appliqués aux études d’imagerie fonctionnelle de divers systèmes biologiques ou à la conception de nouveaux médicaments radio-pharmaceutiques
Les radio-traceurs sont un outil précieux d’étude des mécanismes biologiques car ils permettent de « visualiser », parfois en temps réel, le fonctionnement d’un organe ou d’un système biologique. Ceci est rendu possible par l’utilisation d’isotopes d’atomes naturellement présents dans l’organisme (C-11, N-13…) qui s’intègreront dans le fonctionnement cellulaire ou par l’utilisation de molécules radio-marquées, capables de cibler une structure cellulaire pour en traduire le fonctionnement ou le devenir.

Ce champ de recherche est très actif grâce aux nombreux partenariats avec les entreprises pharmaceutiques (secteur très actif au Canada) qui co-développent les molécules (chimiques ou biologiques) sur lesquelles seront greffés les isotopes.

- Étude des effets des rayonnements ionisants chez l’homme
Si les effets délétères (notamment cancérogènes) de la radioactivité sont bien connus, d’autres conséquences liées aux rayonnements restent à élucider et tout un pan de la recherche s’intéresse également à leurs effets bénéfiques.
Les Canadian Nuclear Laboratories ont un axe de recherche sur le rayonnement à faible dose et ses capacités à :

  • Améliorer les propriétés fonctionnelles des cellules souches utilisées en médecine régénérative
  • Améliorer l’efficacité des inhibiteurs de check-point immunitaires (un type particulier de médicaments d’immunothérapie anticancéreuse)
  • Comprendre et moduler les étapes précoces de la cancérogénèse
    Les chercheurs de MacMaster étudient quant à eux les effets des rayonnements gamma (émis notamment par le Tc-99) sur les organismes vivants avec des applications en radioprotection, en sciences de l’environnement et en bonnes pratiques médicales.

- Analyse d’expositions environnementales
Le laboratoire de MacMaster développe un programme original visant à utiliser l’irradiation pour analyser la composition corporelle en divers éléments à des fins d’analyse toxicologique (Plomb, Cadmium, Mercure, Arsenic) ou d’études physio-pathologiques (Manganèse, Strontium, Aluminium).

3- Recherche en informatique et intelligence artificielle (AI) :
L’implémentation de l’AI en imagerie médicale offre un potentiel de reconnaissance des images égal ou supérieur à celui d’experts humains, permettant un diagnostic plus précis et un meilleur suivi des traitements dans des domaines aussi variés que l’oncologie, la cardiologie ou la neurologie. Les approches basées sur l’AI ouvrent aussi la voie à une meilleure prédiction individuelle de l’évolution des maladies, à l’étude des effets des radiations et à diverses autres applications, fondées sur l’apprentissage des données existantes.

Le Canada est un pays novateur qui figure parmi les chefs de file mondiaux en matière d’IA et d’apprentissage approfondi. Appliquées à la médecine, ces technologies basées sur des méga-données posent des questions techniques, éthiques, réglementaires et juridiques que les chercheurs Canadiens ont synthétisées dans deux revues récentes (1,2). Cette problématique nouvelle fait dorénavant l’objet de sessions spécialisées dans les congrès internationaux de médecine nucléaire. Bien que l’imagerie médicale ne concerne qu’une des nombreuses applications de l’IA en santé, ces réflexions s’intègrent dans l’approche globale d’intégration de l’IA en santé, portée par le CIFAR, et qui repose sur l’important écosystème de recherche en IA au Canada.

Références :
1- Machine learning in nuclear medicine : Part 1-Introduction. J. Nucl Med 2019,60:451-458 (https://jnm.snmjournals.org/content/60/4/451)
2- Machine learning in nuclear medicine : Part 2-Neural networks and clinical aspects. J. Nucl Med 2021,62(1):22-29 (https://jnm.snmjournals.org/content/early/2020/09/25/jnumed.119.231837)

Rédactrice : Chantal BARIN, Attachée de Coopération Scientifique et Universitaire, VANCOUVER