Nouvel épisode massif de blanchissement de la Grande Barrière de Corail

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26 juin 2020

Un nouvel épisode massif de blanchissement inquiète pour l’avenir proche du plus grand récif du monde. Il s’agit du troisième épisode de blanchissement massif en cinq ans seulement, plus étendu que les précédents, touchant pour la première fois les trois régions du récif (nord, centre, et sud). Si les récifs coralliens peuvent se rétablir, il est difficile de prévoir leur taux ainsi que leur vitesse de récupération.

Cette annonce fait suite à l’étude de 1 036 récifs par voie aérienne en mars 2020 par le Centre d’excellence ARC pour les études sur les récifs coralliens de l’Université James Cook (Centre of Excellence for Coral Reef Studies), après que la température de la surface de l’eau ait atteint la plus haute valeur jamais mesurée pour un mois de février depuis le début des mesures en 1900 selon l’Australian Bureau of Meteorology.

Les données suggèrent que cet évènement pourrait être le plus grave des cinq évènements de blanchissement massif après celui de 2016. Pour confirmer cela, un facteur clé pour décrire sa gravité est le taux de mortalité des coraux, et pas seulement la quantité de blanchissement. Cependant, en raison de contraintes opérationnelles dues au COVID-19, il est probable que moins de données sur les taux de mortalité/récupération des coraux puissent être recueillies par la suite.

Le premier blanchissement massif enregistré le long de la Grande Barrière de Corail s’est produit en 1998, où des températures anormalement élevées avaient été observées à large échelle, causant la mort de 16% des récifs dans le monde. D’autres blanchissements massifs du site ont eu lieu depuis, en 2002, 2006, 2016, 2017 et maintenant en 2020, également causés par des températures de surface de la mer exceptionnellement chaudes pendant la saison estivale (thermal bleaching). Plus rare, deux blanchissements moins importants (en 2008 et en 2011) ont été causé par un afflux d’eau douce faisant suite à des précipitations extrêmement élevées dans le Queensland (‘freshwater bleaching’). L’écart entre les épisodes de blanchissement se réduit, ce qui empêche un rétablissement complet du récif, en particulier lors de blanchissements consécutifs – premier exemple au cours des étés 2016 et 2017.

Le blanchissement et ses conséquences sur l’écosystème récifal

Ce blanchissement a pour origine la rupture de la symbiose entre le corail (hôte) et un type d’algue unicellulaire, communément appelée zooxanthelle. Ces algues vivent normalement à l’intérieur des cellules du corail et l’aide à vivre, apportant jusqu’à 90 % de l’énergie nécessaire à son métabolisme en transformant l’énergie lumineuse en énergie chimique par photosynthèse. Cet équilibre est fragile et dépend de nombreux paramètres. Parmi eux, la frontière entre les effets bénéfiques et nocifs de la température est étroite, et au-delà d’une certaine valeur (variable selon les espèces de coraux) celle-ci altère l’activité chimique des algues, provoquant des dommages aux cellules de l’hôte. Lorsque ce stress est trop important, les coraux expulsent de manière massive les zooxanthelles. Celui-ci, et à plus large échelle, le récif, perd alors sa coloration et devient transparent, rendant visible son squelette calcaire. Les coraux ont la capacité d’y survivre, mais sont très affaiblis : croissance ralentie, diminution de leur reproduction et prédisposition aux maladies.

La mort des récifs amène à un effondrement de l’écosystème en place sur le long terme, réduisant la surface disponible, en termes d’abri et de nourriture, pour les communautés de poissons et d’autres organismes associées. Outre le coût écologique fort, cette menace a également un coût socioéconomique sur plusieurs industries humaines, comme la pêche et le tourisme. Soulignons que la taille même de la Grande Barrière de Corail a toujours été l’un de ses principaux atouts en termes de résilience, mais à mesure que la zone de blanchissement s’étend, que les évènements s’intensifient et se répètent, avec des délais entre les épisodes de blanchissement qui se raccourcissent, on craint que la résilience naturelle du récif ne soit compromise.

