Ciseaux génétiques : comment le génie génétique moderne peut aider à pallier les effets de la crise climatique

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Autriche

Autriche | Agronomie et alimentation
16 décembre 2021

L’augmentation des événements météorologiques catastrophiques ne suffit plus à montrer à quel point les effets du changement climatique sont déjà concrets et menaçants. L’approvisionnement en denrées alimentaires de base est également confronté à des défis massifs face à la hausse des températures. Une étude récente publiée dans la revue spécialisée Nature Food conclut que le réchauffement climatique a déjà des répercussions dans le domaine de l’agriculture : les sécheresses et les modifications pluviométriques devraient entrainer des baisses de rendement dans de nombreuses régions du monde ces vingt prochaines années. Par exemple, le rendement des récoltes de maïs (l’un des aliments de base les plus consommés dans le monde) devrait nettement s’affaiblir sur cette période. Il faut également s’attendre à des baisses pour le riz et le soja.

Cependant, la science dispose de nouveaux outils qui permettent de modifier génétiquement les plantes et de les adapter à de nouvelles conditions plus rapidement et plus précisément qu’auparavant. Parmi ces outils, nous pouvons citer les ciseaux génétiques CRISPR/Cas9, qui semblent avoir en effet un énorme potentiel d’application pour la sélection végétale. Pourtant, de telles méthodes ne sont toujours pas acceptées par de larges pans de la société et du monde politique.

"Nous devrions rapidement surmonter les préjugés largement répandus, car ces technologies offrent un grand potentiel pour contribuer à la durabilité et à la résilience de l’agriculture", a déclaré au Standard Matin Qaim, professeur d’économie agricole à l’université de Bonn. En effet, les ciseaux génétiques innovent par rapport au génie génétique classique dans leur précision. Ils permettent de désactiver ou d’introduire de manière ciblée certains gènes ou de déclencher des modifications dans le patrimoine génétique qui ne peuvent être distinguées des mutations naturelles.

Un autre grand avantage des ciseaux génétiques est également leur utilisation relativement simple et peu coûteuse. "Ce que je trouve si fascinant dans l’utilisation de CRISPR en agriculture, c’est qu’il s’agira à mon avis d’un outil de démocratisation", a déclaré Jennifer Doudna au Standard. Cette biologiste moléculaire de l’Université de Berkeley en Californie a en effet reçu en 2020 le prix Nobel de chimie avec la française Emmanuelle Charpentier pour la découverte de ce mécanisme moléculaire. Doudna explique également que cette technologie peut également être rendue accessible aux petits agriculteurs. Cela permettrait ainsi de s’attaquer localement aux problèmes causés par le changement climatique ou aux maladies végétales qui doivent souvent être combattues avec des pesticides agressifs.

La biologiste moléculaire Ortrun Mittelsten Scheid, de l’Institut Gregor Mendel de l’Académie autrichienne des sciences à Vienne, souligne elle aussi l’énorme potentiel des ciseaux génétiques : elle parle d’une véritable révolution dans le domaine de la biologie végétale : "La liste des plantes cultivées aux propriétés améliorées après l’utilisation des ciseaux génétiques s’allonge chaque mois".

Cependant, en Europe, des réglementations juridiques restrictives semblent s’opposer à des progrès scientifiques dans le domaine du génie génétique. À la suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en 2018, toutes les plantes cultivées à l’aide des ciseaux génétiques doivent être soumises à des directives strictes en matière de génie génétique. Cela s’applique même si aucun organisme transgénique n’a été créé, c’est-à-dire qu’aucun gène étranger à l’espèce ne se retrouve dans la plante. Au sein de la communauté scientifique, ce jugement a suscité une grande incompréhension. "Cette distinction n’est pas scientifiquement défendable, elle n’est qu’une prise en compte des sensibilités politiques et sociales", critique Mittelsten Scheid. Pour la biologiste moléculaire, il est urgent de débattre. "Nous ne devrions plus nous demander quelles pourraient être les conséquences de l’utilisation de CRISPR, mais ce qui se passerait si nous n’utilisions pas cet outil. C’est de l’inconscience que de ne pas mener ce débat". Les critiques des scientifiques semblent avoir été entendues par la Commission européenne, et les ciseaux génétiques reviennent désormais sur le devant de la scène. En effet, Jennifer Doudna est récemment intervenue lors d’un événement en ligne sur l’édition du génome dans le monde, co-organisé par le Parlement européen : il s’agissait de savoir ce que l’UE pouvait apprendre de la législation d’autres pays sur ce sujet.

L’Autriche reste traditionnellement sceptique sur de telles questions. L’enquête Eurobaromètre sur les connaissances et perception des citoyens européens en matière de science et de technologie, publiée en septembre dernier, ne montre pas seulement le scepticisme général à l’égard de la science dans ce pays : en effet, pas moins de 40% des personnes interrogées en Autriche voient surtout des effets négatifs de la biotechnologie et du génie génétique dans les décennies à venir. Il s’agit de la valeur la plus élevée de l’UE.

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© Eurobarometer 516

Pour en savoir plus :

Sources :

Rédactrice : Kalina Esmein, kalina.esmein[at]diplomatie.gouv.fr - https://at.ambafrance.org/