Conférence des diplomaties féministes - Discours d’ouverture de Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères (Paris le 22 octobre 2025)

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C’était Delphine O, la secrétaire générale de cette conférence. Je vous propose qu’on salue son action et celle des équipes qui nous ont permis de nous réunir aujourd’hui. Je veux saluer Madame la ministre, ma collègue Aurore Bergé, ma collègue Éléonore Caroit, ministre déléguée au Quai d’Orsay, ainsi que Mme la maire de Paris. Et je veux saluer les nombreux ministres présents et en particulier mes trois collègues, le ministre des Affaires étrangères du Maroc, Nasser Bourita, le ministre des Affaires étrangères de l’Espagne, José Manuel Albares, et le ministre des affaires étrangères de l’Arménie, Ararat Mirzoian. Merci à vous pour votre présence. Merci pour leur présence aux vice-ministres, aux secrétaires d’État, aux ambassadrices et aux ambassadeurs, aux chefs d’agence, aux représentants des banques de développement, des organisations de la société civile, à la maire de Paris et à vous toutes et tous.

Le 19 octobre dernier, Monique Pelletier nous a quittés à l’âge de 99 ans. Ministre déléguée à la condition féminine sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, elle était une fidèle avocate de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous avons, disait-elle, « beaucoup de progrès à faire et beaucoup de progrès à préserver ».

C’est précisément pour « faire » et pour « préserver » ces progrès que vous avez répondu si nombreuses et si nombreux à l’appel de cette 4e Conférence des diplomaties féministes.

Ensemble, nous représentons aujourd’hui 55 États, 27 organisations internationales et plus d’une centaine d’organisations de la société civile. Nous partageons une conviction inébranlable : l’égalité entre les femmes et les hommes est un combat universel, un combat inachevé. Nous sommes les héritiers des grandes conquêtes menées pour les droits des femmes. C’est une responsabilité qui nous oblige.

Mais cet héritage est aujourd’hui menacé. Des mouvements s’organisent pour fragiliser les droits des femmes, du terrain associatif aux organisations internationales. On cherche à gommer les mots « femmes » ou « égalité de genre » des projets que nous portons, de nos législations, des textes internationaux que nous négocions. À l’heure où certains se laissent intimider, recherchent à tout prix le compromis, baissent les bras ou tournent le dos à la cause des femmes, notre message est clair : nous ne céderons pas.
J’entends des voix qui voudraient nous faire croire que le balancier de l’égalité est allé trop loin. C’est faux. Chacun ici le sait. Avez-vous vu beaucoup de femmes Secrétaires générales des Nations unies ou de l’OTAN ? Y a-t-il trop de femmes à la tête des grandes entreprises mondiales ? Sont-elles surreprésentées à la table des négociations de paix, partout dans le monde ? La réponse est claire : elle est négative. Les femmes sont sous représentées, quand elles ne sont pas totalement absentes et c’est une situation qui est inacceptable.
La vérité n’est pas réjouissante : nous sommes encore très loin du compte. Nous ne pouvons pas accepter de voir la moitié de l’humanité forcée de descendre du train sans réagir. Alors oui, nous tenons ferme et nous refusons tout recul.
Votre présence ici, à Paris, est déjà un acte de mobilisation et de résistance, et je vous en remercie. Nous sommes rassemblés autour de textes fédérateurs pour faire bloc, pour faire masse derrière le socle commun du droit international – celui qui fut proclamé à Pékin il y a trente ans et qui reste encore notre boussole. Certains voudraient réduire ce combat à une lubie de quelques pays occidentaux. À ceux-là nous disons avec force que les droits des femmes sont des droits fondamentaux et universels. Et je ne vois pas que des Occidentaux devant moi, bien au contraire.

À tous ceux qui prétendent le contraire, je demande : les femmes afghanes et iraniennes qui se battent au péril de leur vie pour la liberté, portent-elles un agenda occidental ? Les militantes latino-américaines du mouvement « Ni una menos » en révolte contre les féminicides, relèvent-elles d’un féminisme « occidental » ? Non. Elles portent une exigence d’humanisme qui est l’affaire de toutes et de tous. Leur cause engage les hommes autant que les femmes. Car il n’y aura pas de liberté véritable pour les hommes tant que l’égalité entre les genres ne sera pas pleinement réalisée.

Alors chers amis, l’engagement de la diplomatie française en faveur des droits des femmes est le pendant d’une politique nationale ambitieuse et déterminée. En France, les résultats sont là : nous avons, chère Aurore Bergé, été en 2024 la première nation à inscrire le droit à l’avortement dans notre Constitution. Elle le protège désormais explicitement. En complément, la contraception des femmes de moins de 25 ans a été rendue gratuite.

Ce combat pour l’égalité emporte toute la société. Dans la fonction publique, nous avons fixé à 50% le quota obligatoire des nominations de femmes aux postes à haute responsabilité. Dans le secteur privé, grâce aux initiatives des parlementaires, que je salue, les entreprises sont fortement incitées à agir pour aller vers plus d’égalité au sein de leurs instances dirigeantes, et plus d’égalité dans les rémunérations, sous peine de pénalités.

