Etat des lieux et perspectives de l’ingénierie climatique en Allemagne et en Europe

Partager
Allemagne

Rapport
Allemagne | Science de la terre, de l’univers et de l’environnement : énergie, transports, espace, environnement
21 août 2015

L’ingénierie climatique (IC) a été l’objet une actualité importante en Allemagne avec la tenue d’un symposium scientifique international du 7 au 10 juillet 2015 et la publication du rapport européen d’évaluation de l’ingénierie climatique, EuTRACE, le 15 juillet 2015 à l’académie des sciences du Brandebourg (Berlin). Par ailleurs, le service pour la science et la technologie de l’ambassade de France en Allemagne s’est rendu à l’Institut d’études avancées en développement durable (IASS) de Potsdam (Brandebourg) pour discuter avec l’auteur principal du rapport EuTRACE, M. Stefan Schäfer, ainsi qu’avec d’autres experts, MM. Peter Irvine et Andrew Parker. Ce rapport propose une synthèse des informations recueillies au cours de ces évènements et de ces entretiens, mais aussi des informations issues d’une recherche bibliographique, pour définir un état des lieux de l’ingénierie climatique et de ses perspectives.

Ce rapport est disponible au format .pdf sur le lien suivant : http://www.science-allemagne.fr/fr/wp-content/uploads/2015/07/Rapport-geoingenierie1.pdf

1) Qu’est-ce que l’ingénierie climatique ?

1. Définition

L’ingénierie climatique (IC ou géoingénierie) est un terme général se référant à une large palette de technologies qui pourraient potentiellement être utilisées pour contrecarrer le changement climatique soit en modifiant directement le climat, soit en faisant des interventions ciblées dans la composition de l’atmosphère, ce sans chercher à réduire les émissions anthropogéniques de gaz à effet de serre.
Dans la littérature anglophone on retrouve les termes de Climate Engineering (CE) et de Geoengineering employés indifféremment pour le même concept.

2. Distinction "Solar Radiation Management" (SRM) / "Carbon Dioxyde Removal" (CDR)

L’IC recouvre deux catégories de technologies différentes :

  • Les technologies de modification de l’albédo de la terre (SRM, de l’anglais Solar Radiation Management, gestion des radiations solaires). L’objectif est d’augmenter le pouvoir réfléchissant de la terre afin que davantage de radiations solaires soient renvoyées dans l’espace et ainsi faire diminuer la température du globe.
  • Les technologies d’élimination du dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère (CDR, de l’anglais Carbon Dioxyde Removal) qui visent à séquestrer le CO2 et à ainsi faire diminuer sa concentration dans l’atmosphère pour limiter l’effet de serre.

Il est nécessaire de distinguer ces deux catégories lorsque l’on parle d’IC, car celles-ci ont peu en commun d’un point de vue technique. Certains scientifiques ne se concentrent ainsi que sur l’un ou l’autre de ces domaines.

2) Revue des concepts existants

Le Bureau pour l’évaluation des impacts de la technologie du parlement allemand (TAB) a classifié les différents concepts de l’IC en fonction du type de technologie et de la portée de son impact.

Illust: Classification (...), 25.4 ko, 781x302
Classification des concepts de l’ingénierie climatique

Classification des concepts de l’ingénierie climatique


Ambassade de France en Allemagne
Illust: Illustration de (...), 35.6 ko, 573x326
Illustration de plusieurs concepts d’ingénierie climatique (Source : U.S. Government Accountability Office - http://www.gao.gov/products/GAO-11-71)

Illustration de plusieurs concepts d’ingénierie climatique
(Source : U.S. Government Accountability Office - http://www.gao.gov/products/GAO-11-71)

A) Bioénergie avec séquestration du carbone (CDR)

Le BECCS (Bioenergy with Carbon Capture Storage) nécessite le couplage de deux types de technologies : d’une part la valorisation énergétique de la biomasse (biocarburants ou méthanisation), déjà existante, d’autre part, la séquestration du carbone dans le sous-sol, technologie encore en cours de développement.

Les plantes absorbent le CO2 de l’air ambiant pour croître par photosynthèse. Si en fin de cycle de la biomasse, le dioxyde de carbone émis lors de la combustion du biogaz est capté et séquestré dans des couches géologiques, le bilan carbone est négatif.