Une histoire sous surveillance

Depuis 30 ans l’Institut Australien des Sciences Marines (AIMS) finance un programme de surveillance à long terme de la Grande Barrière de Corail, parle suivi de 47 récifs semi-hauturiers et de haute mer. Ce travail représente le plus long enregistrement continu de la santé des communautés de récifs sur une si grande zone géographique.

Des plongées successives étudient, le long des mêmes sections de récif, les populations de poissons par recensement visuel et enregistrent l’état des coraux et autres organismes. Un volet distinct surveille les effets du plan de re-zonage (classification des aires terrestres et marines en fonction de la protection à assurer) de 2004.

Deux autres programmes étudient également depuis 2005 les récifs côtiers (pouvant être atteints du rivage par un petit bateau, 32 points d’étude), qui sont plus vulnérables aux menaces que ceux qui sont plus éloignés du rivage, ainsi que depuis 1994 le récif de Scott (Nord-Ouest de l’Australie, depuis 1994), du fait de son isolement par rapport aux autres récifs.

Ces données documentent les effets des perturbations, telles que les épidémies d’étoiles de mer à couronne d’épines, les maladies du corail, les cyclones et les phénomènes de blanchissement. Les résultats de ce suivi sont régulièrement communiqués, ce qui permet leur utilisation pour des analyses approfondies dans de nombreuses publications scientifiques.
 
Des bulletins d’information semestriels sont disponibles en anglais sur le site de la GBRMPA (Great Barrier Reef Marine Park Authority) du gouvernement.

Chronologie des derniers évènements

Au fur et à mesure des épisodes, le nombre de récifs ayant échappé à un blanchissement sévère continue de diminuer. Ces récifs sont situés au large, dans le grand nord et dans des régions éloignées du sud.

Le nord a été la région la plus touchée en 2016 (mort de plus de 50% des coraux sur cette section, et de 22% des coraux sur le long du site entier), suivie par la région centrale en 2017. En 2020, l’empreinte cumulée du blanchissement s’est encore étendue pour inclure le sud.

Le plus récent rapport annuel, pour la période 2018-2019, indique un déclin de la couverture de corail dur à des niveaux modérés (10 à 30 %) sur le site au cours des cinq dernières années :
La couverture de coraux dans la région nord a légèrement augmenté, passant de 11 % en 2017 à 14 % en 2019, mais reste proche des niveaux les plus bas enregistrés. Cet état reflète les effets cumulés des cyclones et des épisodes de blanchissement. À ce jour, la reprise a été limitée.
Les récifs de la partie centrale ont subi une perte importante en raison du cyclone tropical Debbie en 2017 et de la poursuite de la propagation vers le sud des épidémies d’étoiles de mer à couronne d’épines. La couverture moyenne en coraux a légèrement diminué, passant de 14 % en 2018 à 12 % en 2019.
Les récifs du Sud ont échappé à des perturbations majeures de 2009 à 2017, date à laquelle une grave invasion d’étoiles de mer a commencé et s’est poursuivie jusqu’en 2019. Dans l’ensemble, la couverture corallienne moyenne a continué à diminuer, bien que légèrement, passant de 25 % en 2018 à 24 % en 2019.

En parallèle de ces observations, un rapport publié dans la revue Nature le 3 avril 2019 constatait que les nouvelles naissances de corail ont chuté de 89 % en 2018, conséquence directe des blanchissements successifs de 2016 et 2017. L’écosystème récifal sera réorganisé à long terme si la tendance se poursuit, les chercheurs ayant également constaté que le mélange des espèces qui composent la nouvelle génération de coraux avait changé de manière spectaculaire : les Acropora, les coraux ramifiés qui sont les espèces dominantes et constituent la structure du récif, ont par exemple diminué de 93 %. Certaines espèces devraient nécessiter jusqu’à deux décennies pour récupérer leurs capacités de reproduction.

Si la structure du récif devient moins tridimensionnelle et complexe, l’habitat et les sources de nourriture sont réduits, et cela a des répercussions sur la chaîne alimentaire au sens large. Ainsi la diversité des poissons et des autres formes de vie marine est susceptible de diminuer au fur et à mesure de la transition, de façon plus rapide que prévu. Le blanchissement de 2020 pourrait malheureusement confirmer cette trajectoire.

