L’Université de Vienne sur la voie de l’informatique quantique

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Autriche | Sciences et technologies de l’information et de la communication : TIC, télécoms, micro-nanotechnologies, informatique
13 septembre 2019

Des chercheurs du Vienna Center for Quantum Science and Technology (Université de Vienne) ont mis au point une nouvelle technique de détection de l’intrication quantique dans les systèmes quantiques, y compris ceux de grande taille. Ces résultats, publiés dans Nature Physics en juin 2019, constituent une progression importante vers la mise au point d’un ordinateur quantique.

Un supercalculateur quantique : un projet emblématique

Créer un supercalculateur quantique – ou ordinateur quantique – est un projet emblématique pour les physiciens, et un enjeu stratégique pour les États. Cela tient à la propriété de ces ordinateurs, encore largement virtuels à ce jour, de manier les qubits, des bits quantiques qui, contrairement à ceux de nos ordinateurs classiques, ne sont pas soit égaux à 1, soit à 0, mais peuvent être les deux à la fois. Cette propriété permettrait d’une part de résoudre des problèmes insolubles pour des ordinateurs classiques, et ce malgré l’augmentation des capacités de calcul ces derniers. Cela permettrait par exemple de simuler des molécules aux structures complexes. D’autre part, cette technologie aurait des applications dans le domaine de la défense (nouvelles méthodes de cryptographies permettant de déceler toute faille de sécurité), de la recherche médicale (tel qu’en imagerie du cerveau) ou dans le champ économique (par exemple pour la finance).

Créer un tel ordinateur est un travail de longue haleine, et si certains chercheurs travaillent depuis déjà 20 ou 30 ans sur la question, « personne ne peut dire si ce but sera atteint en 5, 10 ou 20 ans  » explique Valeria Saggio, doctorante au Vienna Center for Quantum Science and Technology et première auteure d’un article sur l’intrication quantique paru en juin 2019 dans Nature Physics. Elle ajoute : « Ce que je peux dire sur l’informatique quantique, c’est que lorsque quelqu’un travaille sur un projet prévu pour durer 6 mois, il lui faut généralement 2 ans ».

Plusieurs voies vers la mise au point d’un ordinateur quantique

Si l’objectif est connu de tous, les voies employées par la communauté scientifique pour mettre au point un ordinateur quantique divergent. Le groupe de travail de l’Université de Vienne utilise les photons exclusivement. Cette méthode consiste à utiliser un laser d’une grande puissance et des cristaux. Le laser émet des photons, qui sont divisés en deux lorsqu’ils traversent le cristal, devenant alors des photons quantiques intriqués. Un système à trois boucles – donc trois cristaux – comme c’est le cas au centre de Vienne actuellement, permet de diviser 3 photons simultanément, et de créer ainsi un système quantique de 6 qubits.

Les autres voies poursuivies qui comptent parmi les plus prometteuses sont les ions piégés (« trapped ions ») et les circuits supraconducteurs. La première technique a pour avantage sa stabilité, mais cela a aussi comme effet d’allonger le temps des calculs. La seconde sont des circuits électriques capables de conduire l’électricité sans résistance. Ces circuits sont faciles à produire et permettent des opérations rapides. C’est la voie privilégiée par les principales entreprises américaines : Google, Intel et IBM. Il existe encore d’autres méthodes comme des électrons isolés dans une matrice de silicium, mais à ce stade, il semble difficile de déterminer quelle voie a les meilleures chances de succès. « Finalement, il s’agit simplement d’approches différentes pour atteindre un même but commun, qui est un ordinateur quantique », explique Valeria Saggio.