Ce concept prometteur est cependant limité par la quantité de biomasse disponible. Le potentiel sur le long terme est estimé entre 2,5 et 10 Gt CO2/an qui pourraient être retirées de l’atmosphère (à titre de comparaison, les émissions mondiales actuelles sont d’environ 30-35 Gt CO2/an). Cependant, opérer dans la fourchette haute nécessiterait un recours accru aux cultures énergétiques (par exemple au maïs et au colza pour la synthèse de bioéthanol ou la méthanisation) au détriment de la production alimentaire.

B) Biocharbon (CDR)

En transformant de la biomasse en biocharbon via un processus de pyrolyse, il est possible de stabiliser le carbone sur le long terme. Ce biocharbon peut ensuite être enfoui dans des sites de stockage ou être utilisé comme intrant pour l’agriculture où il peut enrichir des sols peu fertiles.

La variété du type de biomasse utilisable (paille, bois, restes alimentaire, etc.) rend cette technologie prometteuse pour la gestion des déchets. Le potentiel maximal estimé est de 3,5 Gt CO2/an qui pourraient être éliminées. D’un point de vue agronomique, le déploiement d’une telle technologie aurait aussi des effets positifs sur les rendements des cultures.

C) Précipitation du CO2 de l’air ambiant (CDR)

Le CO2de l’air ambiant pourrait être adsorbé par des solides ou absorbé dans des solutions. Cependant la faible concentration du CO2 dans l’air (0,04% de l’air) limiterait fortement l’impact d’une telle technologie et son efficacité.

Un déploiement massif pourrait permettre de retirer plusieurs Gt de CO2/an. Cependant le prix élevé et les conflits d’usages avec les sols pourraient limiter le développement de cette technologie. Elle pourrait toutefois viser des marchés de niche (zones industrielles fortement polluées par exemple). On citera l’entreprise canadienne "Carbon Engineering" qui propose une technologie permettant d’absorber le CO2 de l’air ambiant afin de s’en servir pour produire des carburants.

D) Mesures de boisements (CDR)

Les forêts, par photosynthèse, constituent d’importants puits de carbone. Leur extension pourrait permettre de compenser les émissions anthropogéniques de carbone. Il faudrait tout d’abord mettre un terme à la déforestation en cours dans certaines régions du globe (Indonésie, Brésil). Par ailleurs, le boisement rentrerait en concurrence avec l’utilisation des terres arables nécessaires pour répondre aux besoins mondiaux accrus en biomasse alimentaire et énergétique. Le potentiel de mesures de boisement est estimé entre 1,5 et 3 Gt CO2/an.

Il existe des concepts ambitieux de boisement massif de zones arides comme le Sahara. En introduisant l’eucalyptus sur la totalité de sa superficie, il serait possible de créer un puits de carbone capable d’absorber la totalité des émissions anthropogéniques annuelles (35 Gt CO2/an). Cependant, les besoins en eau seraient gigantesques et les écosystèmes autochtones seraient détruits, tandis que le climat global subirait de nombreux effets, dont une modification des précipitations qui pourrait avoir des répercussions négatives sur les systèmes socioéconomiques des populations voisines.

Des mesures de reforestation et de boisement locales sont appelées à jouer un rôle important dans les décennies à venir, en particulier sur le marché des crédits carbones. L’échelle de ce déploiement est cependant difficile à déterminer et pourra osciller entre des projets de quelques hectares et des surfaces couvrant plusieurs centaines de milliers de km2.

E) Ensemencement des océans (CDR)

Les océans absorbent une grande quantité de carbone via la biologie marine. Cependant certaines parties de l’océan disposent d’écosystèmes moins développés quant à la quantité de biomasse, et absorbent ainsi moins de CO2. En enrichissant ces eaux en fer (Ocean Iron Fertilization, OIF), il serait possible de stimuler le développement du phytoplancton et d’amplifier l’effet pompe à carbone.

