Commerce extérieur - Entretien de Nicolas Forissier avec « Sud Radio » - Extraits (Paris, 10 novembre 2025)

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Q - Bonjour Nicolas Forissier.

R - Bonjour.

[…]

Q - En revanche, vous avez parlé de Shein ?

R - On a parlé de Shein, oui.

Q - Alors, qu’est-ce que vous leur avez dit, aux autorités chinoises ?

R - Non, j’ai simplement rencontré le vice-ministre M. Ling Ji, du commerce, pour lui dire la position de la France, qui était de dire, nous engageons une procédure de suspension, nous attendons de Shein des réponses très précises, nous estimons qu’une plateforme de commerce, même si on est ouvert à un commerce fluide, elle doit respecter nos règles, elle doit respecter la sécurité, et elle doit surtout, peut-être que tout autre sujet, respecter les mineurs, l’intégrité morale de ce qu’elle vend. Donc évidemment, ça a été une grande émotion dans notre pays. J’ai transmis cette émotion, comme le Premier ministre me l’a demandé, aux autorités chinoises qui ont été assez sensibles à ce message.

Q - Vous êtes sûr ?

R - Je peux vous dire qu’ils sont restés fermes et assez fermés pour l’instant sur les sujets, ce qu’on appelle les « irritants commerciaux », c’est-à-dire les conflits que nous avons sur certaines filières. Je pense à la filière porc, je pense à la filière cognac-armagnac, je pense à la filière lait où on a de vrais sujets. Donc là, c’était une discussion commerciale qui reste encore difficile, il faut que l’on continue, que l’on progresse, c’est mon boulot de le faire. Mais voilà, par contre sur le message concernant Shein, je pense que les Chinois eux-mêmes sont inquiets de ce genre de dérive, vous savez….

Q - Parce que ce n’est pas bon pour le business…

R - Ce n’est pas seulement que ce n’est pas bon pour le business, c’est un problème de société et ils sont aussi concernés par ça. Quand on a un partenaire aussi important que la Chine, c’est notre quatrième partenaire commercial. Nous avons plus de 2.800 entreprises qui sont implantées, qui vont là-bas. C’est d’ailleurs le but de mon déplacement, je suis allé d’abord là-bas pour soutenir nos entreprises et les mettre en lumière au regard des autorités chinoises en leur disant « on se bat, on est là, on veut avancer et on veut résoudre nos problèmes. » Mais il faut aussi essayer de comprendre ce qu’est la psychologie de nos interlocuteurs chinois, que ce soit les autorités publiques, que ce soit le monde de l’entreprise. Sinon, on n’y arrivera pas. C’est comme ça qu’on fait du commerce.

Q - Vous évoquez les représailles de la Chine sur le cognac, le porc, les produits laitiers et d’autres. C’est en riposte aux 10% de Bruxelles sur les importations de voitures électriques chinoises. Qu’est-ce qu’un ministre français peut dire au fond ? On ne pèse rien face à la Chine.

R - Je pense qu’il ne faut pas dire ça, on ne pèse pas rien. Je rappelle que la France est un des principaux pays du premier marché commercial et de consommation du monde qui s’appelle l’Union européenne. On a 450 millions de consommateurs.

Q - Pour l’instant…

R - Aujourd’hui. Honnêtement, un des éléments de mon message, c’est de dire à nos partenaires chinois, vous avez besoin du marché européen, il ne faut pas le casser. Donc, trouvons des discussions honnêtes, transparentes, trouvons effectivement des compromis, et vous avez raison de dire que sur les mesures, entre guillemets, de rétorsion sur certaines filières, ce qu’on appelle des enquêtes commerciales, les Chinois disent qu’il y a du dumping, qu’il y a des prix qui ne sont pas normaux, etc. En fait, on sait très bien que ce n’est pas vrai, mais c’est surtout une réponse à ce qu’il s’est passé au niveau européen sur les voitures électriques, où il ne s’agissait d’ailleurs que de rétablir un prix normal, parce qu’il faut rappeler quand même que l’industrie chinoise subventionne massivement la production de voitures automobiles.

Q - Il y a cette surtaxe de 10%, regardez chez nous, Stellantis Poissy va fermer ses portes, c’est une catastrophe, et BYD, le géant chinois, ses voitures électriques qui déboulent chez nous, ils s’installent en Hongrie, c’est fait, l’usine va ouvrir cet hiver. Il y a cet accord avec la Turquie, qui permet de détourner les taxes, à la fois les 10% et à la fois les 17% autres de taxes des voitures chinoises. On ne pourra jamais résister face à ça. Nous, on veut exporter nos voitures, c’est quoi ? C’est 9% l’export des automobiles dans le monde et ils vont nous ravager en fait, on ne peut rien faire…

R - On est dans une guerre commerciale extrêmement dure, qui s’est tendue considérablement depuis trois ou quatre ans, notamment pas seulement à cause des Chinois, mais aussi parce que M. Trump a décidé de mettre en œuvre un certain nombre de droits de douane, les tarifs, comme on dit, et ce, de façon assez surprenante, brutale, changeante. Donc tout est déstabilisé.

