Intelligence artificielle et biomédecine : La position avant-gardiste de l’Autriche

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Autriche | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie | Sciences et technologies de l’information et de la communication : TIC, télécoms, micro-nanotechnologies, informatique
30 avril 2025

L’intelligence artificielle (IA) s’impose aujourd’hui comme un levier stratégique dans la recherche scientifique. En Autriche, son usage s’intensifie, en particulier dans le domaine biomédical. Des initiatives particulièrement innovantes, à l’intersection entre la recherche fondamentale, la médecine et la science des données, placent le pays à l’avant-garde de cette révolution. Ce mouvement s’accompagne d’une réflexion approfondie sur les apports, les limites et les conditions d’utilisation de ces technologies.

« SimulatGPT » : une IA générative au service de la biomédecine

A Vienne, Christoph Bock, directeur du Centre de recherche en médecine moléculaire de l’Académie autrichienne des sciences (CeMM) et Matthias Samwald, Professeur à l’Université de médecine de Vienne, ont lancé en juin 2024 l’initiative « SimulatGPT ». Ce projet explore l’utilisation des modèles de langage comme GPT-4 pour simuler des scénarios biomédicaux complexes (effet d’un traitement sur des cellules cancéreuses, réaction à une infection etc.) Cette nouvelle approche consiste à créer des prompts spécifiques, permettant à l’IA de modéliser des processus biologiques étape par étape. Les réponses ainsi générées sont ensuite vérifiées par des experts pour garantir leur fiabilité.

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Christoph Bock, professeur d’informatique médicale et directeur de l’Institut d’intelligence artificielle à l’Université de médecine de Vienne © Kurt Keinrath

Les premiers résultats sont très prometteurs. Dans plusieurs cas, « SimulatGPT » a surpassé les méthodes classiques de prédiction en biologie. Par exemple, il a permis d’identifier des gènes clés dans les cellules tumorales, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques et perspectives pour la recherche biomédicale.

Conception de nouveaux médicaments grâce à l’IA

L’IA joue également un rôle crucial dans la conception de nouveaux médicaments. En effet, longtemps considérée comme un défi majeur en biologie moléculaire, la compréhension des structures tridimensionnelles des protéines a connu une avancée spectaculaire grâce à des outils comme AlphaFold, développé par DeepMind. Ce programme, pour lequel ses inventeurs, David Baker, Demis Hassabis et John M. Jumper, ont reçu le Prix Nobel de chimie 2024, a notamment permis de prédire avec une précision inédite la structure 3D de milliers de protéines à partir de leur séquence génétique.

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Prédiction de la structure d’une protéine faite par l’algorithme « AlphaFold 2 »

Ainsi, cette capacité à anticiper les formes des protéines ouvre de nouvelles perspectives pour le développement de thérapies ciblées, notamment contre le cancer. À Vienne, l’institut de recherche en intelligence artificielle biomédicale Aithyra, fondé en 2024 par l’Académie autrichienne des sciences (ÖAW), développe une approche complémentaire au programme AlphaFold.
Michael Bronstein, chercheur en informatique et directeur d’Aithyra, a récemment franchi une nouvelle étape dans la conception de médicament, grâce à un tout nouveau algorithme d’IA. Son approche repose sur l’observation des interactions protéiques. Lorsqu’elles interagissent, les protéines forment de nouvelles zones de liaison, appelées « néosurfaces », qui modifient leur forme et leur fonction. L’IA permet ici de prédire de petites molécules capables de se fixer précisément à ces néosurfaces et ainsi moduler l’interaction entre les protéines, en la renforçant ou en la bloquant.
Dans une étude publiée en janvier 2025, son équipe est même parvenue à contrôler totalement cette interaction : la molécule agit alors comme un véritable interrupteur, qu’on peut activer ou désactiver à la demande. Cette approche pourrait ainsi révolutionner les thérapies de précision, telles que les traitements CAR-T, qui visent à cibler très finement les cellules tumorales.