Treize expériences en mer ont déjà été effectuées depuis les années 1990. Les résultats ont montré la faisabilité de la technique, mais avec des complications importantes : seules certaines zones seraient adaptées, comme l’océan austral. Par ailleurs, le potentiel de ces zones s’élèverait à tout juste 0,5 Gt CO2/an, tandis que les infrastructures nécessaire au déploiement de cette technique seraient colossales (navires, quantités de fer importantes, suivi du développement des écosystèmes). Ces raisons font que cette option est perçue comme obsolète par la communauté scientifique.

F) Accroissement du pouvoir réfléchissant de la terre (SRM)

Pour limiter l’absorption des radiations solaires par les couches inférieures de l’atmosphère, il est possible de modifier l’albédo du sol dans certaines zones. Si les impacts des constructions humaines seraient négligeables, une modification de la réflectivité des déserts et de la végétation pourrait avoir des effets plus importants.

Le déploiement de feuilles d’aluminium modifiées sur l’intégralité des déserts terrestres pourraient induire un forçage radiatif global d’environ -2 W/m2. A titre de comparaison le forçage radiatif induit par l’homme est actuellement d’environ +1,6 W/m2 d’après le GIEC (2007) mais devrait encore augmenter au cours du siècle.

L’accroissement de l’albédo de la végétation pourrait également avoir un potentiel allant jusqu’à -0,9 W/m2 au niveau global. Cependant le déploiement à grande échelle de nouvelles variétés de plantes peut s’avérer problématique, tandis que la récolte provoquerait des variations saisonnières d’albédo, et en conséquence, du climat. L’impact sur la qualité des sols reste à évaluer. Cela pourrait affecter son humidité et donc son rendement.

G) Injections d’aérosols dans la stratosphère (SRM)

L’injection de particules dans la stratosphère (à partir de 20 km) pourrait permettre d’amplifier la réflexion des radiations solaires incidentes et d’ainsi diminuer la température à la surface. Cela pourrait se faire par la dispersion de précurseurs tels que le dioxyde de soufre (SO2) ou de sulfure d’hydrogène (H2S).

Ce concept est perçu comme l’un des plus efficaces et des plus sûrs de l’IC à l’heure actuelle, les chercheurs se basant sur les expériences grandeur nature que représentent les éruptions volcaniques avec dispersion de cendres. D’importantes quantités de données sont disponibles sur les effets secondaires, aussi bien à l’échelle de temps géologique que pour les cas d’éruptions contemporaines. Les recherches sur la faisabilité technique sont ainsi parmi les plus avancées de l’IC. Ainsi selon la quantité d’aérosols injectée, il serait possible d’induire un forçage radiatif compris entre -0,5 et -4W/m2.

Selon si cette technique était utilisée au niveau global (déploiement d’avions sur toute la surface de la planète) ou via des points d’injections localisés (comme pour les volcans), le refroidissement induit pourrait s’avérer inégal. D’autant que les mécanismes climatiques pourraient, quel que soit les efforts technologiques déployés, concentrer les effets sur certaines zones

H) Manipulation des nuages (SRM)

Plusieurs techniques modifiant les nuages sont envisagées : l’ensemencement des nuages marins à l’aide d’aérosols afin de renforcer leur albédo et d’allonger leur durée de vie. Dans le cas d’un ciel vide de nuage, la dispersion de particules volatiles de sel marin dans l’air pourrait avoir des effets similaires.

Cette technique pourrait atteindre un forçage radiatif global net compris entre -1.7 et -5,1 W/m2, suffisant pour couvrir le forçage radiatif anthropogénique. L’estimation haute est en relation avec l’importante surface qui pourrait être concernée (17,5% du globe). Cependant le coût économique serait énorme : les estimations varient entre 1 500 et 16 000 navires nécessaires selon l’ampleur du réchauffement anthropogénique futur à compenser. Par ailleurs, les technologies d’injection localisées d’aérosols sont inexistantes et leur faisabilité technique n’est pas acquise. Enfin les cycles hydrologiques seraient perturbés et les effets secondaires restent difficiles à évaluer.