Q - Ce qui fait mal à nos vins d’ailleurs, le vin français souffre de Trump…

R - Oui, mais bien sûr, on le sait plus que jamais. Et ça veut dire qu’il faut que les entreprises françaises tiennent bon, résistent, et que le ministre du commerce extérieur, et plus globalement, le gouvernement français, c’est ce qu’il fait sous l’autorité de Sébastien Lecornu, tienne bon ses positions et défende la position de la France. On n’est pas dans un monde de Bisounours en terme commercial, c’est clair. Et donc il faut se battre, c’est ce que je suis allé faire en Chine, et ce que je voulais faire, comme mes prédécesseurs avant, avec la dernière énergie dans les mois qui viennent.

Q - Alors il y a le Mercosur, Nicolas Forissier, vous avez entendu Emmanuel Macron au Brésil, plutôt positif a-t-il dit, rectifié par votre collègue, des Républicains elle aussi, Annie Genevard, c’était dans le Journal du dimanche, qui elle a dû pédaler pour dire grosso modo qu’il fallait quand même que les garanties soient assurées pour que ce Mercosur démarre. Il a commis une gaffe Emmanuel Macron ?

R - Non, pas du tout, il n’a pas commis de gaffe.

Q - Plutôt positif…

R - Il a simplement, et c’est ce qui a été repris en oubliant le reste, à tel enseigne que le président a dû à nouveau revenir sur le sujet pour bien préciser les choses, parce que ça a été un peu tronqué, disons les choses, sa déclaration. Il a simplement dit qu’il y avait eu, je résume, des avancées au regard des demandes, des exigences qui étaient celles de la France sur le traité du Mercosur. Mais il a bien dit aussi qu’il fallait continuer à avancer sur ces exigences. Et c’est ce qu’a très bien précisé au nom du gouvernement et sur une position qui est extrêmement claire pour Sébastien Lecornu et les ministres concernés et tout le gouvernement d’ailleurs. C’est que nous avons trois sujets. Nous avons ce qu’on appelle la clause de sauvegarde, qui est en fait un mécanisme qui permet d’arrêter tout, de bloquer les choses s’il y a une trop grosse dérive.

Q - Encore faut-il pouvoir l’activer…

R - Si ça déstabilise une filière, pas seulement à l’échelle européenne, mais ça peut être déclaré dans un pays. Donc c’est très important pour la France. Là, on veut des garanties, on veut que ce soit écrit, on veut que nos amis du Mercosur l’acceptent expressément. On veut connaître la façon dont les choses se déroulent, préciser un certain nombre de choses. Donc, on est dans une discussion très exigeante avec la Commission. Deuxième sujet, les mesures miroirs. C’est-à-dire, ce qu’on appelle les mesures miroirs, c’est qu’on impose, la société impose, le consommateur demande à nos producteurs un certain nombre de normes, sur les phytosanitaires, sur l’alimentation animale, sur des produits antibiotiques dont on ne veut pas, etc. Eh bien, s’il y a des produits, et ce n’est pas seulement le Mercosur, qui sont importés de l’extérieur, ils doivent respecter ces règles, sinon ça veut dire qu’on ne respecte pas ce qu’on s’impose à nous-mêmes, et en plus ça crée des différences commerciales.

Q - C’est comme l’ultra-fast fashion, on parlait de la Chine à l’instant, ça va être débouler chez nous, on n’a pas les moyens de contrôler.

R - Mais moi je rappelle toujours une chose, c’est que l’on est aussi un grand pays exportateur. Si on veut pouvoir exporter, et ça représente un salaire sur quatre dans notre pays, si on veut continuer à exporter et même à conquérir des marchés, ce qui est quand même l’objectif qu’on doit s’assigner, il faut accepter d’avoir un commerce ouvert, mais à nos conditions. On doit cesser d’être naïf, et donc c’est vrai au niveau français, c’est ce qu’a rappelé très bien Annie Genevard, c’est vrai au niveau européen, c’est ce pourquoi on se bagarre.

Q - Annie Genevard précise, elle rappelle, « si les conditions sont remplies. » La signature, Ursula von der Leyen, il est dit qu’elle voudrait en finir le 20 décembre, c’est là. Si les conditions ne sont pas remplies, qu’est-ce que le ministre du commerce extérieur les Républicains, Nicolas Forissier, va faire ? Vous allez rester ?

R - Non, le ministre du commerce extérieur dira, comme Annie Genevard, que nous exigeons la mise en œuvre très précise des choses qui ont déjà été… des avancées que nous avons obtenues. On veut aussi, d’ailleurs, je le dis au passage, et ça concerne y compris la Commission européenne dans ses moyens, et y compris même l’administration française dans ses moyens, on veut des contrôles, parce que c’est la troisième exigence que nous avons. Ne pas déstabiliser le marché, avoir les mêmes normes sur les produits importés que celles que l’on impose à nos agriculteurs, mais aussi avoir des moyens de contrôle qui soient sur place. Concrètement, les agriculteurs, ils veulent du concret dans leurs cours de ferme, ils ne veulent pas des paroles. Donc, on se bat là-dessus. Et je pense que nous obtiendrons les résultats, et on n’arrêtera pas de se battre là-dessus.