Dr Thomas Monz, chercheur à l’Université d’Innsbruck et interrogé par Horizon, le magazine de recherche et d’innovation de l’Union européenne en juin 2019, voit dans les financements européens récemment octroyés à ce sujet, et en particulier dans le Quantum FET-Flagship, l’opportunité d’explorer plusieurs de ces voies. «  Je pense que les financements européens nous permettent de rivaliser avec ces entités [Intel, IBM, Google] parce qu’il n’y a pas beaucoup d’entreprises en Europe (qui visent les technologies quantiques). Le second élément est peut-être que vous voulez disposer d’un outil différent, qui utilise une technologie nouvelle (pas seulement les semi-conducteurs). Ainsi, si l’une de ces technologies devait être une impasse sur le long terme, nous avons en Europe un plan B et un plan C, parce que nous ne mettons pas tous les œufs dans le même panier* ».
Thomas Monz fait partie d’un groupe de travail de l’Université d’Innsbruck qui utilise les ions piégés. En utilisant cette technique, ce groupe a mis au point un système de 14 puis de 20 particules intriquées (ou qubits) capables de réaliser plusieurs opérations comme la factorisation de nombres entiers. Ces réalisations sont des jalons essentiels de la poursuite d’un supercalculateur quantique. Un article publié le 22 août 2019 donne ce projet réalisable à l’horizon 2022.

A Vienne, une nouvelle méthode pour déceler l’intrication quantique

La technologie des supercalculateurs quantiques repose sur le contrôle de larges systèmes quantiques (100 qubits ou plus), or ces systèmes sont extrêmement instables. Si des systèmes quantiques de quelques qubits existent, de nombreux obstacles existent encore dans pour contrôler des systèmes de plus de 4 ou 6 qubits. C’est à la résolution de ce problème que s’attèle les chercheurs de l’Université de Vienne, de l’Académie Autrichienne des Sciences (Österreichische Akademie der Wissenschaften) et de l’Université de Belgrade.

Le système quantique de 6 qubits décrit précédemment a été utilisé pour tester l’hypothèse du Dr Borivoje Dakić concernant l’intrication quantique. Cette nouvelle méthode consiste à appliquer à un système quantique des mesures spécifiques. Celles-ci fonctionnent comme une liste de questions auxquelles le système répond par oui ou non ce qui permet de déceler la présence d’intrication. Ce système a plusieurs avantages : le très faible nombre de questions-réponses nécessaires par rapport aux méthodes utilisées jusqu’à présent, la fiabilité de cette méthode (jusqu’à 99,99%) et son adaptabilité puisqu’elle est efficace sur des systèmes de grande taille et indépendamment de la méthode choisie pour créer un système quantique (photons, ions piégés, circuits supraconducteurs, etc.).

Une collaboration féconde entre les différentes voies vers un supercalculateur quantique

L’Université de Vienne collabore intensivement avec différentes structures pour régler les nombreux obstacles qui subsistent à la création d’un ordinateur quantique. On peut citer les expériences menées conjointement avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et l’Université de Cambridge sur une puce élaborée par le MIT. Cette collaboration a permis de démontrer certaines propriétés contre-intuitives de la communication utilisant la physique quantique : un message peut voyager en sens inverse du photon qui l’encode – si le message voyage de A vers B, le photon de B vers A).

La volonté de collaboration de l’Université de Vienne, y compris entre scientifiques travaillant sur des méthodes différentes, se manifeste également dans l’organisation de la première conférence sur l’information quantique en Autriche (Austrian Quantum Information Conference 2019) qui aura lieu le 31 octobre 2019 à Vienne.

L’Autriche est un pôle de la recherche en informatique quantique, comme l’a souligné l’organisation de la prestigieuse Quantum Computing Conference (AQC) 2019 à Innsbruck du 24 au 28 juin 2019. Les sessions précédentes ont eu lieu dans le centre de recherche de la NASA (AQC 2018), dans celui de Google (AQC 2016) ou encore à Tokyo (AQC 2017).

*Citation originale (en anglais) : “I think what the funding from the EU allows us to do is to compete with these entities because there are not that many companies in Europe (pursuing quantum technologies). The second part is, maybe you want to have a different tool using a new technology (not just semiconductors). So, if one technology might be a dead end in the long run, we have in Europe a plan B and a plan C because we don’t put everything into one bucket”.

Pour en savoir plus :

Sources :

Rédactrice : Marie Belland, marie.belland[at]diplomatie.gouv.fr - https://at.ambafrance.org/