Une autre possibilité de modification des nuages serait de cibler les cirrus dans la haute atmosphère par un ensemencement avec des noyaux glacigènes. L’effet de serre induit par ces nuages pourrait être diminué jusqu’à l’équivalent d’un forçage radiatif d’environ -2,7 W/m2. Cependant les mêmes problèmes d’infrastructures se posent que pour les nuages marins liés au coût du déploiement massif d’avions. Par ailleurs, cette technique requiert une gestion fine de l’ensemencement, lequel, s’il était trop important, pourrait avoir un effet inverse et entrainer un réchauffement accéléré plutôt qu’un refroidissement.

Il est à noter que l’ensemencement des nuages se pratique depuis longtemps à l’échelle régionale. On citera ainsi l’opération Popeye au Vietnam, les expériences menées par le Bureau de modification météorologique chinois ou encore les récentes expérimentations du Centre national de météorologie et de sismologie des Emirats arabes unis pour disperser les nuages et faire pleuvoir précocement.

I) Déploiement de miroirs spatiaux (SRM)

Mentionné régulièrement, l’état de l’art de l’aérospatial ne permet pas d’envisager de placer en orbite la quantité d’équipement nécessaire pour avoir un effet significatif sur le climat au cours du siècle à venir. Cette option n’est pas applicable à court et moyen terme.

3) Actualités de l’ingénierie climatique et opinion publique

1. Symposium sur la recherche en ingénierie climatique

L’Agence allemande de moyens pour la recherche (DFG) a organisé, du 7 au 10 juillet 2015 à Berlin, un symposium international sur l’état de l’art de la recherche en IC et ses perspectives. Le but était de renouveler le programme scientifique prioritaire de la DFG sur cette thématique (le SPP1689) en abordant tous les aspects (techniques, économiques, sociétaux…) afin de fixer les objectifs de recherche pour les années à venir.

2. Evènement public du symposium

Le 9 juillet 2015, dans le cadre du symposium sur ce programme, a été organisé un évènement ouvert au public sur l’IC. L’objectif était de présenter la géoingénierie et ses enjeux, à l’aide de vidéos de scientifiques du monde entier et de deux intervenants, M. Andreas Oschlies, climatologue à l’Institut GEOMAR de Kiel, et M. Alexander Proelß, professeur de droit à l’université de Trèves. Le public était invité à choisir les vidéos et les interventions au fur et à mesure de la soirée, mais aussi à intervenir pour exprimer son opinion ou poser des questions.

A la fin de la soirée, deux questions furent soumises au vote du public : "Etes-vous pour la poursuite des recherches sur l’IC ?" et "Etes-vous pour un déploiement à terme de l’IC ?". A la première question, une majorité a répondu en faveur de la poursuite des recherches, tandis qu’à la seconde, le public s’est très largement prononcé contre.

3. Remise du rapport européen EuTRACE

Le 15 juillet 2015 s’est tenue, à l’Académie des sciences du Brandebourg (Berlin), une conférence de presse à l’occasion de la publication du rapport d’évaluation de l’IC, EuTRACE, financé par la Commission européenne (environ 1 million d’euro dans le cadre du FP7). Ce projet a impliqué des chercheurs allemands, britanniques, norvégiens et français sous la coordination de M. Mark Lawrence de l’IASS Potsdam. Ce rapport avait pour objectif de passer en revue la plupart des technologies d’IC connues et d’en proposer une évaluation technique, économique et politique. Les questions sociétales, de gouvernance et de droit international ont aussi été abordées. La principale conclusion du rapport, qui a été le mot d’ordre de la conférence de presse, est que l’IC n’est pas une option pour la politique climatique à court et moyen terme et que les efforts doivent se concentrer sur la réduction des émissions et l’adaptation au changement climatique.

3) Positionnement de la communauté scientifique

1. Contre un déploiement à grande échelle…

Le monde académique se positionne clairement contre le déploiement à court et moyen terme de la SRM et de certaines technologies de CDR. Toutefois, sur le long-terme, l’IC, sous ses différentes formes, devrait jouer un rôle de plus en plus important. Pour maitriser les risques associés à ces technologies, des études préparatoires en amont seront nécessaires.

