Biologie de l’évolution : une étude menée par une équipe franco-autrichienne démontre la convergence évolutive des mammifères à l’aide de l’oreille interne

Partager
Autriche

Actualité
Autriche | Science de la terre, de l’univers et de l’environnement : énergie, transports, espace, environnement
9 janvier 2025

Des mammifères ayant des liens de parenté distants mais des rôles écologiques similaires ont développé des formes d’oreille interne comparables. C’est ce que révèle une étude récemment publiée dans la prestigieuse revue Nature Communications, financée par le Fonds autrichien pour la science (FWF) et dirigée par une équipe franco-autrichienne : Anne Le Maître, chercheuse française associée au laboratoire PALEVOPRIM de l’Université de Poitiers et actuellement affiliée à l’Institut Konrad Lorenz (KLI) de Klosterneuburg, en Autriche, et par Nicole Grunstra, de l’Université de Vienne.


L’équipe de recherche a démontré qu’un groupe de mammifères apparentés mais très divergent, connu sous le nom d’Afrotheria, et des mammifères très éloignés en termes de liens de parenté mais écologiquement très semblables, ont évolué de manière indépendante vers des formes d’oreille interne similaires. L’étude par l’équipe franco-autrichienne suggère que l’évolution neutre (non adaptative) pourrait jouer un rôle moins important dans la morphologie de l’oreille interne que ce que les travaux récents ne laissaient supposer et offre ainsi un nouvel éclairage sur cette question.

Composée de biologistes de l’évolution et de paléontologues, l’équipe a étudié la forme de l’oreille interne chez les Afrotheria, comme par exemple l’éléphant ou le lamantin. Les chercheurs ont comparé la forme de leur oreille à celle d’autres mammifères analogues sur le plan de l’anatomie, de l’écologie et/ou du comportement locomoteur, mais qui ne leur sont apparentés que de très loin, comme les rongeurs, ou les dauphins. « Nous avons constaté que la forme de l’oreille interne est plus similaire entre les espèces analogues qu’entre les espèces non analogues, même lorsque ces dernières partagent un ancêtre commun plus récent et sont donc plus étroitement apparentées » , explique Nicole Grunstra. L’étude a également mis en évidence des formes d’oreilles similaires chez d’autres espèces éloignées ayant le même environnement ou la même stratégie alimentaire. « Nous avons également pu montrer que des mammifères similaires sur le plan éco-morphologique ont évolué vers des formes d’oreilles similaires en tant qu’adaptation à des niches écologiques ou à des locomotions communes, plutôt que par hasard », interprète Anne Le Maître, autrice principale de l’étude. Il s’agit là d’une preuve solide de convergence évolutive, un processus au cours duquel des formes ancestralement différentes évoluent indépendamment pour devenir similaires en raison de pressions de sélection partagées, ainsi soumises aux mêmes contraintes environnementales.

Illust:103.6 ko, 690x462

Les lamantins sont des mammifères afrothériens et strictement aquatiques. Ils n’ont qu’une parenté très lointaine avec les cétacés (baleines et les dauphins). Les lamantins et les cétacés ont adopté un mode de vie aquatique indépendamment les uns des autres, car leur dernier ancêtre commun était terrestre. © Pixabay

Pour conclure, cette nouvelle étude semble contredire des travaux récents sur les oiseaux, les reptiles et certains mammifères qui avaient mis en doute l’importance des processus adaptatifs dans les variations de forme de l’oreille interne chez les vertébrés. L’oreille des mammifères présenterait une plus grande « évolvabilité », c’est-à-dire la capacité intrinsèque à évoluer de manière adaptative, en ayant acquis plusieurs composants supplémentaires au cours de l’évolution. Cette évolvabilité accrue de l’oreille pourrait avoir facilité l’adaptation rapide à de nouveaux environnements et comportements locomoteurs au cours de l’évolution des mammifères.

Sur le parcours d’Anne Le Maître

Depuis 2024, elle a rejoint l’Institut Konrad Lorenz pour la recherche en évolution et en cognition (KLI) à Klosterneuburg, près de Vienne, pour travailler sur le concept d’évolvabilité – c’est-à-dire la capacité à évoluer en s’adaptant – appliqué à l’oreille des mammifères et des oiseaux. Son travail se situe à l’intersection entre biologie évolutive, paléontologie et anthropologie biologique. Elle s’intéresse également à l’histoire de ces disciplines et aux relations entre science et société. Parallèlement à ses activités de recherche, elle participe activement à diverses initiatives visant à promouvoir l’équité, la justice et la démocratie dans les institutions de recherche et dans la société. Elle est également membre du conseil d’administration de la Société d’Anthropologie de Paris et rédactrice-en-chef de sa revue, les BMSAP. Agrégée en sciences de la vie et de la Terre, Anne Le Maître est une ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Lyon, de l’Université de Poitiers. De 2017 à 2023, elle a travaillé avec Philipp Mitteröcker au département de biologie théorique de l’Université de Vienne, pour comprendre les causes biologiques des variations de formes à l’échelle d’une espèce et entre espèces.

Publication originale :
Grunstra, NDS, Hollinetz, F, Bravo Morante, G, Zachos, FE, Pfaff, C, Winkler, V, Mitteroecker, P & Le Maître, A. (2024). Convergent evolution in Afrotheria and non-afrotherians demonstrates high evolvability of the mammalian inner ear. Nature Communications 15, 7869.

Rédactrice : Emeline Ogereau, emeline.ogereau[at]diplomatie.gouv.fr - https://at.ambafrance.org