Entretien de M. Nicolas Forissier, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité, avec « BFM TV » - Extraits (Paris, 23 décembre 2025)

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Q - On va écouter le ministre du Commerce extérieur qui est avec nous. Bonjour Nicolas Forissier, merci de nous répondre. Est-ce que vous avez bon espoir malgré tout que la Chine change son fusil d’épaule et réduise ce montant particulièrement élevé ?

R - Oui, comme le disait votre commentatrice juste avant moi, et elle avait parfaitement raison, il y a une façon de travailler avec les Chinois qui se fait par étapes. On a bien vu par exemple sur le cognac et l’armagnac, même si le résultat obtenu n’est pas satisfaisant et n’est pas ce que nous souhaitions au départ, nous avons quand même une réduction de plus de moitié du coût pour l’entreprise. Ce n’est d’ailleurs pas par le biais du droit de douane, mais par une augmentation forcée du prix d’entrée sur le marché. Après des étapes de discussion, les Chinois ont évolué, j’espère bien qu’ils le feront sur la crème. En tout cas, nous considérons que cette décision est unilatérale, qu’elle ne repose absolument sur rien de vérifié et de tangible. Il n’y a pas de favoritisme ou de subventions excessives de la part de l’Union européenne sur le lait et notamment la crème, puisque comme cela a été dit avant moi, effectivement, c’est d’abord le poste de la crème de lait et le lait enrichi qui va souffrir. En gros, on est autour de 150 millions d’euros. Il faut aussi relativiser parce que la filière laitière, et c’est une chance, est très diversifiée. La France est un des principaux exportateurs de lait, de fromage, de produits laitiers. Et nous avons des exportations qui sont assez diversifiées, que l’on continue d’ailleurs d’essayer de diversifier dans les différents accords commerciaux. Mais sur le cas du marché chinois, on était au courant. Je ne pense pas que ce soit imputable, comme je l’ai entendu, à la visite du président Macron.

On est, en fait, en réalité, dans une discussion au long terme. J’étais en Chine au mois d’octobre et déjà nous avions cette discussion. On avait déjà aussi une discussion sur la viande de porc et les abats. Je vous ferais remarquer que la semaine dernière, la Chine a annoncé des mesures qui, par contre, sur la viande de porc, sont beaucoup plus rassurantes et ne vont pas constituer des taux de droits de douane excessifs. Donc vous voyez que c’est tout un travail, mais moi je fais remarquer simplement une chose, cela a d’ailleurs été dit avant moi, c’est qu’à partir du moment où on veut protéger l’industrie française, éviter l’envahissement de la puissance économique chinoise qui subventionne très largement ces secteurs industriels, qui, au fond, elle aussi, est en train d’essayer de prendre en main, si je puis dire, le marché européen. Si on veut le défendre, ce marché européen, si on veut défendre nos emplois, il faut aussi que l’on soit moins naïfs. On a suffisamment demandé à l’Union européenne, et notamment à la France, de ne plus être naïve, d’être ferme. C’est ce que la France fait, et elle est très motrice de ce point de vue-là au sein de l’Union européenne, et c’est comme cela que nous avons pris un certain nombre de mesures qui, effectivement, provoquent des réactions des Chinois. Je le rappelle, les véhicules électriques, mais très récemment encore, des mesures de protection sur l’acier, pour faire face au fait que les Chinois ont beaucoup trop de capacités, qu’ils n’utilisent pas chez eux et essaient de vendre partout. Donc il faut être réalistes.

Q - Vous avez dit « il faut être réalistes » et vous avez raison, « ne pas être naïfs », vous avez raison également. Mais est-ce qu’on va vers une guerre commerciale avec la Chine ? Car on voit bien que l’Europe durcit ses positions, que la Chine contre-attaque. Est-ce qu’on va vers le conflit, un peu comme avec l’Amérique de Trump ?