2. …mais pour une poursuite de la recherche

Un consensus se fait ainsi dans la communauté scientifique pour une poursuite des recherches dans toutes les directions, aussi bien sur le SRM que sur le CDR. Toutes les disciplines doivent être impliquées : une évaluation technique, sociale, économique et politique approfondie est nécessaire. A l’heure actuelle plus de 50% des recherches se font dans la direction des sciences sociales, l’étude d’un déploiement technique concret a été jusque-là en partie négligée pour un certain nombre de variantes de l’IC. Ces études de faisabilité sont nécessaires, car elles permettront de réduire le champ de recherche en éliminant les concepts inadéquats d’un point de vue technique ou économique.

3. Déploiement des technologies CDR liées à la biomasse

Sur le court et moyen terme, un déploiement des technologies CDR liées à la biomasse (BECCS, biocharbon, boisement) est envisageable. On citera le cas du Brésil où des eucalyptus génétiquement modifiés pour croître plus vite vont être plantés pour accélérer la reforestation de zones défrichées. Ces développements nécessitent des études pour s’assurer que ce déploiement se fasse dans des conditions respectueuses pour l’environnement et les hommes : les technologies de séquestration du carbone peuvent constituer un danger en cas de dégazage involontaire ; un boisement incontrôlé peut mener à la destruction d’écosystèmes. Enfin, la concurrence avec les terres agricoles alimentaires doit être limitée au maximum en favorisant la bioénergie 2G et 3G à base de résidus agricoles et d’algues.

4. La question du "label" géoingénierie

Toutes les technologies précédentes sont déjà utilisées ou en passe de l’être. Cependant elles ne sont pas étiquetées en tant qu’IC dans le débat public. L’addition de nombreuses mesures locales peut avoir des répercussions globales, aussi est-il important de surveiller le développement de ces technologies et de leurs impacts sur le climat d’une manière systémique. D’un point de vue de la promotion de la biomasse ou d’autres technologies, il peut être risqué de désigner ces technologies sous le label IC, cela pourrait au contraire desservir leur développement du fait de la perception que l’opinion publique peut avoir de ces termes. La communication scientifique sur l’IC est essentielle pour éviter que son acceptation ne soit connotée péjorativement dans l’opinion.

5. L’IC en cas d’urgence climatique ?

Un sujet de controverse est la notion d’urgence climatique : en cas de catastrophe climatique imminente, il pourrait être nécessaire de déployer dans un laps de temps bref des solutions d’IC. Cette approche est critiquée par une grande partie de la communauté scientifique, car la notion de catastrophe climatique s’avère impossible à définir au niveau global. Ainsi, les émissions historiques de CO2 ont déjà dépassé un niveau au-delà duquel certaines îles du Pacifique vont être submergées, conduisant à des millions de réfugiés climatiques. De la même manière, la fonte complète de la banquise arctique en été est déjà prévue pour dans dix ans. Ces deux évènements (parmi de nombreux autres) peuvent être, à raison, définis comme des catastrophes climatiques. Ils ne sauraient pour autant justifier le déploiement imminent de technologies immatures. La nature même du changement climatique est d’être un phénomène sur le long terme, des mesures à court terme d’IC mal préparées pourraient entrainer des effets secondaires non maîtrisés et peut-être plus destructeurs.

4) Scénarios de déploiement, gouvernance et responsabilités

Le déploiement d’infrastructures lourdes d’IC ne peut se faire que dans un cadre international, le coût est trop élevé pour qu’un Etat assume seul cette charge qui aurait des impacts sur tous. Un des scénarios les plus probables est qu’un petit groupe de pays riches (G7, G20 ?) prennent l’initiative de se lancer dans un projet multilatéral (à l’image d’ITER), en incluant éventuellement d’autres pays qui jouerait un rôle mineur d’un point de vue de la gouvernance du projet.

La législation internationale n’impose à l’heure actuelle aucune contrainte majeure au déploiement de la plupart des technologies d’IC, qui ne sont prohibées que pour des usages à des fins militaires (convention ENMOD).

Cet état de fait pose des problèmes de justice environnementale : en effet si les technologies de CDR liées à la biomasse ont de faibles chances d’avoir des impacts climatiques sur les voisins (à l’exception d’un boisement massif de zones désertiques), la plupart des technologies de SRM peuvent avoir des impacts climatiques négatifs inégalement réparties : certaines zones auront des effets concentrés potentiellement destructeurs tandis que d’autres régions seront impactées alors que les Etats locaux n’auront pas pris part au projet. Ainsi sans un cadre international approprié, le déploiement unilatéral de l’IC pourrait être un facteur de tensions et d’instabilité.