L’IA en radiologie : transparence et lutte contre les biais

L’IA trouve également des applications concrètes en radiologie, où elle améliore la rapidité et la fiabilité des diagnostics, tout en réduisant l’exposition aux rayonnements. À l’Université de médecine de Graz, l’équipe de Sebastian Tschauner développe des algorithmes d’IA pour l’imagerie pédiatrique qui permettent de réduire le temps d’examen et l’exposition aux rayonnements.

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Grâce à des algorithmes avancés, l’intelligence artificielle analyse les images médicales avec une précision accrue

Néanmoins, ces technologies présentent des limites, notamment en cas de données rares ou atypiques. En effet, dans le domaine pédiatrique, la sous-représentation des enfants dans les jeux de données entraîne des biais et affecte la précision des diagnostics.

Pour lutter contre ces biais structurels, de nombreux chercheurs, comme Claudia Plant, professeure à l’Université de Vienne, plaident pour des approches plus transparentes et compréhensibles. Cette dernière explore notamment des méthodes d’apprentissage non supervisé dans lesquelles l’IA n’impose pas de catégories prédéfinies, mais organise librement les données. Cela permet de faire émerger des corrélations inattendues et parfois invisibles dans les approches classiques, et donc de limiter l’impact des biais humains.

Elle travaille aussi sur des modèles d’IA explicable (Explainable AI), capables de justifier leurs prédictions. Cette transparence est essentielle pour garder le contrôle sur les décisions de l’IA et comprendre les mécanismes qui les sous-tendent. Dès lors, l’expertise humaine reste indispensable pour interpréter les résultats, corriger les biais et intégrer l’IA de manière éthique et responsable au sein des équipes de recherche, comme c’est déjà le cas dans le laboratoire de Christoph Bock.

Finalement, l’intelligence artificielle ne remplace pas la recherche scientifique, mais en devient un outil précieux et complémentaire. En Autriche, les universités et centres de recherche ont su saisir son potentiel, notamment dans le domaine biomédical, en l’intégrant à leurs programmes scientifiques. Ce développement marque le début d’une nouvelle ère, moins marquée par l’hyperspécialisation, dans laquelle les chercheurs pourront se recentrer sur la formulation des hypothèses, l’analyse des résultats et l’avancement du progrès scientifique.

Comme le résume Claudia Plant : « L’IA a des forces et des faiblesses très différentes de celles des humains : elle ne se fatigue pas avec de grandes quantités de données, mais elle n’a pas de compréhension du monde – les deux se complètent donc très bien »

Sources :
> „KI könnte Krebstherapien revolutionieren“, Der Standard : https://www.derstandard.at/story/3000000259968/ki-koennte-krebstherapien-revolutionieren
> „ChatGPT für biomedizinische Simulationen geeignet“, CeMM und MedUni Wien : https://cemm.at/fileadmin/user_upload/PA_DE_Bock_Sch%C3%A4fer-Computers_in_Bio._and_Med..pdf
> „Kann man KI in der Wissenschaft trauen ?“, Der Standard : https://www.derstandard.at/story/3000000260240/kann-man-ki-in-der-wissenschaft-trauen
> „Chemienobelpreis ehrt Vorhersage von 3D-Proteinstrukturen“, Der Standard : https://www.derstandard.at/story/3000000239911/chemie-nobelpreis-ehrt-vorhersage-von-3d-proteinstrukturen
> „Ambitioniertes Forschungsinstitut für KI in der Biomedizin in Wien gegründet“, Der Standard : https://www.derstandard.at/story/3000000237056/ambitioniertes-forschungsinstitut-fuer-ki-in-der-biomedizin-in-wien-gegruendet

Rédactrice :
Auregan Labrune, auregan.labrune[at]diplomatie.gouv.fr - https://at.ambafrance.org/