Q - Ce pourrait ne pas être signé, puisqu’il y a la vigilance dont parle Emmanuel Macron, ne pas être signé, ne pas signer la Mercosur.

R - Vous savez, c’est un très long processus. Il peut y avoir une décision en décembre à l’échelle du Conseil européen, sachant que la France, pour l’instant, elle n’arrive pas, elle n’est pas isolée, mais elle n’a pas de majorité. Il y a la Pologne, il y a certains pays comme l’Autriche qui sont sur notre ligne. Mais pour l’instant, les choses ne permettent pas de bloquer le processus. Donc le processus peut avancer. Néanmoins, vous aurez ensuite, comment dire, de longs mois et même un an, deux ans pour que les choses soient précisées, ratifiées, etc. Donc on va continuer le combat et on va obtenir ce dont nous avons besoin. Et ce qui est, à mon avis, totalement obtenable. Il n’y a pas de raison qu’on ne précise pas concrètement toutes les protections que nous avons demandées et qu’on ne les augmente pas, y compris en termes de moyens de contrôle.

Q - Parce que vous êtes élu de l’Indre, Nicolas Forissier, vous êtes candidat à La Châtre, à la mairie, pour les municipales qui arrivent. J’imagine que vos électeurs, c’est une terre agricole, l’Indre. Vous devez leur expliquer tout ça, quand vous êtes sur le marché de La Châtre le samedi matin…

R - Ça fait des décennies que je vais sur le marché de La Châtre pour expliquer les choses et dans les exploitations, vous savez que le Berry est un grand producteur de viande, (inaudible) de charolaises, de limousines, etc. Donc, bien sûr, on est extrêmement à l’écoute, et moi, ça me donne une sensibilité particulière sur ces dossiers. Et c’est pour ça que je vous dis qu’il est, comme l’a très bien dit Annie Genevard hier, c’est la position du gouvernement, il est hors de question de lâcher ou de baisser la garde, de ne plus être vigilants, comme le dit le président de la République, et proactifs pour obtenir toutes les garanties, y compris en termes de moyens de contrôle, que nous demandons. Je rappelle juste quand même une chose, c’est que l’on fait là, c’est pour défendre certaines filières qui pourraient être très fragilisées, c’est la production de viande bovine, c’est la production de viande de volaille, c’est les biocarburants, c’est le miel par exemple, mais vous avez aussi des filières qui vont profiter du Mercosur. Il faut quand même aussi avoir une lecture positive. Ce qu’il ne faut pas, c’est que certains soient sacrifiés au profit d’autres filières.

[…]

Q - Ultime question très courte, au moment où je vous parle, vous savez quoi ? Mon regard est attiré par mon smartphone qui est éclairé là. Et on m’annonce la livraison d’un colis dans deux heures. Est-ce que le ministre délégué en charge du commerce extérieur est favorable à la taxation à deux euros des petits colis qui arrive. Est-ce que vous allez le faire ? Parce que ça c’est important.

R - C’est ce qui prévu dans le budget. Je rappelle que…

Q - Est-ce que l’on va y arriver ? Parce que c’est une question que tout le monde se pose. Deux euros pour ces petits qui viennent souvent de Chine.

R - Bien sûr, bien sûr. D’abord, ça a explosé, ça a posé énormément de problèmes, y compris à nos douanes. C’est ce qui est prévu par une proposition du gouvernement. […] La priorité absolue, c’est de stabiliser le pays. Et je vous le dis comme représentant, si je puis dire, ou défenseur des entreprises qui se battent sur les marchés extérieurs, créent de l’emploi en France. Parce que c’est ça le sujet derrière. Pour l’instant, tout est arrêté. Donc il faut absolument que l’on avance et que l’on stabilise.

Q - Merci à vous Nicolas Forissier.

Q - Merci. Oui, vous pensez que l’on avance en France ? Vous revenez de Chine où c’est la vitesse TGV ?

R - Je pense qu’on a besoin de stabiliser, de prendre des décisions claires et de repartir en avant parce qu’effectivement ça va très très vite dans le reste du monde.

Q - Ça ne vous fait pas un peu peur quand même ? La Chine est à 180 kilomètres/heure, TGV, et nous on est à 30 kilomètres/heure.

R - On pourrait dire à 1000 kilomètres/heure en Chine et à 280 ou 300 chez nous pour le TGV. Je pense qu’il faut absolument que l’on prenne conscience que le monde avance à toute vitesse. Mais moi je ne suis pas pessimiste. J’estime qu’on doit être combatif. Je pense qu’on doit se battre, y compris en termes de développement des exportations, en termes de rayonnement de la France, pour aller chercher des investisseurs à l’étranger, parce que c’est aussi mon boulot. On doit se battre, il ne faut pas être pessimistes, mais il faut juste un minimum de bon sens et de stabilité.