L’Université d’Innsbruck réalise une percée dans le domaine de l’informatique quantique

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Autriche

Autriche | Sciences et technologies de l’information et de la communication : TIC, télécoms, micro-nanotechnologies, informatique
30 juin 2022

Si la course à l’informatique quantique se poursuit à travers le monde, les applications pratiques de ces ordinateurs à la puissance de calcul inégalée restent assez théoriques. L’un des freins majeurs à leur mise en œuvre est la complexité de la correction des erreurs de calcul. Une équipe de chercheurs de l’Université d’Innsbruck vient pourtant de publier des recherches dans lesquelles ils affirment avoir trouvé le moyen de surmonter cet obstacle.

La détection et la correction des erreurs de calcul sont en effet une nécessité pour rendre les ordinateurs quantiques exploitables d’une façon concrète. Pourtant, parvenir à corriger ces fameuses erreurs n’est pas simple. En effet, les ordinateurs quantiques ont un principe de fonctionnement très différent de nos ordinateurs classiques. Avant d’expliquer la différence entre ordinateur classique et ordinateur quantique, il est nécessaire de comprendre deux concepts de physique quantique :

  • Le concept de la superposition d’états. La superposition est la capacité contre-intuitive d’un objet quantique, comme un électron, à exister simultanément dans plusieurs "états" différents. Elle est littéralement dans ces différents états à la fois : à la fois dans un état et dans autre, sans faire une moyenne des deux. Une mesure détruira cette superposition, et ce n’est qu’alors que l’on pourra dire qu’il est dans l’état inférieur ou supérieur.
  • La mesure dans la mécanique quantique. Il n’est pas possible de mesurer deux choses dont la connaissance simultanée est impossible : la position et la vitesse d’une molécule, par exemple. Il est ainsi important de savoir ce que l’on mesure, sinon on perturbe l’état. C’est ce qu’on appelle l’action retour de la mesure : si on mesure l’état quantique on peut de manière irréversible changer son état.

Les ordinateurs classiques sont programmés avec des bits comme unités de données. Chaque bit peut stocker un 0 ou un 1 (système binaire). Cependant, ces ordinateurs sont mis face à leurs propres limites lorsqu’ils se retrouvent confrontés à un problème de variables multiples. Dans ce cas, les ordinateurs doivent effectuer un nouveau calcul chaque fois qu’une variable est modifiée. Chaque calcul est un chemin unique vers un résultat unique. L’ordinateur quantique, lui, se base sur les concepts expliqués ci-dessus. En raison des lois de la mécanique quantique, celui-ci utilise des qubits, qui peuvent représenter une combinaison de 0 et de 1 en même temps, selon le principe de superposition quantique : grâce à cette loi de superposition, les qubits peuvent être à la fois 0 et 1, et même se situer dans des états superposés, comme 01, 10, 11… C’est cela même qui leur permet en théorie de déployer une puissance de calcul inégalée. Chaque qubit existe ainsi en multiple états de 0 et 1, simultanément. L’ordinateur quantique va ainsi exploiter l’intrication entre les qubits et les probabilités associées aux superpositions pour effectuer une série d’opérations, de telle sorte que certaines probabilités soient augmentées (c’est-à-dire celles des bonnes réponses) et d’autres diminuées, voire nulles (c’est-à-dire celles des mauvaises réponses).

Cependant, ce point fort peut aussi constituer une faiblesse quand il s’agit de corriger des erreurs de calcul. Or, des erreurs, les ordinateurs quantiques en font beaucoup. "Les ordinateurs quantiques sont intrinsèquement beaucoup plus sensibles aux perturbations et nécessiteront donc probablement toujours des mécanismes de correction d’erreurs, car sinon les erreurs se propagent de manière incontrôlée dans le système et des informations seront perdues", explique ainsi un communiqué de l’Université d’Innsbruck.

En informatique classique, les erreurs de calcul sont devenues de plus en plus rares grâce aux progrès technologiques. Toutefois, quand une erreur survient, il existe toujours, pour certaines applications critiques, une contre-mesure : il s’agit de la redondance des données traitées, qui permet d’obtenir une certaine sécurité. L’idée est d’avoir plusieurs copies des données : il devient alors assez facile de détecter si une erreur a été commise, car les résultats des calculs divergent. Or, ce mécanisme n’est théoriquement pas applicable dans le cas d’un ordinateur quantique. En effet, selon les lois de la physique quantique, on ne peut pas copier l’information quantique. Toutefois, et c’est ce qu’expliquent l’équipe de scientifiques d’Innsbruck, "la redondance peut être obtenue en distribuant des informations quantiques logiques dans un état intriqué de plusieurs systèmes physiques, par exemple plusieurs atomes individuels".