5) Diplomatie climatique

Le message des scientifiques sur la question de l’IC, que ce soit pour le CDR ou le SRM, est clair : la géoingénierie recouvre un ensemble de concepts encore immatures et ne peut être l’objet de discussions dans le cadre des négociations climatiques, que ce soit pour le lancement de projets d’IC de grande échelle ou comme argument pour repousser la mise en œuvre de plan de réduction des émissions. De facto, aucune partie, pas même les plus exposées aux changements climatiques, tels les états insulaires, n’a pris position pour le déploiement de la géoingénierie.

Il faut cependant noter que l’ambiguïté de ce que recouvre l’IC lui a permis de s’introduire, sans être nommée en tant que tel, dans les scénarios du GIEC. En effet, les scénarios les plus optimistes permettant la limitation du réchauffement global à 2°C impliquent des émissions nulles, voire de l’absorption de CO2 sur la seconde moitié du siècle. Un tel scénario passe par un recours accru au CDR, et en particulier au BECCS.

6) Conclusion

L’ingénierie climatique, discipline à part entière de la climatologie, se scinde en deux sous catégories : l’élimination du dioxyde de carbone de l’atmosphère (CDR) et la modification de l’albédo de la terre (SRM). L’IC propose aujourd’hui une large gamme de concepts pouvant permettre, à un horizon lointain, de modifier intentionnellement le climat. Certains concepts sont déjà discrédités (ensemencement des océans, miroirs spatiaux), d’autres présentent certains potentiels mais dont les risques sont mal estimés (injection d’aérosols dans la stratosphère, modification des nuages), tandis que certains seront à coup sûr appliqués au cours du siècle à venir (mesure de reforestation, biomasse avec séquestration du carbone).

L’IC ne se limite pas aux sciences naturelles : ses effets, en cas de déploiement généralisé, rentrent largement dans le champ d’études des sciences humaines et sociales. Les questions de justice environnementale, de gouvernance et de responsabilité doivent être étudiées avec attention. Cette complexité de la géoingénierie constitue le plus grand risque associé à son utilisation. De fait, la communauté scientifique appelle à poursuivre les recherches dans toutes les directions, afin de mieux quantifier les risques de chacun des concepts. Les chercheurs de l’IASS se sont positionnés pour le développement de projets internationaux et pluridisciplinaires dans un cadre européen et/ou bilatéral avec la France : par sa nature même, la géoingénierie appelle à des solutions globales et une recherche limitée à des cadres nationaux présentent le risque d’être incohérente.

Malgré son positionnement pour la poursuite de la recherche sur l’IC, la communauté scientifique est unanime : il ne doit en aucun cas être question de déploiement à court et à moyen terme. Les risques d’effets secondaires pour le climat, les écosystèmes et la société sont insuffisamment évalués. Sur ce point, l’opinion publique apparait au diapason des chercheurs en rejetant toute éventualité de déploiement, mais en acceptant la poursuite des recherches.

Dans le contexte des conférences sur le changement climatique et de la COP21, l’IC n’offre encore aucune possibilité viable de lutte efficace contre le réchauffement climatique et n’a pas à être abordée au cours des discussions. Les efforts pour les décennies à venir doivent se concentrer sur la réduction des émissions et l’adaptation.

Plus d’informations :

Principales références bibliographiques :
"The European Transdisciplinary Assessment of Climate Engineering (EuTRACE)", Stefan Schäfer, Mark Lawrence, Harald Stelzer, Wanda Born, Sean Low, 2015.

"Brief Nr.44 – Schwerpunkt : Climate Engineering", Büro für Technikfolgen-Abschätzung beim Deutschen Bundestag, septembre 2014.

"Gezielte Eingriffe in das Klima ? Eine Bestandsaufnahme der Debatte zu Climate Engineering", Kiel Earth Institute, septembre 2011.

Rédacteur : Sean Vavasseur, sean.vavasseur[at]diplomatie.gouv.fr – www.science-allemagne.fr