R - Je pense, Monsieur Gosset, que nous sommes déjà dans une forme de conflit. Le commerce international, il est en train de vivre une espèce de mouvement de plaque tectonique, de frottement qui peut être douloureux. Et il faut, encore une fois, que l’Union européenne renforce ses positions, soit beaucoup plus unie, renforce son marché de capital, fasse un énorme effort de réindustrialisation, se concentre sur l’innovation pour peser. Il y a beaucoup de gens qui commencent à comprendre que nous sommes, au fond, dans cette guerre, plein d’atouts, qu’il faut arrêter de se désoler. Mais quand vous avez des pressions excessives, quand vous avez des gens qui utilisent, au fond, un langage qui est celui du rapport de force, il ne faut pas s’affaiblir. C’est ce que fait actuellement la France et l’Union européenne. Alors cela peut être douloureux à vivre sur un cas très précis comme la filière lait et notamment la crème, mais cela va concerner en réalité quelques entreprises, comme cela a été dit avant nous, notamment des grands groupes et un en particulier. Il va falloir évidemment accompagner, nous allons nous battre jusqu’au bout pour faire en sorte, et c’est un peu ma mission aussi, que nous puissions obtenir une mesure satisfaisante et une transaction avec les Chinois. Mais nous sommes dans cette guerre-là. Effectivement, il ne faut pas être naïfs. Nous ne sommes pas seuls au monde. Et cela veut dire que la France et l’Union européenne d’une façon générale, doivent faire des efforts sur eux-mêmes considérables, se mobiliser, être beaucoup plus unis pour résister. Mais moi, je ne suis pas du tout pessimiste. Je pense que nous avons des tas de raisons de réussir.

Q - Alors, Étienne Fourmont [un éleveur de vaches laitières], qui est toujours avec nous, a une question à vous poser, Monsieur le Ministre.

Q - Moi, j’aurais une question assez simple. C’est qu’est-ce que compte mettre en place la France pour qu’au plus vite, ces droits de douane très élevés, prohibitifs, soient retirés le plus vite possible ?

R - On est dans une discussion et une négociation qui est celle conduite par l’Union européenne puisque c’est la compétence de l’Union européenne, mais évidemment comme la France est un des grands producteurs et exportateurs de lait et de produits laitiers, on est évidemment à la manœuvre et on pousse tout ce que l’on peut. L’objectif, c’est d’amener les Chinois à la raison et d’accompagner dans le même temps les entreprises. Il est trop tôt pour vous dire ce que sera la décision définitive des Chinois qui devraient intervenir en février. Mais dans l’intervalle, on va continuer à discuter, à négocier, à faire entendre raison et à accompagner les entreprises de la filière qui, entre parenthèses, ont fait un énorme travail, je tiens à les saluer, de transparence, d’explication à l’égard des Chinois. Mais c’est une réalité, moi, je n’ai pas de baguette magique. C’est un combat. Et mon maître mot en matière de commerce extérieur, surtout dans la situation très difficile que nous connaissons dans le commerce mondial, je le disais, les plaques tectoniques, et cela touche tous les secteurs, eh bien, mon maître mot, c’est l’opiniâtreté. Il faut se battre jusqu’au bout sur la base d’une Europe qui, effectivement, Monsieur, accompagne les entreprises en question, et notamment, si on n’a pas le résultat que l’on souhaite, il faudra trouver une solution d’accompagnement. Mais il faut aussi, je le dis, continuer à diversifier nos débouchés. Moi, j’entends parfois certains discours sur le Mercosur. Je suis le premier, étant depuis toujours l’élu d’une région d’élevage bovin, à dire attention, il y a danger, il faut que l’on protège nos éleveurs, par exemple. Mais parallèlement, la filière lait et fromage, elle a tout à gagner à l’accord du Mercosur. Personne ne le dit. Moi, je le dis. Parce qu’il y a aussi un certain nombre de vérités à rappeler. Diversifier nos débouchés par le biais d’accords commerciaux qui nous permettent de ne plus être ultra-dépendants, pour certaines filières ou segments de filières, comme c’est le cas actuellement sur la Chine, de mouvements de tension, de prises d’otages entre guillemets, commerciales.

Q - Les producteurs de lait, c’est vrai qu’ils font partie des vainqueurs potentiels de cet accord sur le Mercosur. Merci beaucoup à tous les deux pour cet échange en direct sur BFM TV au lendemain de cette annonce et le jour de la mise en place de ces droits de douane par la Chine sur les produits laitiers européens.