A Montréal, une petite ouverture dans le monde fermé de la recherche scientifique

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Canada | Politiques de recherche, technologiques et universitaires | Big Data
23 décembre 2016

Dans un contexte où la recherche scientifique sert souvent des intérêts économiques, l’approche de l’Institut neurologique de Montréal qui mise sur l’accès libre aux données de recherche pourrait servir de modèle.

La façon de « faire de la science » est-elle néfaste à la science ?
Cette question est la force motrice de la nouvelle initiative Open Science de l’Institut neurologique de Montréal. Actuellement, les gouvernements investissent beaucoup d’argent dans la recherche en santé, essentiellement dans les universités et les laboratoires associés aux hôpitaux d’enseignement.
Nous attendons que les scientifiques découvrent des éléments tels que les médicaments et de la technologie, puis commercialisent ces résultats afin d’obtenir un retour sur investissement des fonds publics investis.
Ces dernières années, une pression énorme a pesé sur les scientifiques pour démontrer des résultats immédiats et lucratifs, alors qu’un immense mépris leur était manifesté quand ils ne le faisaient pas.
Mais cette philosophie de la recherche rentable ou pas de recherche du tout est naïve et contre-productive. Il existe un énorme fossé entre la science fondamentale et les applications commerciales.

Prenons la neuroscience : le cerveau humain, environ 1.300 grammes de matière grise spongieuse, se compose de plus de 100 milliards de neurones (ou cellules nerveuses). C’est en grande partie un territoire encore inexploré. Peut-on objectivement attendre des scientifiques, qu’ils trouvent par exemple, un nouveau médicament contre la maladie de Parkinson (ce qui n’a pas été fait depuis 30 ans) s’ils ne connaissent pas le fondement biologique de base de la maladie ? Quelqu’un doit faire le travail fastidieux d’exploration. Et leurs résultats, combinés avec les résultats des autres, finiront par aboutir, on l’espère, à des solutions, y compris à de nouveaux médicaments.
La méthode scientifique consiste à essayer - et souvent à échouer - à essayer de nouveau avec une nouvelle approche.

Est-ce la meilleure façon de nourrir ce processus - accélérer l’accumulation de connaissances - avoir des chercheurs individuels accumuler leurs résultats dans l’espoir un jour de décrocher le pactole, ou est-ce de partager les découvertes publiquement pour en stimuler d’autres ?
La philosophie d’Open Science soutient que c’est la dernière. Open Science a quatre objectifs fondamentaux : 1) la transparence dans la méthodologie expérimentale et la collecte de données, 2) la disponibilité publique des données scientifiques, 3) l’accessibilité du public, la transparence et la communication scientifique, et 4) l’utilisation d’outils Web pour faciliter la collaboration.
Cela est très différent de l’approche actuelle, dans laquelle les institutions protègent farouchement leur « propriété intellectuelle » avec des brevets, dans lesquels les résultats sont publiés dans des journaux qui payent et dans lesquels, tout, de la conception des expériences aux données de base telles que les codes sources sont gardés secrets. Bien qu’il existe une tendance réelle à l’ouverture, de nombreux obstacles demeurent. La concurrence pour le financement de la recherche est féroce, de sorte que les mesures telles que les citations et les brevets sont importantes pour la carrière des scientifiques, sans oublier qu’il n’y a pas nécessairement suffisamment de temps ou de ressources pour poster des données sur internet.

Ces réalités perpétuent la science "fermée", même si cela ne marche pas vraiment. Malgré tout le battage médiatique, les universités et les hôpitaux génèrent très peu de revenus avec les brevets. La plupart perd régulièrement de l’argent sur ses incursions commerciales. Une des rares exceptions est l’Université de Floride, qui a réalisé environ 150 millions de dollars américains en inventant le Gatorade, qui n’est pas exactement un cadeau pour la santé de l’humanité. Et la publication dans les revues qui rapportent, puis l’achat de ces journaux à un prix élevé est un jeu auquel on se fait avoir.

Au Neuro, toutes les découvertes seront libres de brevets et librement accessibles à d’autres scientifiques du monde entier - ce qui en fait le premier institut universitaire au monde à adopter pleinement la science en libre accès. Le Neuro peut se permettre cette expérience grâce à un don de 20 millions de dollars (canadiens) de la famille de Larry Tanenbaum, philanthrope et président de Maple Leaf Sports et Divertissement Ltée. En homme d’affaires avisé, il est convaincu que l’ouverture accélérera la recherche et les découvertes. « Ce que nous célébrons aujourd’hui, c’est la transformation de la recherche, la suppression des barrières, le décloisonnement et surtout le courage des chercheurs pour placer les patients et les progrès avant toute autre considération », déclare M. Tanenbaum.

Inutile de dire qu’il y aura une étude pour déterminer si l’approche Open Science est efficace. La recherche, dirigée par Richard Gold, professeur de droit et génétique humaine à l’Université McGill, mettra à l’épreuve deux hypothèses :
1) L’initiative Open Science attirera-t-elle de nouveaux partenaires privés pour investir au Neuro ?
2) L’approche Open Science attirera-t-elle les entreprises dans la région de Montréal et mènera-t-elle à la création d’un carrefour local du savoir ?
Certes, la science vaut plus pour la société que simplement produire le prochain médicament ou le prochain gadget. Et l’entreprise scientifique ne peut pas être seulement citations et brevets. Elle doit concerner les personnes - et, au final, aider les gens. À long terme, il est difficile d’imaginer comment les gens ne profiteront pas davantage de l’ouverture et du partage des connaissances que du secret et de la thésaurisation des résultats.
Ce qui reste à voir, c’est si le Neuro, un institut de recherche relativement petit, peut changer la culture de la science.

En savoir plus :
Neuro, Institut & Hôpital neurologiques de Montréal- http://www.mcgill.ca/neuro/neuro-brain-research-patient-care-and-training

Source :
The Globe and Mail - 20 décembre 2016- In Montreal, a wee opening in the closed world of science research- André Picard
http://www.theglobeandmail.com/opinion/in-montreal-a-wee-opening-in-the-closed-world-of-science-research/article33372907/

Rédacteur :
Armelle Chataigner-Guidez, Assistante du conseiller pour la science & la technologie, Ambassade de France au Canada- armelle.chataigner-guidez[a]diplomatie.gouv.fr