Annonces du gouvernement

L’Etat fédéral craint de voir le Comité du Patrimoine Mondial (UNESCO) ajouter la Grande barrière de Corail sur la liste des sites « en danger » lors de sa 44e session en juillet 2020 (actuellement reportée à une date ultérieure à cause du COVID-19). Celui-ci devra examiner l’état général de conservation du site ainsi que l’efficacité de la stratégie présentée par l’Australie en 2015 pour le protéger. Echelonné sur 35 ans, ce plan de durabilité à long terme, le Reef 2050 Plan, pour un montant de 2,7 milliards de dollars en collaboration avec le gouvernement du Queensland, associe stratégie d’investissement (R&D) ainsi qu’avancées législatives.

L’état préoccupant de la Grande Barrière de Corail, ainsi que des conditions risquant de compromettre sa santé à long terme, telles que le changement climatique, les activités minières (extraction du charbon), le développement côtier, la pollution par le ruissellement agricole, les activités de transport maritime et la pêche illégale, constituent une menace sur le potentiel touristique du site le plus emblématique d’Australie, dont dépendent plus de 64 000 emplois directs et indirects.

Ainsi, la ministre fédérale de l’environnement Sussan Ley a annoncé le 16 avril 2020 le lancement de la phase R&D du programme de restauration et de résilience des récifs, le RRAP (Reef Restoration and Adaptation Program) chargé de mettre en œuvre le Reef 2050 Plan, pour un montant initial de 150 millions de dollars. Cette phase fait suite à l’approbation par le gouvernement d’une étude de deux ans, menée par l’Institut Australien des Sciences Marines (AIMS), sur 160 méthodes proposées pour aider les récifs. Parmi elles, 43 ont été identifiées comme techniquement réalisables, efficaces, sûres et abordables, justifiant des recherches et des investissements supplémentaires. Les propositions comprennent le "blanchiment des nuages", qui consiste à pulvériser de l’eau de mer fine dans l’air pour renvoyer la chaleur et réduire la température de l’eau ; l’élevage et la dispersion de coraux plus résistants à la chaleur (crossbreeding) ; et l’examen des moyens de collecter et de congeler les larves de corail pour les utiliser dans l’ensemencement des coraux tout au long de l’année.

Pour cela, un consortium composé de l’AIMS (dont le National Sea Simulator jouera un rôle essentiel pendant la phase de R&D sur la restauration et l’adaptation des récifs), du CSIRO, de l’université du Queensland, de l’université de technologie du Queensland, de l’université James Cook, de l’université Southern Cross et de la Fondation de la Grande Barrière de Corail (Great Barrier Reef Foundation) travaillera en étroite collaboration avec l’Autorité du parc marin de la Grande Barrière de Corail.

Paul Hardisty, directeur général de l’AIMS, a déclaré qu’il était peu probable qu’une méthode à elle seule puisse conduire au succès, "il s’agira d’une combinaison de mesures appliquées à différentes échelles dans différents domaines qui vont travailler ensemble pour réussir à renforcer la résilience".

Un facteur clé est l’ampleur du défi, avec 3000 récifs sur 344 000 kilomètres carrés (soit une surface supérieure au Victoria et à la Tasmanie combinée) précise l’envoyé du gouvernement fédéral pour les récifs, Warren Entsch. Le gouvernement espère des retombées positives de ces investissements, sur les plans environnement et social, mais aussi financier (exportation des technologies en développement vers les récifs en difficulté dans le monde entier).

Et de conclure, "il faut s’attaquer aux émissions, sinon les efforts déployés pour renforcer la résilience seront vains". En effet, si ces idées pourront permettre de gagner du temps, de nombreuses voix appellent à des réductions urgentes et drastiques des émissions de gaz à effet de serre comme seul moyen de sauver efficacement les coraux. La crédibilité du plan de sauvegarde dépendra des choix du gouvernement australien face au changement climatique.