Nos administrations donnent l’exemple. Au sein du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, 45% des primo-ambassadeurs sont des ambassadrices. La parité est une réalité parmi les nouvelles générations de diplomates qui rejoignent le Quai d’Orsay. En 2025, la promotion de secrétaires de cadre d’Orient comptait autant de femmes que d’hommes. Nous avons également lancé des programmes de mentorat pour accélérer les carrières des talents féminins les plus prometteurs et la France a choisi de se doter cette année d’une Stratégie internationale de diplomatie féministe. Elle constitue une exigence qui irrigue l’ensemble de notre politique étrangère : la protection de nos ressortissantes, la paix et la sécurité, le climat, le numérique, la culture et le développement.

Où qu’elles soient dans le monde, les Françaises victimes de violences doivent pouvoir compter sur une protection efficace et immédiate. Nos postes consulaires sont en première ligne. Ils sont mobilisés pour porter assistance aux victimes, les orienter et les accompagner dans leurs démarches, et chaque poste diplomatique dispose désormais d’un référent chargé de l’accueil de nos ressortissantes victimes de violences. Nos services consulaires, quant à eux, s’engagent aux côtés de la Sorority Foundation.

Mais notre stratégie de diplomatie féministe va au-delà de nos ressortissantes. Elle touche à la paix et à la sécurité du monde. À l’heure où les conflits se multiplient, où le multilatéralisme est mis à rude épreuve, la France, membre permanent du Conseil de sécurité, continue de soutenir la mise en œuvre de l’Agenda « Femmes, Paix et Sécurité », 25 ans après l’adoption de la résolution 1325.

C’est cela la diplomatie féministe, l’attention portée à la promotion des femmes au sein de nos chancelleries, de nos ministères des affaires étrangères, la protection de nos compatriotes établies à l’étranger contre toutes les formes de violence, et enfin la défense de la cause des femmes et des filles dans toutes les enceintes internationales.

L’heure n’est plus seulement au constat, elle est à l’action, dans trois directions prioritaires : la réaffirmation collective de notre soutien aux droits des femmes, le maintien de notre soutien aux associations qui les portent sur le terrain et la protection des femmes dans l’espace informationnel et numérique.
Nous sommes toujours plus nombreux à rejoindre cette cause à travers le groupe des diplomaties féministes que la France copréside cette année avec la Colombie. Quatre nouveaux membres nous ont rejoints au cours des derniers mois : le Maroc, le Népal, le Royaume-Uni et la Slovénie. Je vous propose qu’on leur réserve un accueil chaleureux.

[Applaudissements]

Aujourd’hui à Paris, nous sommes plus de 500, rassemblés au nom d’une coalition d’États qui refusent le retour en arrière. Une coalition élargie, rassemblant toutes les régions du monde. Une coalition courageuse et déterminée, qui affirme son engagement en faveur de l’égalité de genre. Cette coalition, c’est celle des diplomaties féministes, qui s’exprime d’une même voix dans une déclaration politique que nous avons proposée pour adoption. D’ores et déjà 27 États la soutiennent et elle est ouverte à la signature jusqu’à au moins la fin de cette conférence, donc j’espère que nous pourrons franchir la barre des 30 co-signatures. J’invite tous les États partenaires, ici présents, à rejoindre cette coalition. Aidez-nous à former un cordon sanitaire et solidaire autour des grands textes internationaux de défense des droits des femmes.

Nous renouvelons aussi notre soutien aux organisations de la société civile. Sans elles, notre diplomatie féministe en resterait aux bonnes intentions. Trop d’associations féministes dépérissent aujourd’hui, faute de financements, alors même qu’elles sont en première ligne. La France s’engage et elle poursuit ses efforts au service de toutes celles et ceux qui s’engagent à leur tour. Notre pays soutient plus de 1.400 associations dans 75 pays et c’est une grande fierté.
Enfin, nous investissons les espaces numériques, devenus eux aussi des lieux de violences contre les femmes. C’est pourquoi la France ouvre son Laboratoire d’innovation numérique aux partenariats internationaux, pour qu’ensemble nous imaginions les solutions pour faire progresser notre combat dans l’espace informationnel et numérique et dans le champ des perceptions. C’est ainsi que nous parviendrons à en faire des espaces de progrès, plutôt que des espaces de menace.

Chers amis,

Des camps du Soudan aux quartiers dévastés d’Haïti, de l’Afghanistan à l’Ukraine en passant par la bande de Gaza, dans les zones de guerre mais aussi parfois dans nos propres sociétés, ce sont le plus souvent les femmes, les filles, les mères et les veuves qui portent sur leurs épaules le poids de notre humanité chancelante. Elles incarnent la résilience. Elles ne doivent pas être seules à porter ce fardeau. C’est à nous de les soutenir, de les aider à avancer et à grandir, de leur donner les moyens dont elles ont besoin pour transformer cette capacité de résilience en un véritable instrument de pouvoir.

Voilà le défi que nous partageons et que nous continuons à porter ensemble, bien au-delà de cette conférence.

Merci à toutes et tous pour votre présence.