La bande dessinée aux confins de l’art et de la science : retour sur le travail de l’artiste autrichienne Bettina Egger

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Autriche

Autriche | Sciences Humaines et sociales
12 mars 2021

A travers une fouille archéologique en Arménie, la dessinatrice de bande dessinée autrichienne et francophone Bettina Egger, qui a à ce jour publié neuf bandes dessinées en français et qui est active dans la coopération culturelle entre la France et l’Autriche, explore le potentiel de la bande dessinée scientifique.

Près du village d’Aramus en Arménie, les chercheurs Walter Kunter et Sandra Heinisch-Kuntner de l’Université d’Innsbruck ont récemment découvert les vestiges d’une ancienne forteresse du royaume d’Urartu datant du premier millénaire avant Jésus-Christ. Ce royaume était autrefois une puissance majeure de l’Est de l’Anatolie, qui connut une forte expansion à partir du IXème siècle avant Jésus-Christ. Il alla même jusqu’à rivaliser avec l’Assyrie voisine, jusqu’à mettre celle-ci en péril. Cependant, il disparut brutalement entre la fin du VIIe siècle et le début du VIe siècle et tomba largement dans l’oubli. Depuis 2004, les chercheurs de l’Institut d’histoire ancienne et d’études du Proche-Orient ancien de l’université d’Innsbruck s’efforcent d’en savoir plus sur cette civilisation avancée du Proche-Orient.

Pendant une semaine en septembre 2019, ces derniers ont été accompagnés par l’artiste et auteure de bandes dessinées Bettina Egger, également chercheuse au Centre international de recherche pour les études culturelles (IFK) à Vienne (département de l’université des arts de Linz). Son travail de bande dessinée documentaire, qui aborde l’histoire et les sciences par le dessin, est particulièrement intéressant et encore peu répandu dans le monde de la bande dessinée, plus particulièrement en Autriche, qui n’a pas de tradition établie de bande dessinée. En effet, la chercheuse et dessinatrice retranscrit actuellement ses expériences archéologiques à travers la rédaction d’une bande dessinée documentaire dans le but de répondre à la question suivante : comment la bande dessinée peut-elle représenter le travail de recherche, transmettre des sujets scientifiques et générer des connaissances ?

Les bandes dessinées de non-fiction, qui ont commencé à apparaître dans les années 60, ont pendant longtemps été confrontées à de nombreux défis : Bettina Egger explique au Standard qu’elles ont par exemple été accusées pendant longtemps de superficialité ou de simplification scientifique. Un tournant a cependant eu lieu dans les années 1990, à partir du moment où le secteur de la bande dessinée de non-fiction a connu un essor considérable – en témoignent par exemple les succès de Maus d’Art Spiegelman, de Persepolis de Marjane Satrapi ou des reportages sous forme de bande dessinée de Joe Sacco. Cet essor a été particulièrement visible dans les mondes anglophone et francophone (en particulier nord-américain et franco-belge), où « la recherche fondée sur la bande dessinée et la bande dessinée scientifique est fondée sur une plus longue tradition », explique Bettina Egger au Standard. En revanche, dans les pays germanophones, l’intérêt pour les bandes dessinées scientifiques reste beaucoup plus modéré.

Par ailleurs, la bande dessinée documentaire permet également de toucher un public plus vaste, là où les livres s’adressent en général à un public déjà acquis. Mais qu’est-ce qui rend la bande dessinée particulièrement pertinente pour transmettre et communiquer des savoirs scientifiques ? Selon Bettina Egger, la dimension sensorielle et matérielle des bandes dessinées, qui sont essentiellement dessinées à la main, y contribue fortement : « par rapport au film ou à la photographie, aucune illusion de la réalité n’est créée ; au contraire, l’accent est mis sur la représentation et l’interprétation de la réalité ». L’utilisation de la bande dessinée est donc ici particulièrement intéressante au regard des sciences, aussi bien humaines que « dures » : même si les scientifiques travaillent sous le contrôle de la raison, elle-même soumise au principe d’objectivité, les théories scientifiques sont des « créations libres de l’esprit humain » (Einstein) et non la nature elle-même : cela rejoint ainsi la question de l’interprétation.

Bettina Egger, qui a obtenu son Master en arts plastiques à l’université de Haute Bretagne Rennes II et a soutenu sa thèse de doctorat à l’université de Salzbourg et au Mozarteum de Salzbourg sur le thème de la bande dessinée et de la mémoire, cherche à exploiter cette vision subjective dans sa bande dessinée sur les fouilles archéologiques d’Aramus. À partir d’épisodes individuels et d’anecdotes, son but est de représenter le processus de production de connaissances ou encore - après consultation avec l’équipe d’archéologues de l’université d’Innsbruck - de dévoiler des informations techniques.

« Ma principale préoccupation est d’adapter un point de vue différent", déclare-t-elle. "Je veux montrer le quotidien des chercheurs, souvent monotone, regarder les coulisses des fouilles, capter les humeurs du groupe et aussi montrer les difficultés du travail de recherche. (…) en d’autres termes, tout ce que vous ne lisez pas dans les revues scientifiques ».

La bande dessinée devrait paraître en France aux éditions Jarjille.

Sources :

Rédactrice : Kalina Esmein, kalina.esmein[at]diplomatie.gouv.fr - https://at.ambafrance.org/