Entretien de Nicolas Forissier, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité, avec « BFM Business » (Shanghai, 7 novembre 2025)

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Q - Nicolas Forissier, bonjour. Vous êtes le ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l’attractivité. Vous êtes à Shanghai pour la grande foire commerciale. C’est un grand salon qui se tient du 5 au 10 novembre. Je le disais en sommaire, il y a une sorte de contradiction entre ce que l’on vit ici en France, alors nous, on est dans l’affaire Shein jusqu’au cou, entre le BHV, les poupées, les armes, la ministre des comptes publics qui va à Roissy pour contrôler tous les colis ; et vous, vous êtes à Shanghai en train d’aider les entreprises françaises à vendre leurs produits là-bas. Est-ce qu’il n’y a pas une certaine contradiction ?

R - Il n’y a pas du tout de contradiction. Je vais vous répondre sur les deux points. Le cœur de mon action, le cœur de l’action du ministre du commerce extérieur et de l’attractivité que je suis, c’est d’aller soutenir les entreprises partout où c’est nécessaire pour que l’on puisse conquérir des marchés parce que ce n’est pas facile l’exportation, ce n’est pas facile la conquête des marchés. Et donc c’est mon rôle, en donnant des coups de projecteur et en soutenant les équipes et en soutenant le dispositif d’appui qui est composé par les ambassades, par Business France, par les conseillers du commerce, de faire en sorte que l’on conquiert plus de marchés, que nos entreprises se développent. Si on ne le fait pas, on n’arrivera pas à tenir notre place dans cette compétition internationale qui est devenue de plus en plus vive. Ça, c’est le travail qui consiste à soutenir les entreprises, le cœur de mon action. Mais je vous ferai remarquer, puisque vous me parlez du dossier Shein, que je suis aussi allé hier, à la demande du Premier ministre, rencontrer un de mes homologues, le vice-ministre du commerce, qui était sur le salon. On a eu un entretien assez approfondi d’ailleurs sur à la fois le fait que je présentais la démarche du Gouvernement concernant Shein, le fait d’engager une procédure de suspension et de contrôle, et que parallèlement je demandais à nos collègues chinois et à mon collègue chinois d’être extrêmement attentifs à l’évolution des pratiques de ces plateformes, de façon à avoir une forme de coopération.

Q - Qu’est-ce qu’ils répondent ? Que disent-ils alors du côté chinois de nos relations avec Shein aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’ils répondent ?

R - Je ne vais pas parler au nom des autorités chinoises. Mon rôle, c’était de les informer et de leur demander toute leur attention. Je pense avoir, pour le coup, été entendu. Après, il reviendra aux autorités chinoises de faire ce qu’elles doivent faire, le cas échéant, si les choses ne se règlent pas. Mais ce qui est important, c’est de comprendre que dans le commerce international, on doit à la fois être fermes sur ces positions, c’est ce que nous essayons de faire, et quand c’est nécessaire, par exemple dans ce dossier ou dans d’autres dossiers, je pense à des différends commerciaux qui peuvent exister, des barrières qui sont mises à l’entrée de certains produits, je pense notamment aux produits agroalimentaires, ici en Chine, le porc, le cognac, on le sait, certains produits laitiers qui font l’objet de mesures dites « d’enquête », il faut être fermes. Et dans le même temps, il faut aussi avoir un discours de confiance et d’ouverture. Sinon, on n’arrive pas à faire en sorte que nos entreprises puissent se développer, nouer des partenariats et conquérir les marchés dont nous avons besoin pour servir nos territoires, pour créer de l’emploi chez nous.

Q - Et c’est difficile, on le voit quand on interroge les PME qui veulent s’implanter en Chine, il y a des barrières malgré les discours officiels. Justement, est-ce qu’un dossier comme Shein, ça vous met encore plus des bâtons dans les roues ? Est-ce qu’il y a des réactions d’hostilité en disant « vous ne voulez pas ouvrir votre marché en France, nous, pourquoi on le ferait en Chine ? » ?

R - Non, je ne pense pas que pour l’instant, je n’ai pas du tout ressenti d’effet direct sur les démarches de nos entreprises et sur le climat ambiant, notamment dans le cadre de cette grande foire annuelle de Shanghai, où il faut être d’ailleurs, je le dis au passage, c’est pour ça que mon premier déplacement à l’international en soutien des entreprises, j’ai vraiment voulu le faire ici, dans cet immense marché qu’est la Chine. Un pays qui est en pleine révolution et qui aussi apprécie les produits français, l’excellence française, la qualité d’innovation d’un certain nombre de nos produits ou de nos entreprises. Donc il faut, je crois simplement, à la fois être fermes, tenaces, opiniâtres. C’est le cas, c’est ce que nous faisons, c’est ce que j’ai fait hier aussi avec le vice-ministre du commerce, sur les dossiers qu’on appelle « irritants », c’est-à-dire un certain nombre de barrières, comme le lait, par exemple, je le disais. Mais il faut aussi être capables de construire des partenariats. J’étais ce matin aux côtés de CMA-CGM dans le port de Shanghai, qui est un port absolument gigantesque…

Q - Le propriétaire de BFM Business…

R - Il y a de très forts partenariats entre CMA-CGM, une grande entreprise française, d’une part, et le port de Shanghai et les compagnies chinoises, d’autre part. Eh bien, il faut que nous soyons là pour soutenir ces partenariats. C’est l’intérêt de la France aussi. Mais cela doit se faire de façon gagnant-gagnant.

Q - Dernier point, Nicolas Forissier, est-ce que vous avez pu parler taxes sur le porc, sur le cognac ? Est-ce que vous avez pu avoir des engagements, des avancées sur ces points ?

R - Absolument. J’ai redit au ministre hier que j’ai rencontré et à un certain nombre d’autorités, je le dirais, y compris dans le cadre d’un point de presse avec la presse chinoise, nous ne lâchons rien. Sur le cognac par exemple, il y a un premier pas qui a été réalisé, mais nous considérons, nous, partie française, que ça n’est pas suffisant, qu’on doit aller plus loin. Il y a certaines entreprises, d’ailleurs, qui ne sont pas encore prises en compte dans cet accord intermédiaire qui est intervenu il y a quelques semaines. On doit aller plus loin. C’est la même chose sur les entreprises françaises qui sont, pour certaines, concernées de façon différente, très négative, par l’enquête commerciale que les autorités chinoises ont déclenché sur les importations de viande, de porc et d’abats. C’est pareil sur certains produits comme la crème. C’est pareil aussi dans le domaine des terres rares, pour parler d’autre chose que de produits agroalimentaires. Sur tous ces sujets, c’est le rôle du ministre du commerce extérieur que je suis, à la fois de porter le fanion français des entreprises françaises avec fierté et esprit de conquête, mais aussi de dire clairement ce que nous souhaitons aux autorités chinoises et on va y arriver.

Q - Merci beaucoup d’avoir été avec nous.