En effet, il faut rappeler qu’un qubit est, très concrètement, un atome. L’informatique quantique vise à organiser ces qubits selon divers moyens pour qu’ils interagissent entre eux et se placent dans les états quantiques requis pour l’ordinateur. Différents types d’atomes et différents systèmes sont utilisés à cette fin, comme des "pièges magnétiques" à ions positifs ou encore des superconducteurs. Quant à l’intrication quantique, il s’agit d’un enchevêtrement – par exemple entre deux qubits – qui permet d’en faire un seul système. Si bien qu’ensuite, même si on les éloigne, il est possible de connaître l’état d’un qubit en mesurant celui de l’autre. Ce phénomène d’intrication est requis pour effectuer un calcul quantique.

Un système de calcul en qubit, qui permettrait de corriger les erreurs représente ainsi une avancée majeure. L’équipe de physiciens d’Innsbruck a affirme que pour la première fois, ils ont mis en œuvre un ensemble universel d’opérations de calcul sur des bits quantiques tolérants aux pannes. En d’autres termes, ils ont démontré qu’il est possible de programmer un algorithme sur un ordinateur quantique et de faire en sorte que des erreurs inopinées ne faussent pas le résultat final. Ils ont également mis en place ce correctif sur une "porte quantique universelle". Pour mieux appréhender ce concept, il faut tout d’abord rappeler ce qu’est une "porte logique" en informatique classique : les portes logiques permettent les opérations de base que l’on peut réaliser sur un bit. C’est ce qui fait que des informations peuvent être entrées pour obtenir un résultat. Différents types de portes logiques permettent, en définitive, de faire de la programmation et de donner les instructions à l’ordinateur. Différentes "portes logiques" existent aussi en informatique quantique, mais les "portes universelles" sont celles qui permettraient d’effectuer tout type de calcul. Concrètement, cette "porte" a été réalisée grâce à 16 atomes confinés dans des pièges à atomes. L’information quantique était stockée dans deux bits quantiques logiques, chacun réparti sur sept atomes. Les chercheurs ont mis en œuvre les opérations sur les qubits logiques de manière à ce que les erreurs causées par les opérations physiques sous-jacentes puissent également être détectées et corrigées, grâce à cette fameuse distribution des informations quantiques. Ils ont ainsi réalisé "la première implémentation tolérante aux pannes d’un ensemble universel de portes sur des bits quantiques logiques codés".

Le système obtenu est ainsi plus complexe, mais aussi plus efficace, selon les scientifiques : "L’implémentation tolérante aux pannes nécessite plus d’opérations que les opérations non tolérantes aux pannes. Cela introduira plus d’erreurs à l’échelle des atomes uniques, mais les opérations expérimentales sur les qubits logiques sont meilleures que les opérations logiques non tolérantes aux pannes", se réjouit Thomas Monz, du Département de physique expérimentale de l’Université d’Innsbruck. "L’effort et la complexité augmentent, mais la qualité résultante est meilleure".

Traditionnellement, l’Autriche est à la pointe dans le domaine du quantique. Par exemple, en 2003, l’Académie autrichienne des sciences a cherché à consolider ce domaine de recherche en créant l’Institut d’optique quantique et d’information quantique, qui dispose aujourd’hui de deux sites, à Vienne et à Innsbruck. Devenu rapidement l’un des pôles les plus reconnus en termes de recherche quantique au niveau mondial, les chercheurs de cet institut se sont rapidement imposés dans plusieurs domaines de la physique quantique. La recherche dans le domaine des ordinateurs quantiques est un exemple : L’université d’Innsbruck est particulièrement à la pointe dans ce domaine : cela a été par exemple démontré par Alpine Quantum Technologies (AQT), une spin-off de l’Académie des sciences et de l’université d’Innsbruck. L’objectif de cette start-up est de développer un premier ordinateur quantique utilisable commercialement dans les années à venir.

Sources :

Rédactrice : Kalina Esmein, kalina.esmein[at]diplomatie.gouv.fr - https://at.ambafrance.org/